A Gaza, des clans, autrefois partenaires du Hamas, le défient: simple nuisance ou véritable menace ?
Alors que la guerre s'éternise et que l'aide humanitaire se raréfie, des clans lourdement armés se dressent ouvertement le groupe terroriste : Pourraient-ils être des partenaires viables pour Israël ?
La semaine dernière, une puissante famille de Gaza a échangé des coups de feu avec des hommes armés du Hamas dans un grand hôpital de Khan Younès. Un conflit qui s’est terminé par des véhicules incendiés et par des équipements détruits.
Le Hamas et le clan Barbakh se sont mutuellement accusés d’avoir été à l’origine de cet affrontement survenu au sein de l’établissement hospitalier : alors que le Hamas a affirmé avoir voulu s’en prendre à un membre de la famille Barbakh qui avait volé des aides humanitaires – le groupe terroriste attribuant également au clan la responsabilité de dégâts qui avaient été causés à l’hôpital – les médias qui s’opposent au Hamas ont prétendu que des hommes de l’organisation au pouvoir dans la bande s’étaient réfugiés à l’intérieur de l’hôpital Nasser après avoir assassiné un membre de cette grande famille.
Cette confrontation sur le terrain s’est ensuite transformée en guerre des mots. La famille Barbakh s’en est prise au groupe dans un message qui a été posté sur une chaîne Telegram qui rassemble des opposants au Hamas – une chaîne populaire – un message qui a prétendu que depuis la prise de contrôle du territoire par le groupe terroriste en 2007, « la famille Barbakh a payé le prix de ses positionnements et elle a subi les répressions du Hamas ».
« Le temps de la riposte est venu », était-il écrit dans le post.
Cette famille n’est pas un cas unique. Pour la première fois en presque vingt ans de règne sans partage du Hamas à Gaza, des clans de premier plan et lourdement armés défient ouvertement le groupe terroriste – autant par des déclarations publiques que par des affrontements armés. Une opposition qui vient sérieusement défier les capacités du Hamas, mettant en difficulté son emprise sur l’enclave côtière, et qui survient dans un contexte de déclin de la puissance militaire du groupe et de baisse de sa popularité auprès des habitants de Gaza, alors que la guerre avec Israël, qui dure depuis près de 21 mois, s’est éternisée.
Israël a laissé entendre que les clans pourraient supplanter le Hamas à Gaza, mais cette perspective n’est pas nécessairement réjouissante : même si elles ont commencé à contrer ouvertement le Hamas, les familles continuent, par ailleurs, à âprement critiquer Israël et à s’en distancier.
Si, semble-t-il, certains clans armés gagnent en influence dans certaines parties de Gaza, Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes à l’Université de Tel Aviv, indique au Times of Israel que le phénomène reste géographiquement limité au sud de la bande de Gaza et qu’il ne constitue pas encore une menace sérieuse susceptible de mettre réellement en danger le Hamas.
« À ce stade, je considère les clans comme une nuisance pour le Hamas, comme un défi que doit relever le groupe terroriste – mais ils ne sont pas encore une véritable menace pour son pouvoir et ils ne sont très certainement pas des partenaires pertinents ou viables pour Israël pour le jour qui suivra la guerre », dit-il.
« Je considère toujours que le Hamas est la force dominante à Gaza, notamment grâce à son unité spéciale ‘Saham’, une unité qui est chargée de maintenir l’ordre public, et c’est le cas en particulier dans le nord de la bande de Gaza », déclare-t-il. « Dans le sud, où l’armée israélienne exerce un plus grand contrôle, nous observons davantage de phénomènes en lien avec les clans ».

Une source d’identité essentielle
Les clans de Gaza sont composés de dizaines de familles élargies – elles sont formées de centaines, voire de milliers de personnes, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres exacts. Les clans, qui sont généralement liés entre eux par le biais de lignées patriarcales ancestrales, sont des sources cruciales de soutien économique et social. Pour un grand nombre, l’identité du clan dépasse la cause nationale palestinienne.
