2 tableaux spoliés par les nazis et rendus aux héritiers, seront vendus aux enchères
Les œuvres d'Egon Schiele, saisies chez l'artiste de cabaret juif Fritz Grunbaum pendant la Shoah, devraient atteindre 2,8 millions de dollars, au profit d'une œuvre de charité
JTA – Après une bataille juridique de plusieurs années pour récupérer deux tableaux que les nazis avaient volés à leur ancêtre, les descendants de Fritz Grunbaum, un artiste de cabaret juif autrichien, vendront les œuvres d’Egon Schiele aux enchères, chez Christie’s en novembre.
Les recettes serviront à soutenir des artistes de la relève, issus de milieux sous-représentés, à commencer par un élève d’un lycée artistique de Washington, qui jouera du piano lors d’un événement célébrant la vente.
Les deux tableaux, « Woman in a Black Pinafore » (« Femme au tablier noir ») et « Woman Hiding Her Face » (« Femme cachant son visage »), devraient atteindre, à eux deux, la somme de 2,8 millions de dollars.
Grunbaum, qui aurait inspiré un personnage du film « Cabaret » de 1972, était également un collectionneur d’œuvres de Schiele, un artiste expressionniste autrichien.
Grunbaum possédait 81 pièces créées par Schiele, ainsi que des œuvres d’Albrecht Dürer, d’Auguste Rodin et de Camille Pissarro.
Grunbaum se produisait en tant que maître de cérémonie et composait des chansons et des opérettes.
Mais il était également connu pour son activisme politique. En 1910, lorsqu’un officier autrichien a fait des remarques antisémites, Grunbaum l’a giflé et a été défié en duel, au cours duquel il a été blessé.
Après la montée du nazisme dans les années 1930, il devint un virulent critique, à la fois dans ses spectacles mais également dans une chronique hebdomadaire publiée dans un quotidien viennois.
En 1938, Grunbaum et sa femme Elisabeth ont été arrêtés par les nazis ; il a été forcé de signer un document donnant procuration à sa femme.
Elisabeth a ensuite été forcée de signer un document affirmant qu’elle remettait volontairement les œuvres d’art aux nazis.
Ils ont tous deux été envoyés au camp de concentration de Maly Trostenets, près de Minsk, où Elisabeth aurait trouvé la mort.
Grunbaum a été transféré au camp de concentration de Dachau, où il a donné sa dernière représentation à l’infirmerie, le 31 décembre 1940.
Il a succombé à la tuberculose deux semaines plus tard.
Les efforts déployés par Timothy Reif et David Frankel – héritiers et testamentaires des parents de Fritz et d’Elisabeth Grunbaum – pour récupérer les tableaux de Schiele, ont été marqués par des batailles juridiques dues à des problèmes de prescription et à la contestation de l’affirmation selon laquelle les tableaux n’ont jamais été volés, mais qu’ils étaient sous la garde d’un parent des Grunbaum pendant la guerre jusqu’à leur vente à des collectionneurs d’art.
Les efforts de la famille pour récupérer les tableaux ont franchi une étape juridique supplémentaire lorsqu’un juge de New York a rendu une décision historique en 2018, indiquant que la famille pouvait poursuivre ses revendications, en vertu d’une loi adoptée par le Congrès deux ans plus tôt.
Cette loi, l’Holocaust Expropriated Art Recovery Act, ou HEAR Act, stipule que les descendants des victimes de la Shoah ont jusqu’à six ans – à partir de la date à laquelle l’œuvre en question a été localisée et identifiée, et qu’une preuve de propriété a été apportée – pour réclamer une œuvre.
Avant l’adoption de cette loi, les délais de prescription pour ces demandes variaient d’un État à l’autre.
La loi, et son application, s’inscrit dans le cadre d’un effort complexe et épineux visant à réunir les nombreuses œuvres volées à des collectionneurs juifs dans le cadre de la campagne de terreur menée par les nazis contre les Juifs d’Europe pendant la Shoah.
À l’instar des États-Unis, d’autres pays ont récemment facilité la récupération des œuvres volées par les descendants des victimes.
Le mois dernier, par exemple, le tableau de Wassily Kandinsky « Vue de Murnau avec église » a été restitué aux descendants d’un collectionneur d’art juif néerlandais qui a été tué à Auschwitz, à la suite de l’annulation d’une décision de justice antérieure qui avait déclaré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour étayer l’affirmation selon laquelle le tableau avait appartenu au collectionneur.
Ce revirement dépendait, en partie, d’un changement de la politique néerlandaise visant à ne plus prendre en compte les intérêts des musées détenant des œuvres volées.
Les époux Reif et Frankel continuent de rechercher d’autres tableaux qui, selon eux, auraient appartenu à leur ancêtre. Mais pour l’heure, « Femme au tablier noir » et « Femme cachant son visage » seront mis aux enchères le 17 novembre.
Selon Christie’s, les tableaux sont respectivement estimés entre 500 000 et 800 000 dollars et entre 1,5 et 2 millions de dollars.
Reif et Frankel utiliseront une partie du produit de la vente pour créer la Grunbaum Fischer Foundation, qui soutiendra de jeunes artistes du monde du spectacle.
« Ce legs caritatif honore la tradition de Fritz Grunbaum de soutenir généreusement les artistes juifs quand ils en avaient besoin aux heures les plus sombres de la persécution nazie », a expliqué Reif dans une déclaration à l’annonce de la vente aux enchères.