A Bagdad, l’immobilier flambe, porté aussi par le blanchiment d’argent
Entre planification inadéquate et spéculation alimentée par le blanchiment d'argent dans un des pays les plus corrompus au monde, devenir propriétaire est un rêve qui s'éloigne
Marié et père d’un enfant, Youssef Ahmed habite encore chez ses parents. A 29 ans, ce Bagdadi a abandonné tout espoir d’acheter un jour son propre logement, dans la capitale irakienne où les prix de l’immobilier ont flambé.
Entre planification inadéquate et spéculation alimentée par le blanchiment d’argent dans un des pays les plus corrompus au monde, devenir propriétaire est un rêve qui s’éloigne pour une grande partie de la classe moyenne.
Ces dernières années, la métropole de neuf millions d’habitants a retrouvé une stabilité toute relative et des tours rutilantes ont commencé à pousser.
Porté par l’explosion de la demande, le prix du mètre carré dépasse dans certains quartiers les 8 000 dollars – quand le salaire médian plafonne aux alentours de 400 ou 500 dollars.
« Même si votre revenu augmente, ça ne sera jamais à la hauteur des prix exorbitants des maisons ou des terrains », résume Youssef Ahmed, employé dans le secteur des télécoms.
Malgré un – confortable – salaire mensuel de 1 000 dollars, un prêt bancaire ne lui permettrait pas non plus d’acheter pour loger sa femme et leur fils de cinq ans car « les taux d’intérêts sont élevés », entre 5 et 10 % actuellement, ajoute l’homme de 29 ans.
Et « si on s’éloigne du centre, il y a le problème du transport – et même ainsi, les prix ne baissent pas tant que ça ».
« J’ai beaucoup réfléchi, il n’y a pas de solution », déplore-t-il.
« Hausse faramineuse »
Après l’invasion américaine de 2003 qui renversa Saddam Hussein – et inaugura une période sanglante marquée par la guerre civile et les exactions jihadistes – particuliers et investisseurs ont souvent préféré un achat immobilier au Kurdistan autonome, dans le Nord, relativement épargné par les violences, voire à l’étranger, souvent en Turquie.
Mais Bagdad ayant aujourd’hui retrouvé un semblant de normalité, l’immobilier a la côte.
Dans le quartier commerçant de Kerrada, où d’anciennes villas en briques croulantes côtoient des immeubles neufs, le prix du mètre carré, autrefois de « 1 200 ou 1 700 dollars, atteint désormais 3 000 dollars », voire parfois 5 000 dollars, indique Samer al-Khafagi, agent immobilier depuis huit ans.
« Le marché est en croissance », confirme-t-il, expliquant que depuis un an la tendance s’est accélérée.
Même constat dans le quartier de Jadriya, très prisé par la nouvelle élite politique et économique, où le mètre carré se vend à 4 000 dollars – voire 8 000 dollars pour l’usage commercial -, selon son confrère Hussein al-Safar qui confirme « une forte demande immobilière » et une « hausse faramineuse des prix ».
Et le secteur est propice au blanchiment d’argent : un bien immobilier acheté avec des fonds frauduleux peut être ensuite revendu selon un contrat en bonne et due forme, pour ainsi donner un parfum de respectabilité à de l’argent sale.
Le système bancaire étant encore très peu développé – seul un Irakien sur dix a un compte bancaire selon la Banque mondiale -, « les transactions immobilières se font en liquide », souligne l’économiste Ali al-Rawi. Une manière de « cacher facilement et rapidement l’argent dans des terrains et des immeubles ».
« Blanchiment d’argent »
Un phénomène récemment illustré par un énième scandale de corruption : à l’automne, l’Etat a révélé avoir découvert que 2,5 milliards de dollars avaient été volés au fisc et le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani expliquait que la restitution des fonds était compliquée par le fait que l’argent était parti dans « l’achat d’importants biens immobiliers dans des quartiers prestigieux de Bagdad ».
« Plus d’un milliard de dollars » de cet argent aurait été investi dans « 55 propriétés à Bagdad », et un milliard supplémentaire a été converti en « propriétés, terrains et autres actifs », explique Sajad Jiyad du think-tank Century International.
« L’augmentation des prix de l’immobilier n’est pas liée au marché, elle est liée aux mafias et au blanchiment d’argent », assène sans ambages Mohamed al-Rabie, responsable communication de la mairie de Bagdad.
Il reconnaît aussi « la mauvaise planification » des gouvernements précédents concernant « l’investissement dans le logement » et des politiques publiques qui n’ont « rien apporté aux fonctionnaires ou aux pauvres ».
Le gouvernement de M. Soudani a toutefois récemment souligné sa volonté de faire construire des logements à bas prix, à destination des plus pauvres. En attendant, un million de personnes vivent à Bagdad dans des quartiers informels.
Dans la périphérie, les terres agricoles et autres palmeraies luxuriantes qui ont fait la réputation de l’Irak, ont laissé place au béton – visiblement plus lucratif que les cultures.