Les familles se concentrent souvent dans des secteurs particuliers. D’après les vidéos qu’il a pu diffuser, le clan Barbakh mène ses opérations dans le sud de la bande de Gaza, autour des villes de Rafah et de Khan Younès. La famille Abu Ziyad, pour sa part, est basée dans le village de Zawaida, près de Deir al-Balah, dans le centre du territoire.
Avant l’attaque meurtrière commise par le Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre 2023, les familles s’organisaient au sein d’un groupe de coordination, le « comité des clans », qui avait été fondé à l’origine en 2012 par Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne dont le siège se trouve en Cisjordanie. Le comité avait permis aux clans de conserver un système judiciaire tribal pour résoudre les litiges et les incidents violents par le biais de mécanismes coutumiers – avec, par exemple, des règlements financiers qui mettaient un terme aux différends.
Le comité avait continué à travailler sous le contrôle du Hamas quand Abbas avait demandé sa dissolution en 2019. Les chefs de clans ont ainsi régulièrement rencontré des responsables de Gaza au fil des années, sous les auspices du comité. Au mois de juillet 2023, des représentants du comité se sont même rendus au Caire pour s’y entretenir avec Ismail Haniyeh, qui était à la tête du Hamas à l’époque.
Depuis près de 20 ans qu’il garde son emprise sur l’enclave côtière, le Hamas est parvenu à coexister avec les clans. Les affrontements violents ont été rares et ils ne s’étaient produits que lorsque le Hamas avait été amené à considérer les familles comme une menace venant mettre en péril son autorité. Le plus souvent, le groupe terroriste au pouvoir a su utiliser l’influence de ces grandes familles pour mieux atteindre ses objectifs, tandis que dans d’autres cas, il a veillé à ce qu’elles s’impliquent dans des problématiques exclusivement intérieures, un moyen de ne pas remettre en cause sa mainmise.
Mais ce pacte informel semble aujourd’hui s’effilocher.

Une implication croissante dans l’aide humanitaire
Une grande partie des frictions récentes concerne la distribution de l’aide humanitaire, une question qui reste épineuse dans toute la bande de Gaza.
Alors que le Hamas, Israël et d’autres parties se disputent le contrôle d’un acheminement limité en matière d’assistance humanitaire, des images et des témoins, au sein de l’enclave, laissent entendre que des clans armés interviennent de manière croissante dans la sécurisation des convois et de la distribution de l’aide internationale – voire dans ses pillages. Il est difficile de dire pour qui ces hommes travaillent, et il est difficile de dire également quelle est leur rémunération.
« La question de la sécurisation d’une partie de l’aide qui arrive aujourd’hui est prise en charge par de grandes familles », explique un habitant du nord de la bande qui s’entretient avec le Times of Israel sous couvert d’anonymat.
Il estime que les clans sont « fiables », ajoutant : « ils ont protégé les aides et ils ont empêché le pillage des cargaisons humanitaires qui sont arrivées ».
Mais l’implication des familles dans la distribution de l’aide a également donné lieu à des effusions de sang. Sur un récente vidéo, les membres du clan Abu Ziyad ont ainsi accusé le Hamas d’avoir tué un parent qui tentait d’empêcher le groupe terroriste de piller l’assistance.
La famille a exigé que le Hamas livre les auteurs de ce meurtre, ajoutant que le cas échéant, elle « entrera en guerre contre le Hamas ».

Les clans sont en mesure d’obtenir des aides humanitaires et de combattre le Hamas parce que, comme le montrent les images qui circulent sur les réseaux sociaux, leurs membres sont équipés d’armes à feu légères.
L’origine de ces armements reste indéterminée. Il est possible que certaines d’entre elles proviennent – intentionnellement ou non – du Hamas, qui a passé la majeure partie des deux dernières décennies à accumuler d’importants stocks d’armes par le biais d’achats et de trafics, avec une fabrication locale qui s’est également développée.
