Yémen : les Etats sunnites disent « ça suffit » à l’Iran… et à Obama
Déçues par le président américain, les monarchies sunnites entendent agir militairement pour contrecarrer les ambitions de Téhéran
Avi Issacharoff est notre spécialiste du Moyen Orient. Il remplit le même rôle pour Walla, premier portail d'infos en Israël. Il est régulièrement invité à la radio et à la télévision. Jusqu'en 2012, Avi était journaliste et commentateur des affaires arabes pour Haaretz. Il enseigne l'histoire palestinienne moderne à l'université de Tel Aviv et est le coauteur de la série Fauda. Né à Jérusalem , Avi est diplômé de l'université Ben Gourion et de l'université de Tel Aviv en étude du Moyen Orient. Parlant couramment l'arabe, il était le correspondant de la radio publique et a couvert le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et l'actualité des pays arabes entre 2003 et 2006. Il a réalisé et monté des courts-métrages documentaires sur le Moyen Orient. En 2002, il remporte le prix du "meilleur journaliste" de la radio israélienne pour sa couverture de la deuxième Intifada. En 2004, il coécrit avec Amos Harel "La septième guerre. Comment nous avons gagné et perdu la guerre avec les Palestiniens". En 2005, le livre remporte un prix de l'Institut d'études stratégiques pour la meilleure recherche sur les questions de sécurité en Israël. En 2008, Issacharoff et Harel ont publié leur deuxième livre, "34 Jours - L'histoire de la Deuxième Guerre du Liban", qui a remporté le même prix
Les combats ont continué lundi dans le sud du Yémen, dans la région d’Aden, considérée comme le dernier avant-poste de ce qui reste du gouvernement pro-américain du pays.
Le président Abed Rabbo Mansour Hadi a fui vers l’Egypte. Selon de nombreuses informations, les rebelles Houthis ont réussi à s’infiltrer dans les régions situées au Nord et à l’Est d’Aden.
En guise de riposte, les avions saoudiens ont frappé différentes cibles durant la nuit, portant de rudes coups aux Houthis, auxquels le régime iranien fournit constamment une aide militaire. Les cibles bombardées incluent des entrepôts d’armes appartenant aux hommes d’Abdul Malik al-Houthi, ainsi que des missiles anti-aériens.
Il est difficile d’évaluer si ce qui reste de l’armée yéménite à Aden empêchera la ville portuaire du Sud de tomber entre les mains des rebelles chiites.
Alors que les Saoudiens ont déployé des troupes le long de leur frontière avec le Yémen, au Nord du pays, si Ryad et d’autres pays arabes voulaient vraiment éviter la chute d’Aden, une invasion terrestre serait probablement nécessaire. On ignore si une telle décision est d’actualité et s’il existe un plan opérationnel qui permettrait aux forces saoudiennes d’entreprendre une telle mission.
Mais, indépendamment de la façon dont les combats se dérouleront dans les jours à venir, il semble que quelque chose de fondamental a changé dans la mentalité des Etats arabes modérés et des monarchies sunnites.
Les dirigeants de ces pays – l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Jordanie et les Etats du Golfe – en ont assez des puissances mondiales, d’une part, et du régime iranien, de l’autre. Les rois arabes ont réalisé qu’il n’y a plus rien à attendre du gouvernement américain.
Selon eux, le président Barack Obama est obsédé, pour des raisons de politique intérieure,par sa tentative de parvenir à un accord nucléaire avec l’Iran, et c’est peut-être la raison pour laquelle il a abandonné l’ensemble du Moyen-Orient aux caprices de Téhéran. Les Iraniens peuvent agir en toute liberté en Syrie, au Yémen, en Irak, au Liban, en Afghanistan ; le gouvernement américain ne lèvera pas le petit doigt pour peu que Téhéran s’engage à signer un protocole d’accord concernant son programme nucléaire.
Les Etats arabes sont également dégoûtés par la Russie, qui aide l’axe chiite de toutes les façons possibles, y compris militairement.
Saud al-Faisal, le ministre des Affaires étrangères saoudien, est allé jusqu’à se moquer du président russe Vladimir Poutine dans son discours au sommet de la Ligue arabe, qui s’est déroulé ce week-end à la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh. « La Russie nous propose une solution pacifique à la crise en Syrie, mais continue d’armer son régime », a-t-il déclaré sèchement.
D’où la décision qui a dominé le sommet de la Ligue arabe : la mise en place d’une force militaire arabe commune dans les trois mois. L’objectif, en d’autres termes, est d’agir militairement rapidement pour arrêter les Iraniens. Les Etats arabes sont fatigués d’attendre le gouvernement américain, et ils ont décidé d’arrêter les avancées de Téhéran dans la région, même au prix de la guerre.
Un porte-parole des « forces arabes de la coalition pour soutenir le régime légitime au Yémen » (plus connus sous le nom d’Arabie saoudite) a déclaré ce week-end que les raids se poursuivront jusqu’au retour au pouvoir du président Hadi. Les Saoudiens n’envisagent pas de s’arrêter de sitôt. Si les Américains n’agissent pas, les Saoudiens le feront. Il semble que presque rien n’a changé dans le Moyen-Orient depuis l’an 680 de notre ère, et que les Sunnites et les Chiites continuent de se battre sur l’identité du successeur du prophète Mahomet.
En ce qui concerne l’accord nucléaire en cours de negociation à Lausanne, les Etats arabes n’ont pas beaucoup d’attentes. Les puissances sunnites, tout comme Israël, comprennent que l’accord est presque scellé et qu’ils doivent maintenant faire face aux conséquences. L’Iran continuera d’être un État de seuil nucléaire, mais sans la bombe pour le moment. Il poursuivra ses conquêtes dans toute la région.
Ce qui a changé, c’est la décision prise par les Etats arabes modérés d’agir contre l’Iran de façon indépendante.
Contrairement à la politique qu’ils suivaient en Syrie, où une armée par procuration était soutenue par l’Arabie saoudite, l’action au Yémen représente une sorte de tournant pour les Arabes. À partir de maintenant, les monarchies sunnites vont utiliser leurs propres forces, à travers le Moyen-Orient, même au prix d’un conflit militaire avec l’Iran. Ils vont le faire afin d’empêcher la création d’un empire chiite régional, et de l’affaiblir là où il a déjà pris racine.