Yahadout HaTorah semble s’agiter – mais ce n’est pas ce qu’on pourrait croire
Selon certains spécialistes, le parti Haredi pourrait abandonner l'opposition - mais il reste fidèle au bloc du Likud, même s'il paraît s'impatienter face à Netanyahu

Cela n’a rien d’un secret : les parlementaires de Yahadout HaTorah ont le désir de revenir au pouvoir via un gouvernement de coalition réunissant partis de droite et formations religieuses. Et ils aimeraient le faire sans devoir se soumettre pour autant à un nouveau cycle électoral fastidieux.
Yahadout HaTorah siège dans l’opposition, dans l’alliance qui s’est rassemblée autour de Benjamin Netanyahu, le chef du Likud, mais de récents propos tenus par des députés du parti ont laissé entendre que la faction serait prête à envisager l’idée de trouver un leader plus approprié pour son bloc – et des informations ont fait état d’une rencontre entre Moshe Gafni, responsable de Yahaout HaTorah, et le ministre Benny Gantz, nourrissant la rumeur d’une possible manœuvre préalable à un remaniement à la Knesset, un remaniement dont Netanyahu serait le grand absent.
Et pourtant, Yahadout HaTorah reste ferme dans ses affirmations : son alliance avec la formation du Likud de l’ex-Premier ministre serait inébranlable. Alors, la faction ultra-orthodoxe réfléchit-elle à changer de bord ? Songe-t-elle plutôt conserver sa place au sein de l’alliance d’opposition actuelle ?
La réponse est, semble-t-il, en demi-teinte. Si Yahadout HaTorah n’abandonne pas Netanyahu, le parti paraît davantage enclin à faire en sorte de dépasser les querelles individuelles et de personnalité, créant un nouvel espace susceptible être comblé par d’autres politiciens partageant la même idéologie que la sienne, et ouvrant en cela la possibilité de mettre en place un nouveau gouvernement.
Le 6 avril – la matinée de la démission spectaculaire de l’ex-cheffe de la coalition, Idit Silman, un départ qui a fait perdre au gouvernement sa (très) mince majorité – le bureau du leader de la formation ultra-orthodoxe, Moshe Gafni, avait rapidement émis un communiqué en son nom qui, pour certains analystes, avait ouvert la porte à un nouveau lendemain où le soleil se lèverait sans Netanyahu.
« L’opposition doit faire une introspection de manière à décider qui est la personnalité la plus digne et ayant la meilleure chance de former immédiatement un gouvernement sans devoir pour autant obliger le pays à retourner aux urnes », avait noté le communiqué émis au nom de Gafni.

Gafni avait finalement fait volte-face, revenant sur ses propos – mais pas avant que les commentateurs ne commencent à s’exprimer et que les Likudniks ne commencent à se plaindre.
Alimentant encore la rumeur, dimanche dernier, le député de Yahadout HaTorah, Yaakov Asher, a déclaré au micro de la station de radio Kol Barama que Gantz était « un éventuel partenaire » et il n’a pas été avare de compliments sur le chef du parti Kakhol lavan.
Le jour suivant, l’éminent parlementaire de la formation ultra-orthodoxe Yitzhak Pindrus a déclaré devant les caméras de la chaîne de la Knesset que si sa faction restait fidèle à Netanyahu, c’était parce que c’était l’ex-Premier ministre qui était actuellement à la barre du parti le plus important de l’alliance d’opposition.
Malgré l’attention dont elles ont bénéficié dans les médias israéliens, ces déclarations sont loin de représenter les premiers remous annonçant une révolution politique. Elles restent en réalité cohérentes avec le positionnement de longue date de Yahadout HaTorah : celui que l’alliance dite « inébranlable » de la formation ashkénaze ultra-orthodoxe a été conclue avec le Likud – le parti, pas avec son leader.
Ou, comme l’a dit Pindrus : « Si le Likud décidait de placer un épouvantail à sa tête à la place de Netanyahu, alors nous suivrions l’épouvantail ».
Mais ces déclarations disent autre chose. Elle reconnaissent que tant que le Likud sera dirigé par l’ex-Premier ministre, il aura beaucoup de mal à sceller les alliances nécessaires pour revenir au pouvoir, et qu’il faudra effectuer des changements.
« [Les députés de Yahadout HaTorah] ne s’impliqueront pas dans la prise de décision intérieure au Likud », commente Avi Grinzweig, consultant politique qui a travaillé avec les parlementaires ashkénazes ultra-orthodoxes. « Mais ils disent qu’ils vont devoir peut-être mener une véritable réflexion pour comprendre pourquoi les choses n’ont pas fonctionné pour eux jusqu’à présent ».