Des informations laissent aussi penser que certains clans ont profité de leur position pour voler l’assistance qui était destinée à des organisations humanitaires affiliées à l’ONU, qui menaient des opérations à Gaza. Une note confidentielle des Nations unies, qui avait été obtenue au mois de novembre 2024 par le Washington Post, avait noté que Yasser Abu Shabab, un chef de clan qui a depuis établi un travail de coopération avec l’État juif, paraissait être « la principale figure et la personnalité la plus influente à l’origine des pillages systématiques et à grande échelle des convois d’aide ».
Le 1er juin, une chaîne Telegram affiliée au Hamas a annoncé qu’une « famille armée » avait volé de l’assistance qui devait être distribuée dans le nord de l’enclave dans un entrepôt situé aux abords de Khan Younès.
Le 17 juin, une vidéo de la famille Barbakh a circulé sur les réseaux sociaux, avec des images qui ont semblé montrer ses membres en train d’escorter des résidents de Rafah en partance vers le nord de la bande, à Khan Younès – ils transportaient des colis de denrées alimentaires arborant le logo de la Fondation humanitaire de Gaza, qui est soutenue par les États-Unis et Israël. Dans la séquence, les habitants remerciaient les membres du clan, des hommes armés se tenant à leurs côtés.
Pour sa part, le Hamas parvient encore à coopérer avec certains clans. Ces dernières semaines, des médias affiliés au groupe terroriste ont diffusé des vidéos montrant les clans en train de protéger des distributions d’aides humanitaires. Des hommes armés sécurisaient les camions – un geste inhabituel de la part du Hamas, qui rend rarement publiques les scènes liées à la distribution de l’assistance livrée par la communauté internationale.
Le comité des clans a réagi en niant tout lien entre le Hamas ou avec d’autres factions, affirmant n’être nullement impliqué dans l’acheminement et dans la distribution de l’aide humanitaire.

Affrontements avec le Hamas – et Israël
L’opposition récente des clans au Hamas marque un tournant par rapport au positionnement qui avait été adopté à l’encontre du groupe terroriste pendant la majeure partie de la guerre – les familles critiquaient alors l’État juif avec férocité. Quand Israël avait annoncé espérer que les clans puissent prendre le pouvoir à Gaza au lendemain de la guerre, les familles avaient rejeté ouvertement tout projet de ce type.
Au mois de mars 2024, par exemple, Aqef al-Masri, présenté par les médias gazaouis comme un coordinateur du comité de direction de son clan, avait expliqué aux journalistes yéménites que « Israël est un État criminel qui utilise des armes illégales pour détruire le peuple palestinien ».
Le même mois, le comité des clans avait diffusé une déclaration dans laquelle les familles « refusaient fermement de coopérer avec Israël dans le cadre de la distribution de l’aide humanitaire » aux civils.
Le 11 mai de cette même année, une manifestation avait été organisée à Gaza par des chefs de clans qui s’opposaient à l’utilisation de leurs familles dans le contexte de la distribution, sous contrôle de l’armée israélienne, de l’assistance à la population. Au cours de ce rassemblement, un chef de clan avait juré : « Gaza mourra mais ne se rendra pas. Gaza mourra, mais jamais la bande ne deviendra pas un bâton dans la main de l’occupant sous prétexte de distribution de l’aide humanitaire ».
Dès le début de la guerre, Israël avait tenté de faire la promotion de la gouvernance clanique dans la bande, la présentant comme une alternative réaliste au règne du Hamas. Au mois de janvier 2024, l’armée avait soumis au cabinet de sécurité un plan qui proposait que les clans puissent prendre le contrôle de secteurs spécifiques au sein de l’enclave côtière, où ils seraient amenés à prendre en charge le travail de distribution de l’assistance.
Toutefois, au mois de mars 2024, le journal saoudien Asharq Al-Awsat avait fait savoir que les pourparlers lancés entre Israël et les clans de Gaza, concernant la formation d’un gouvernement alternatif au lendemain des combats, avaient échoué. De nombreuses familles avaient refusé la proposition faite par Israël d’assurer la sécurité de secteurs spécifiques, craignant des représailles de la part des hommes du Hamas qui étaient toujours actifs à Gaza.
Au mois de juin, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait confirmé dans une interview accordée à la Quatorzième chaîne que le Hamas avait assassiné des chefs de clan qu’Israël avait tenté de recruter. Ce qui était, avait-il dit, l’une des principales raisons expliquant l’échec de ce plan.
Toutefois, au mois de juin 2025, le Premier ministre israélien a confirmé que son gouvernement continuait d’armer les clans de Gaza pour leur permettre de former une opposition crédible face au groupe terroriste, déclarant : « En concertation avec les responsables de la sécurité, nous avons fait appel aux clans de Gaza qui sont opposés au Hamas ».
« Qu’y a-t-il de mal à cela ?, a-t-il par ailleurs interrogé dans une vidéo qui a été diffusée par le bureau du Premier ministre. « Ce n’est que du positif. Cela permet de sauver la vie des soldats de Tsahal ».

Yasser Abu Shabab a nié bénéficier d’un quelconque soutien de la part d’Israël lors d’un entretien qui a été accordé, le mois dernier, à un journaliste israélien de la radio militaire. Il a rejeté les affirmations faites par Netanyahu qui avait expliqué que le chef de clan collaborait avec Israël et que le gouvernement de Jérusalem l’approvisionnait en armements.
« Nous ne travaillons pas avec Israël », a-t-il dit avec fermeté. « Notre objectif est de protéger les Palestiniens de la terreur que fait régner le Hamas. Nos armes ne proviennent pas d’Israël, ce sont de simples armes que nous avons collectées auprès de la population locale ».
Même si certaines familles ont progressivement consolidé leur pouvoir dans certains pans de la bande de Gaza au fur et à mesure que le contrôle exercé par le Hamas s’est affaibli, il est difficile de dire la manière dont ces dernières seraient amenées à se comporter à l’égard d’Israël et de l’armée israélienne, le temps passant.
Un communiqué qui a été diffusé par la famille Barbakh dans le sillage des coups de feu qui ont été échangés au sein de l’hôpital Nasser a qualifié le groupe terroriste au pouvoir « d’agents de l’occupation ». Le communiqué a mis en garde contre une guerre intestine dans la bande, affirmant : « c’est très exactement ce que veut et ce que recherche l’occupation sioniste ».
Le Hamas a également continué à mener une campagne médiatique contre les clans dissidents et il affirme qu’il conserve encore aujourd’hui le soutien des familles. Après la confrontation armée avec la famille Barbakh qui avait eu lieu à l’hôpital Nasser, le groupe terroriste a rendue publique une déclaration par l’intermédiaire de ses médias affiliés – une déclaration qui, selon lui, avait été faite au nom du clan Barbakh.
« Nous, la famille Barbakh, n’acceptons pas que de telles actions individuelles soient entreprises », disait la déclaration qui avait été falsifiée. Elle appelait à punir les coupables et elle demandait « aux autorités compétentes d’agir avec fermeté et dans le respect de la loi ».
Pour Milshtein, le vieil adage qui laisse entendre que « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » n’a guère de pertinence s’agissant d’une future gouvernance de la bande où le Hamas serait remplacé par une famille à la tête de l’enclave côtière.
« J’essaie de faire preuve de bon sens et de me poser des questions : Comment peut-on soutenir des groupes criminels, des déséquilibrés comme les membres du clan Abu Shabab et d’autres – dont certains ont déjà été impliqués dans des attaques lancées à l’encontre d’Israël – des familles qui sont vilipendées au sein de la société palestinienne ? Comment peut-on penser qu’on pourra en tirer quelque chose de bon ? », s’interroge-t-il.
« D’après l’analyse que je fais de l’Histoire, en regardant des événements du passé, comme lorsque l’Armée du Sud-Liban avait été établie par Israël dans les années 70, ce genre d’initiative peut être nuisible, voire déboucher sur un échec pur et simple. Je pense qu’il y a une confusion entre un espoir dont on ne peut mettre en doute la sincérité et les évaluations lucides et réalistes de la situation », commente Milshtein.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.