Allemagne : des fonds juifs contribuent aux missions de secours des migrants
Alors qu'ils sont des milliers à fuir l'Afrique sur des bateaux de fortune, un seul navire circule dans la zone entre l'Italie et la Libye - avec l'aide notamment d'un groupe juif
BERLIN — En mer Méditerranée, un seul bateau vient actuellement en aide aux milliers de réfugiés et de migrants qui tentent la traversée depuis le nord de l’Afrique pour rejoindre l’Europe, selon l’organisation qui le fait naviguer.
Ce bateau de sauvetage, l’Ocean Viking, a appareillé au début du mois dernier depuis Marseille. Il est exploité par l’organisation humanitaire à but non lucratif SOS Méditerranée, et le Conseil de protection central des Juifs d’Allemagne a rejoint d’autres groupes d’aides pour apporter son soutien à cette initiative.
L’Ocean Viking a fait la une des journaux de toute l’Europe le mois dernier quand, moins de deux semaines après son départ, il avait déjà recueilli 356 migrants venus majoritairement du Soudan, embarqués sur des bateaux de fortune en difficulté au large des côtes libyennes. Chargé au-delà de sa capacité, le navire avait été alors obligé d’errer dans les eaux internationales pendant presque deux semaines, le temps que les pays européens règlent avec réticence les termes d’un accord devant déterminer la répartition des demandeurs d’asile.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
« C’était le mois d’août, et le bateau était vraiment surpeuplé, au milieu de la mer avec la violence de la chaleur du soleil – il y faisait incroyablement chaud », commente auprès du Times of Israel David Starke, directeur général de SOS Méditerranée en Allemagne.
« La situation était très difficile à bord mais, pendant plus de dix jours, le bateau s’est trouvé dans une impasse, coincé entre l’Italie et Malte, alors que nous attendions que quelqu’un lui alloue une place dans un port sûr », continue David Starke.
« Le navire n’était pas équipé pour accueillir tant de monde, mais nous avons continué à répondre aux appels de détresse parce qu’il nous était impossible de refuser de venir en aide à des vies en péril », poursuit-il.
Finalement, ce sont six pays européens – la France, l’Allemagne, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal et la Roumanie – qui ont accepté de recueillir les migrants présents à bord, et le bateau maltais les a amenés à terre.
Ces dernières années, il est arrivé régulièrement que des embarcations chavirent et que leurs passagers se noient alors qu’ils tentaient de faire le voyage dangereux entre la Libye et Malte ou la Sicile dans des vaisseaux incapables de faire face aux périls posés par la haute mer. Les migrants sont souvent à la merci de trafiquants payés pour les transporter de l’autre côté de la Méditerranée, mais ces derniers ne les accompagnent pas personnellement. Et de toute évidence, ils ne se préoccupent guère de la sécurité de leurs passagers.
Depuis la fin d’une mission de sauvetage italienne qui aura duré un an, au mois d’octobre 2014, il n’y a pas eu d’autre opération en mer Méditerranée de la part d’un État européen. L’Union européenne, dans son ensemble, n’a jamais opéré de mission de ce type.
Selon le World Factbook établi par la CIA, la Libye, un pays encore plongé dans la guerre civile, est devenue un pays de transit et une destination pour les réfugiés d’Afrique sub-saharienne et d’Asie.
L’actuel état d’anarchie qui règne dans le pays rend ces dizaines de milliers de réfugiés excessivement vulnérables aux trafics d’êtres humains, au travail forcé et autres formes d’exploitation.
Aux côtés de migrants en quête de meilleures perspectives économiques, de nombreux réfugiés utilisent ces embarcations peu solides pour tenter le voyage périlleux vers l’Europe.
« Nous, en tant qu’organisation juive, avons le sentiment d’être obligés de ne pas rester à ne rien faire face à cette crise humanitaire se déroulant sous nos yeux, en particulier quand elle se déroule si près de l’Europe », dit le directeur du Conseil de protection central des Juifs d’Allemagne, Aron Schuster, au Times of Israel.
« Tout ce que nous faisons en tant qu’organisation sociale et de protection est, d’un côté, basé, bien sûr, sur les droits humanitaires mais également sur les valeurs juives », ajoute-t-il. « Et le Talmud nous dit que sauver une vie, c’est sauver toute l’humanité ».
109 mondes sauvés
Après être sorti de l’impasse, l’Ocean Viking est retourné en mer. Mi-septembre, il a effectué deux missions et sauvé 109 personnes, dont un nouveau-né.
L’Ocean Viking se déplace dans tout le centre de la mer Méditerranée, depuis la Libye en remontant vers le nord, vers l’île italienne de Lampedusa et le sud de la Sicile, avec Malte entre les deux, explique Starke. Il précise que la zone couverte par le travail de sauvetage est vaste et que les migrants fuient constamment la Libye, la situation là-bas étant vraiment terrible.