Dans un entretien téléphonique avec le Times of Israel, mardi, Pindrus a établi clairement que Yahadout HaTorah ne rejoindrait une coalition d’alternance que si elle est dirigée par le Likud – « parce qu’en fin de compte, ils ont 30 candidats » – et que la formation prônerait l’organisation d’un nouveau scrutin si et seulement si aucun arrangement de ce type n’était possible.
Il a rejeté la question du choix d’un leader à la tête du Likud en évoquant une question interne à la formation mais il a déploré le milieu politique actuel, dans lequel les factions ne s’unissent pas par affinité idéologique mais par leur allégeance ou, a contrario, leur animosité à l’égard d’un seul homme, Netanyahu, ce qui a entraîné des années d’impasse politique et un pays dorénavant gouverné par une coalition boiteuse d’alliés improbables, une coalition qui paraît intenable dans la durée.
« Le problème politique global que connaît Israël depuis deux ans n’a qu’une seule origine : c’est que tout s’est cristallisé autour d’un politicien, un seul. Et c’est ce que nous nous efforçons de dire », a-t-il noté.
Avec une résignation somme toute réaliste, Pindrus a ajouté que « nous n’allons pas nous en sortir ».
Le culte de la personnalité de Netanyahu se fait encore largement ressentir, dynamisant le Likud et le transformant en mastodonte politique imposant – un mastodonte qui tente également d’affronter son destin. Autre conséquence, le parti est devenu une cible énorme pour ses adversaires politique. Un phénomène devenu si prépondérant que dans le langage de l’opposition, la ligne de fracture divisant les camps politiques, au sein de l’État juif, n’est plus l’idéologie mais la loyauté à l’égard de Netanyahu et de son bloc.
L’antipathie personnelle à l’encontre de Netanyahu, l’homme politique, explique également pourquoi la Knesset est aujourd’hui forte d’une majorité de centre-droit et religieuse, mais que seule une minorité de 54 sièges lui reste fidèle.
Mais, tandis que les conflits entre l’ex-Premier ministre et les autres chefs de partis partageant le même alignement idéologique que lui n’ont pas été pleinement résolus, Pindrus a exprimé son optimisme qu’une solution puisse être trouvée.
Tout en disant que « Netanyahu doit prendre ses responsabilités » pour combler le fossé des divisions, il a estimé que tous les politiciens devaient prendre leur part de travail pour réparer les liens de manière à ce qu’un bloc de droite et religieux puisse être formé au sein de la Knesset existante.
« Ce qu’il faut résoudre aujourd’hui, c’est le problème principal – que tout cesse d’être une affaire personnelle. Il faut trouver un moyen de s’entendre avec [la ministre de l’Intérieur Ayelet] Shaked ou avec Gantz, avec [le ministre de la Justice Gideon] Saar, ou avec les autres, de manière à mettre un terme à ces problèmes de personne qui empoisonnent les choses », a-t-il précisé.
« Et nous le disons aux deux parties, mais Netanyahu doit prendre ses responsabilités, mettre tout ça de côté et trouver un moyen de former une coalition avec Saar et Gantz. Nous allons vers un nouveau scrutin le cas échéant, » a ajouté le parlementaire.
Grinzweig note que l’alliance conclue entre Yahadout HaTorah et le Likud n’est pas simplement le produit de la mathématique électorale, mais celui d’un fusionnement entre les bases électorales ultra-orthodoxes et de droite, survenu ces dernières années.
« Les haredim ne reviendront pas sur leur engagement avec le Likud, et ce quoi qu’il arrive. En plus de l’idéologie, les électeurs ne suivraient pas », déclare Grinzweig.

