Zeev Elkin porte le premier coup grave dans l’armure de Netanyahu
Les rangs politiques d'Israël sont truffés d'ex-Likudniks qui sont partis, furieux contre le Premier ministre - mais Elkin est différent, et ses motivations aussi

Zeev Elkin a fait quelque chose d’outrageusement étrange, dans la soirée de mercredi. Il a surpris tout le monde.
Son départ du Likud pour rejoindre le nouveau parti de Gidéon Saar pourrait sembler n’avoir aucune raison personnelle apparente. Sa place était presque garantie sur la prochaine liste du Likud à la Knesset.
Un siège au cabinet lui était également pratiquement assuré. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a un principe célèbre, qu’il utilise pour éviter les chamailleries et les médisances sans fin entre les législateurs issus de la formation qu’il dirige concernant les postes au cabinet : il y intègre les mêmes personnes à chaque fois (avec quelques exceptions à cette règle pour des personnalités ayant fait preuve de loyauté à son égard, comme c’est le cas, par exemple, d’Amir Ohana).
Comme l’avait encore expliqué Netanyahu aux journalistes, mardi, alors qu’il lui était demandé pourquoi il n’avait pas offert un siège au cabinet à son ancien rival, Gideon Saar, au sein de l’ancien gouvernement – devenu gouvernement de transition : « Ceux qui étaient ministres [dans l’ancien gouvernement] sont ministres dans le suivant. C’est un principe simple. »

Contrairement à Saar, Elkin a été ministre dans le dernier gouvernement – et il était presque certain de le redevenir dans le scénario, qui n’est pas encore aussi improbable que cela, d’un Likud qui prendrait la tête, une fois encore, de la prochaine coalition au pouvoir.
Et malgré tout, il a fait le choix de quitter le Likud pour rejoindre la formation de Saar, Tikva Hadasha, pour peut-être grimper un nouvel échelon si les résultats obtenus par la nouvelle faction dans les sondages se confirment le jour des élections – ou, et c’est tout aussi envisageable, pour connaître un déclassement profond si le nouveau parti suit le parcours connu, en général, par les nouvelles formations, et qu’il plonge de manière spectaculaire, illustrant l’écart entre les enquêtes d’opinion téléphoniques et la réalité des urnes.
Ce n’est pas la première fois qu’Elkin met en péril de cette façon sa carrière politique. Il s’était lancé en politique sous l’étiquette de Kadima, après qu’Ariel Sharon l’a débauché de l’université en 2006. Elkin avait ensuite fui la formation en 2008 au cours d’une querelle publique malavisée qui l’avait opposé à la nouvelle dirigeante de la faction, Tzipi Livni, à laquelle il avait reproché un glissement trop à gauche. Il avait d’ailleurs, à ce moment-là, abandonné Kadima avant même d’avoir reçu des promesses d’autres partis. Il avait ainsi mis en danger, avec ce conflit, sa carrière parlementaire naissante.
Il était parvenu à se faire un nom au Likud en grande partie grâce à sa réputation croissante de responsable politique avisé. Sa nomination par Netanyahu au poste de chef de la coalition, en 2009, alors qu’il venait tout juste d’être élu en tant que député du Likud, n’était en rien due au hasard. Et le premier rôle tenu par Elkin à la Knesset avait été celui de principal négociateur dans toutes les affaires législatives et relatives à la coalition.

Netanyahu savait alors ce qu’il faisait. Et c’est la même acuité politique que le chef du gouvernement avait su déceler en Elkin qui a fait parler la sphère politique mercredi.
Vraiment.
Il est « le tacticien le plus brillant et le meilleur maître de l’intrigue que je connaisse », comme l’a dit Yanir Kozin, journaliste politique de la chaîne de la Knesset, mercredi ; « un esprit politique très aiguisé », a renchéri l’analyste de la Douzième chaîne, Amit Segal ; « un politien brillant qui sait merveilleusement bien anticiper », a estimé pour sa part l’analyste Daphna Liel.
Et son nouveau patron, Saar – apparemment ravi de cette nouvelle recrue – l’a pour sa part qualifié de « maître au jeu d’échecs ».
« Zeev est brillant, il sait anticiper les mouvements, il analyse avec intelligence des systèmes complexes d’intérêts divers », a-t-il commenté.

Elkin a acquis cette réputation durement, en évoluant dans le milieu féroce et sans compromis de la Knesset israélienne. Il reste le seul dirigeant de coalition à n’avoir jamais perdu un vote au parlement. Ou, plutôt, il en a perdu un – celui qui a eu lieu après un départ en hâte du parlement, alors qu’il allait rejoindre son épouse pour assister à la naissance de leur enfant.
La Knesset en avait ultérieurement plaisanté, disant qu’il était plus impressionnant qu’il ait perdu le seul vote dont il avait été absent, que de les avoir tous gagnés.
La réussite d’Elkin à cette fonction de président de coalition n’avait rien eu de magique, ni de mystérieux. L’homme a foi dans les négociations, il adore les joutes oratoires des querelles parlementaires et il n’a jamais eu peur d’être aperçu à la cafétéria de la Knesset en train de conclure des accords avec des députés d’extrême-gauche ou d’extrême droite, laïcs, haredim ou Arabes, toujours de la même manière. Il a pu également être vu en train de rigoler – avec un plaisir évident – avec Ahmad Tibi, malgré le grand écart politique entre les deux hommes.
« Le truc », a-t-il souvent dit, « c’est de transformer le débat sur les principes en débat sur les nombres. Une fois qu’on parle de nombres, alors il y a toujours un juste milieu à trouver ».
Elkin est aussi un homme complexe. C’est un homme de droite convaincu, qui s’oppose à un État palestinien en Cisjordanie, et qui prône également avec ferveur l’enseignement obligatoire de l’arabe aux enfants juifs israéliens (aux côtés de l’hébreu et de l’anglais) dans les écoles publiques. Il demande également à ce que les programmes scolaires israéliens mettent l’accent sur les liens et les affinités de longue date entre Juifs et Arabes et entre le judaïsme et l’islam. Juif orthodoxe pratiquant, il parle lui-même arabe, et un Coran se trouve à côté de textes religieux juifs sur une étagère de sa bibliothèque, chez lui.

Et enfin, il a une foi profonde dans le Likud – ou tout du moins dans ce que le parti devrait être, selon lui. Et sa voix s’est brisée, mercredi soir, lorsqu’il a prononcé son bref discours accusant Netanyahu d’avoir transformé la formation eu un mouvement au « culte de personnalité », et d’être redevable aux membres de sa famille politique dans la mise en place de politiques déterminantes et la prise de décisions dans le cadre des campagnes électorales. La « cour de Byzance » de Netanyahu, a-t-il accusé, est l’antithèse de la vieille démocratie interne robuste qui caractérisait le parti par le passé.
Il laisse derrière lui au Likud des amis proches et des confidents.
Les responsables du parti ont reflété ces sentiments dans leurs réactions à sa décision, mercredi. Le président de la Knesset, Yariv Levin, a ouvertement admis être sidéré par cette initiative. Même Shlomo Karhi, plus pugnace habituellement, s’est exprimé avec un ton étrangement blessé (« pendant deux ans, nous avons saigné ensemble pour permettre au Likud de remporter la victoire ») alors qu’il déplorait la « douleur » ressentie face à la trahison d’un « homme bien ».
De nombreux responsables de la prochaine Knesset, dont Naftali Bennett, Avigdor Liberman, Saar et d’autres, sont d’anciens membres du Likud qui ont fui le parti alors que Netanyahu en était le dirigeant – et pour cette raison.

Mais la décision prise par Elkin de quitter le Likud est différente – ou, tout du moins, elle est ressentie différemment au sein même du Likud. Même ses nouveaux détracteurs, dans la formation, reconnaissent en privé qu’Elkin n’aurait jamais dû se sentir dans l’obligation de partir. Elkin a dirigé la campagne du Likud pour le public russophone, il a servi comme haut-conseiller de Netanyahu, il a été son traducteur lors des discussions stratégiques les plus importantes entre le Premier ministre et le président russe Vladimir Poutine, il a été un membre éminent de l’équipe de négociations du Likud concernant la mise en place de la coalition. On lui faisait confiance, il état loyal – et son départ est douloureux pour tous, y-compris pour lui.
Il importe donc qu’il soit parti en dénonçant une « cour de Byzance » et un « culte de la personnalité ». Il ne s’agit pas d’une simple rhétorique de campagne.
Elkin a ouvert une fenêtre sur un sentiment croissant parmi les législateurs du Likud, selon lequel la famille proche de Netanyahu, son épouse Sara et son fils Yair, exercerait une influence insupportable sur ses décisions politiques ; que la loyauté exprimée à l’égard du Premier ministre a pris le pas sur tout le reste ; et que le résultat en est une culture de flatterie et de populisme grossier, qui va clairement à l’encontre de l’image que le Likud a longtemps voulu se donner de lui-même, celui d’un parti incarnant un conservatisme digne.
La longue gouvernance de Netanyahu, disent de nombreux activistes de longue date, a dégénéré en une sorte d’allégeance auto-policée qui a décimé les institutions internes du parti.
Par leur nature même, de telles assertions sur les sentiments ou la culture ne peuvent ni être prouvées, ni réfutées. Mais tous les journalistes politiques qui font l’effort de parler aux députés et aux membres du comité central du Likud, à l’écart des caméras et des micros, entendent souvent l’expression de tels sentiments – et cela surprend. Quelque chose est en train de se casser au sein du Likud, quelque chose qui tient aux postulats partagés qui, dans le passé, guidaient le parti au pouvoir.

Cet article se présente sous la forme d’une « tribune/opinion » parce qu’Elkin est un ami proche de l’auteur depuis de nombreuses années – depuis bien avant son ascension politique. Cette réalité a habituellement impliqué que l’auteur que je suis a évité d’écrire à son sujet, sauf quand c’était nécessaire et de façon occasionnelle.
Mais il s’agit aussi d’une lettre ouverte parce que cette proximité offre précisément l’opportunité de mettre brièvement en lumière une partie de l’histoire intime du Likud – une intimité difficile à présenter au lecteur avec des termes analytiques précis.
Elkin reste un homme de droite invétéré. Il a pris le soin de ne pas accuser de corruption Netanyahu, mercredi – la plainte habituelle émise par le centre-gauche. Parce que lui partage aussi les critiques de la droite à l’encontre du système judiciaire et du procureur de l’État, même lorsqu’on en vient au procès de Netanyahu.
Mais cela rend l’accusation qu’il profère d’autant plus accablante : que les dossiers impliquant Netanyahu soient – ou non – justifiés, le Premier ministre a permis à ses déboires judiciaires de déterminer ses calculs politiques, et ce sont ces mêmes calculs qui ont déterminé ses décisions répétées à conduire une nation épuisée, appauvrie, vers de nouvelles élections. Netanyahu confond pleinement aujourd’hui ses propres intérêts et les intérêts du pays, a dit Elkin.

Elkin est devenu de plus en plus distant avec Netanyahu au cours de l’année passée – par choix. Il était remarquablement absent parmi les politiciens du Likud qui s’étaient tenus autour du Premier ministre le jour de l’ouverture de son procès, dans une démonstration de force politique. Sa loyauté au parti ne se sera pas démentie jusqu’à la fin, mais sa loyauté à l’égard de Netanyahu s’est lentement éteinte au fur et à mesure qu’il a été davantage convaincu du changement des priorités du Premier ministre, et que le type de leadership de ce dernier commençait à ravager et à diminuer l’aura du Likud.
Il ne s’agit pas ici de saluer Elkin : d’autres l’ont déjà suffisamment fait. Il ne s’agit pas non plus de le critiquer : d’autres s’en sont aussi donné à cœur joie. Contrairement à certains politiciens, il n’y aucun mystère, aucun lieu commun vague autour de ses convictions et de ses priorités politiques, et il fait partie de ces animaux politiques qui prennent plaisir à la confrontation d’idées. Il était et il continuera à faire l’objet et d’éloges, et de blâmes.
Ce que je veux faire ici, c’est simplement suggérer aux lecteurs qui suivent les changements frénétiques qui balaient aujourd’hui la politique israélienne que la décision prise par Elkin reflète davantage que les calculs d’un seul homme. Le sol tremble au sein du Likud. L’état d’esprit a changé.
Que ce malaise croissant aboutisse au départ de Netanyahu ou qu’il soit rapidement dissipé par la furie mobilisatrice de la prochaine course électorale, c’est impossible à dire. Mais il est là, il est réel – et il est suffisamment fort pour entraîner des décisions difficiles, même parmi les membres les plus loyaux du parti.
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