Starke note que des navires tels que l’Ocean Viking sont nécessaires parce que personne ne viendra en aide à ces gens.
« Ils partent sur des canots pneumatiques et des petits bateaux en caoutchouc qui n’ont pas été conçus pour aller en mer et leur chance de tomber à l’eau et de se noyer est forte », ajoute-t-il.
Starke évoque d’autres navires de sauvetage d’ONG comme Sea Watch et Sea Eye. Il indique qu’il y a aussi un bateau, l’Alan Kurdi, qui porte le nom de l’enfant syrien de trois ans qui s’était noyé au mois de septembre 2015 et dont la photo était devenue le symbole de l’horreur vécue par les migrants.
« Ils ont treize migrants à bord actuellement, mais ils se trouvent coincés entre la Sicile et Malte, en attendant de savoir où amarrer en sécurité. Alors il n’y a que nous actuellement dans cette zone particulière de recherche et de fouille », dit Starke.
L’Institut d’études politiques internationales, think-tank italien, estime que déjà mille personnes sont mortes dans la Méditerranée au cours de l’année 2019. Il y a eu 16 455 départs de Libye, fait-il savoir, et qui ont été pour la plupart interceptés par les garde-côtes libyens. 5 591 personnes sont parvenues à gagner les rives européennes.
« Les gens que nous secourons nous disent qu’ils ont obtenu ces petits bateaux de la part de ceux qu’on appelle trafiquants de migrants », explique Starke.
« Ces trafiquants leur donnent du carburant – du kérosène pour les navires – et parfois des outils de navigation, mais ils disent souvent : « Voyez, ici, depuis la côte, vous voyez l’horizon, il y a de la lumière et cette lumière, c’est l’Italie’, » ajoute Starke. « Ce que les migrants ne savent pas, c’est que la lumière est celle des plateformes pétrolières offshore qui se trouvent encore dans les eaux territoriales libyennes. Ceux qui quittent la Libye n’ont donc pas vraiment idée de la distance réelle qui les sépare de l’Italie ».
La distance qui sépare Tripoli et Malte est, en fait, de 193 miles nautiques (environ 358 kilomètres).
Entrée dans la communauté juive
La participation du Conseil de protection central a été rendue possible par le biais de l’ADH (Aktion Deutschland Hilft), organisation d’aide regroupant 23 organisations membres. L’ADH émet des appels en faveur de causes variées susceptibles d’intéresser ses membres. Ces derniers peuvent alors choisir d’y répondre sous la forme d’une aide financière.
Dans le cas de l’Ocean Viking, seuls quatre ou cinq groupes ont répondu à l’appel lancé par l’ADH – dont le Conseil de protection central.
Schuster le dit clairement : le Conseil ne commente pas, et ne peut pas commenter les dossiers politiques. Mais alors que le Brexit se profile à l’horizon, que les violences antisémites perpétrées par les migrants augmentent et que les partis d’extrême-droite et anti-immigration glanent une portion croissante des votes – l’AfD, la formation nationaliste allemande, est dorénavant la plus grande force d’opposition au Parlement – l’initiative est perçue comme un exercice politique de funambule.
« Mais s’il s’agit d’une question d’aide humanitaire », explique Schuster, « c’est précisément là que nous intervenons et c’est là que nous tentons d’apporter notre soutien autant que possible en fonction de nos ressources ».
Selon l’UNHCR, 5,2 millions de réfugiés avaient déjà atteint les rives européennes à la fin de l’année 2016. Eurostats estime que leurs demandeurs d’asile primo-arrivants étaient plus que 580 000 personnes pour l’année 2018 seulement.
Schuster ajoute que parce que le Conseil de protection central est une organisation à but non-lucratif, il ne peut pas investir beaucoup d’argent dans des missions isolées – telles que le travail de sauvetage réalisé par l’Ocean Viking, et que le financement est nécessairement limité. C’est la troisième année que le Conseil de protection central soutient SOS Méditerranée, ayant déjà répondu par deux fois à l’appel à l’action lancé par l’ADH.
Au total, l’ADH a donné 150 000 euros à SOS Méditerranée cette année, annonce Starke. Il explique que la mission menée par Ocean Viking coûte 14 000 dollars par jour et que la majorité des 1,3 million d’euros collectés l’année dernière par son organisation proviennent de personnes privées qui donnent en général de 10 à 100 euros.
Il est important qu’une mission telle que celle-ci en appelle à un public aussi large que possible, dit Starke qui souligne également que SOS Méditerranée se plie à des obligations humaines et légales.
« L’argent est important pour mener à bien cette mission onéreuse mais le soutien moral est beaucoup plus important pour nous », souligne Starke.
« Nous devons relever de nombreux défis et connaissons de nombreux conflits avec des parties variées de la société qui pensent que le travail que nous faisons est lié à l’immigration, et il y a très souvent une forme de racisme à la base de ces allégations. C’est la raison pour laquelle il est important pour nous de mettre en place une alliance large, avec notamment le Conseil de protection central, pour dire qu’il y a un soutien apporté à ce que nous faisons et qu’il n’est pas possible de permettre que des êtres humains puissent mourir ainsi », explique-t-il.