« Au cours des dernières années, nous avons créé une situation politique dans laquelle le public religieux [Sioniste] et traditionnel [Likud] marche main dans la main avec les haredim », ajoute Grinzweig.
Et ces électeurs, continue-t-il, « ne veulent pas que les ultra-orthodoxes intègrent une coalition de gauche. Nous avançons avec le Likud comme un seul tout… L’engagement auprès du Likud ne sera jamais rompu ».
Comme Pindrus, Grinzweig souligne que la formation Yahadout HaTorah s’est engagée auprès du Likud, mais pas auprès de son dirigeant.
« Il n’y aura pas de coalition avec les haredim qui exclura le Likud. Si le Likud accepte qu’une autre personnalité prenne sa tête, alors nous serons, nous aussi, d’accord », a-t-il signalé.
Mais que faire alors de l’information de la rencontre discrète entre Gafni et Gantz ?
Au vu du positionnement du parti ultra-orthodoxe, il ne semble pas probable que Gafni soit enclin à signer l’arrêt de mort de l’alliance conclue entre son parti et le Likud. Un scénario plus plausible est que les formations aient approché Gantz pour avoir son sentiment sur un possible gouvernement unissant les factions religieuses et celles de droite.
« Les partis ultra-orthodoxes parlent à tout le monde, cela fait longtemps qu’ils sont en contact avec Gantz », dit Grinzweig.
Le porte-parole de Gantz s’est pour sa part refusé à tout commentaire pour cet article.
Le pénible divorce survenu entre Gantz et Netanyahu semble exclure toute possibilité d’une future nouvelle union entre les deux hommes. Mais Gantz s’est querellé avec Bennett et avec le ministre des Affaires étrangères de la coalition actuelle, Yair Lapid, et il a la réputation d’être imprévisible. Son idéologie peut paraître vague et difficile à cerner mais il a siégé dans des gouvernements aux côtés de partis d’extrême-droite et haredim.
« Il y a toujours eu une tentative d’intégrer Gantz. Il n’est pas exactement de droite mais il est capable de bloquer la formation d’un gouvernement », commente Grinzweig.
Les contours d’un possible gouvernement d’alternance – si l’opposition parvenait à rallier Gantz et sa faction Kakhol lavan – sont clairs : Le bloc d’opposition pro-Netanyahu actuel du Likud (29 sièges), le Shas (9 sièges), le parti Sionisme religieux (7 sièges) et Yahadout HaTorah (7 sièges), plus Kakhol lavan (8 sièges), Tikva Hadasha (6 sièges), et d’éventuels déserteurs idéologiques de Yamina – ce qui permettrait de mettre en place une coalition d’au-moins 69 sièges. La pièce manquante majeure du puzzle resterait la manière de réconcilier les divisions personnelles entre Netanyahu et Gantz – sans parler des griefs profonds qui persistent entre Saar et Netanyahu.
Il y a d’autres obstacles aussi – notamment la réticence d’un grand nombre de partis à travailler avec Itamar Ben Gvir, du parti Sionisme religieux, ou avec les autres membres de cette formation d’extrême-droite.

De plus, a indiqué Grinzweig, les formations ultra-orthodoxes auront, elles aussi, des demandes à soumettre, avec notamment le retrait d’initiatives prises ou mises en œuvre par les membres du gouvernement actuel.
« Il y a quelques sujets qui contrarient les haredim. L’interdiction de la vaisselle jetable, la baisse des allocations versées pour la garde des enfants… Toutefois, les plus grands problèmes sont de nature religieuse, avec la casheroute, les rabbins, la conversion, le service militaire des étudiants en yeshiva », énumère Grinzweig.
Et la liste est encore longue.
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