Une poupée pour se souvenir des horreurs de la Nuit de Cristal
Lore Mayerfeld a fait don d'une poupée à Yad Vashem pour une nouvelle exposition; c'est le jouet qu'elle avait emmené avec elle quand sa famille a fui aux Etats-Unis
JTA — Pendant des décennies – et alors qu’elle était déjà adulte – Lore Mayerfeld a conservé une poupée assise sur un fauteuil dans une chambre à coucher, ou placée bien en hauteur, sur une étagère. Ses enfants, et plus tard ses petits-enfants et ses arrières-petits enfants, savaient qu’il était interdit de jouer avec par crainte de la casser.
Vêtue d’un pyjama écru décoré de lapins et de poussins colorés, cette poupée, prénommée Inge, représente plus qu’un objet sentimental sorti de l’enfance que Mayerfeld a passé à Kassel, en Allemagne.
Elle est son lien direct avec la Nuit de Cristal, cette nuit d’angoisse du mois de novembre 1938 qui allait pousser à l’exil aux Etats-Unis la petite fille qu’elle était alors et ses parents, Markus et Kaetchen Stern. Mayerfeld, qui avait 18 mois à l’époque et qui portait ce genre de pyjamas avec deux pièces, avait pris avec elle cette poupée blonde aux yeux bleus.
La poupée avait été baptisée Lore (prononcé Laura) par un grand-parent, même si elle ne se souvient plus exactement lequel.
Agée maintenant de 81 ans, installée en Israël, Mayerfeld a donné sa poupée et ses pyjamas au début de l’année à Yad Vashem, l’institution nationale israélienne qui commémore la Shoah.
Ces objets font partie d’une exposition en ligne dont le coup d’envoi a été donné à la veille du 80e anniversaire de la Nuit de Cristal, le pogrom au cours duquel 91 juifs ont été tués, 30 000 arrêtés, 1 400 synagogues brûlées et d’innombrables habitations et commerces vandalisés à l’instigation des nazis.
Intitulée « C’est venu de l’intérieur », l’exposition permet de découvrir des objets qui, tous, ont été offerts par des survivants de la Nuit de Cristal. « Il y a des moyens de raconter l’Histoire à travers ces objets personnels », commente Yona Kobo, conservatrice à Yad Vashem. « Et c’est plus puissant, plus intense. Cela nous émeut davantage ».
Parmi les contributions apportées par Mayerfeld à l’exposition, la photographie de mariage de ses parents et plusieurs lettres envoyées par son père depuis New York, pendant la Seconde Guerre mondiale, à des amis non-juifs de Zimmersrode, sa ville natale, dans lesquelles il demandait des nouvelles de ses proches. Elle n’a gardé que quelques bols et des saucières de la vie des Stern en Allemagne.
Sa décision de se séparer de ces précieux souvenirs fait suite à une conversation téléphonique avec ses trois enfants, qui vivent tous en Israël. Les chercheurs de Yad Vashem, qui s’étaient entretenus l’hiver dernier avec Mayerfeld, l’ont ensuite sollicitée en lui demandant de leur donner la poupée, après avoir appris son existence.
« J’ai simplement eu le sentiment que cela avait plus de sens à Yad Vashem », explique Mayerfeld. « Des gens du monde entier vont la voir, réaliser qu’elle vient d’Allemagne et ils comprendront tout ce qu’elle représente ».
Petite fille à New York, Mayerfeld gardait Inge dans un landau qui lui avait été offert. Inge était la petite soeur que Mayerfeld n’a jamais eu. Markus et Kaetchen lui avaient expliqué une fois qu’ils n’avaient pas eu d’autres enfants parce qu’ils s’étaient mariés tard et qu’ils avaient été séparés lorsque Markus avait été envoyé dans le camp de concentration de Buchenwald, et une fois encore lorsqu’il était parti s’installer aux Etats-Unis, luttant dans ce nouveau pays. Lorsque la jambe et le bras d’Inge ont été endommagés, ses parents l’ont confié à une boutique du quartier pour la faire réparer.
Mayerfeld dit que cette histoire a rendu difficile sa décision de se séparer d’Inge.
« Mais j’ai le sentiment que c’est le bon moment », note-t-elle. « Je ne pense pas que je l’aurais offerte à Yad Vashem il y a vingt ans ».
Son fils Mark explique que sa mère prévoyait initialement de la transmettre à ses enfants.
« Nous lui avons dit que cela aurait davantage de sens si les gens pouvaient la voir et comprendre ce qu’elle représentait pour toi », ajoute-t-il. « Il est très important que nous conservions ce message en vie, et la connaissance de ce qui s’est passé ».
Mark Mayerfeld explique avoir beaucoup appris des expériences vécues par ses parents pendant la guerre – feu son père, Henry, était né à Worms – en regardant l’interview de sa mère faite par le musée.
« Ma maman n’a pas connu les camps de concentration, l’expérience de la Nuit de Cristal a eu un effet majeur sur toute sa vie », dit-il. « C’est un traumatisme. Le fait qu’elle ait pu en parler avec de tels détails – j’ai été fière d’elle, en fait ».
Lore Mayerfeld a raconté à JTA que sa mère avait appris d’une voisine qu’un pogrom aurait lieu. Kaetchen et Lore se sont cachées dans l’habitation d’une famille non-juive pendant un jour ou deux, puis elles sont parties vivre avec la mère de Kaetchen, à Borchen. Markus avait été arrêté et envoyé à Buchenwald avant d’être libéré six semaines après parce qu’il avait un visa américain. Il avait été immédiatement expulsé et s’était installé dans le quartier de Washington Heights, à New York, où se trouvaient déjà, depuis quelques années, deux de ses frères et soeurs. Il avait travaillé comme vendeur et il était parvenu à obtenir des visas pour son épouse et pour sa fille.
Mayerfeld a ajouté que sa mère et elle-même avaient pris un train pour Paris, où un conducteur lui avait donné une barre en chocolat. Elles s’étaient rendues par la suite au Portugal pour prendre un bateau qui était arrivé à New York au début du mois de septembre 1941.
Les cinq membres de la famille Stern auraient été les seuls à avoir survécu pendant la Shoah. Personne n’a connu la destinée de la jeune soeur de Markus, Sarah. Tous les autres sont morts à Auschwitz et à Theresienstadt.
Il y a environ vingt ans, Lore et Henry sont repartis en Allemagne pour la première et la dernière fois. Lore n’a pas pu retrouver son appartement à Kassel. Dans les autres villes, ils sont allés se recueillir sur les tombes de leurs proches et ont cherché leurs anciennes habitations. A Borchen, une femme leur a montré l’endroit où la synagogue que fréquentait Kaetchen se tenait dans le passé. Elle a été détruite lors de la Nuit de Cristal.
Ces dernières années, Lore Mayerfeld a davantage parlé à sa famille de sa vie en Allemagne. Une grande partie de ces informations venaient de ses parents – elle-même ne se souvient que de peu de choses. Certains des 18 arrières-petits-enfants de Mayerfeld ont l’âge qu’elle avait elle-même lors de la Nuit de Cristal.
Mayerfeld espère que voir Inge exposée au musée suscitera leur intérêt.
« Dans les années à venir », dit-elle, « mes arrières-petits-enfants pourront la regarder et se dire : ‘Elle est particulière’. »
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