Avec l’innovation allemande, les Israéliens viennent en aide
Le Conseil de protection central, dit Laura Cazes, conseillère du bureau de développement opérationnel de l’organisation, ne dispose pas de suffisamment de fonds pour aider l’Ocean Viking comme il voudrait le faire – mais le soutien financier n’est que l’un des aspects de l’aide offerte par son groupe aux migrants et aux réfugiés.
« Le problème des migrations a toujours été l’une des tâches au cœur du Conseil parce que la communauté juive, même avant la Shoah, s’est toujours impliquée dans cette question – avec les Juifs de l’est qui cherchaient de meilleures vies à l’ouest et finissaient par s’installer en Allemagne », explique Cazes.
Elle ajoute qu’au cours des trente dernières années, le Conseil s’est occupé des Juifs qui arrivaient de l’ex-Union soviétique alors que la communauté post-Shoah, en Allemagne, qui comptait 20 000 à 30 000 personnes avant l’afflux soutenu par le gouvernement passait à environ 100 000 personnes aujourd’hui. Le Conseil de protection central les avait non seulement aidés à trouver une place dans la communauté juive mais dans la société allemande plus généralement, dit-elle, en les soutenant dans la bureaucratie, en facilitant les cours de langue et en aidant à la construction des infrastructures.
L’expertise acquise au cours des dernières décennies a été « jusqu’à aujourd’hui, une sorte de niche pour la communauté juive », affirme Cazes. « Mais dorénavant, il y a tellement de gens qui viennent en Allemagne pour y trouver un refuge, pour y trouver un asile, et nous comprenons que là, ce sont les mêmes questions qui se posent. C’est là que nous avons réalisé qu’il y avait des compétences essentielles que nous avions et que nous pouvions les utiliser pour aider à un atterrissage en douceur de ces gens en quête d’asile ici, en Allemagne ».
Schuster dit que si le Conseil n’a pas les ressources ou les capacités pour mettre en place d’importants refuges ou fournir les premières aides, l’organisation a pu former un partenariat avec l’organisation humanitaire israélienne IsraAID, l’aidant à établir une branche nationale en Allemagne.
IsraAID a fait venir des spécialistes depuis l’Etat juif – travailleurs sociaux, psychologues, experts en traumatismes – « et nous avons utilisé les liens que nous entretenons avec d’autres importantes organisations humanitaires pour donner la possibilité aux spécialistes d’IsraAID d’intervenir dans les structures des autres groupes », note Schuster, qui appartient également au conseil d’administration d’IsraAID Allemagne.
« Une particularité de ces experts en traumatismes, c’est que certains d’entre eux sont des Israéliens arabophones », dit-il. « Ainsi, en plus de l’expertise en ce qui concerne le sujet, il y a également une sensibilité culturelle à l’égard des difficultés de ceux qui arrivent de Syrie, par exemple ».
Pour cette initiative, le Conseil de protection central a remporté le prestigieux prix national de l’intégration remis par la chancelière allemande Angela Merkel, en 2018.
« Etablir un partenariat avec une organisation israélienne qui a alors amené des spécialistes arabophones a été considéré comme un tournant très innovateur et une mesure très directe pour faire face à l’importante sensibilité culturelle survenue dans le sillage de la crise, ce que la majorité des organisations humanitaires allemandes ne pouvaient pas faire », dit Schuster.
« Elles n’avaient pas suffisamment de traducteurs, elles n’avaient pas suffisamment d’experts en mesure de communiquer directement avec les réfugiés dans leur langue natale et c’est là aussi que l’idée de non seulement prendre en charge les besoins de base des gens, mais de créer également des structures pour les aider dans leur quotidien a été considérée comme une approche innovante », continue-t-il.
Schuster affirme que le Conseil de protection central a conscience de l’inquiétude, au sein de la communauté juive, de ce que les migrants venus du Moyen-Orient ont eu « une éducation différente en ce qui concerne les Juifs et Israël, et il y a bien sûr la crainte d’un antisémitisme croissant de la société de la part des réfugiés venus du Moyen-Orient. »
Il explique que le Conseil de protection central a ouvert un centre dédié à la prévention de l’antisémitisme et autres discriminations.
« Nous savons très bien que l’antisémitisme existe : En même temps, la pratique nous a enseigné que l’antisémitisme est présent partout dans la société et, de plus, ce qui est très important pour nous, c’est que la peur de l’antisémitisme ne doit pas justifier le fait de rester à ne rien faire face à une crise humanitaire », déclare Schuster. « Et nous sommes ainsi autant dans l’obligation de sensibiliser au problème de l’antisémitisme que d’accomplir notre devoir en tant qu’organisation humanitaire ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel