Allemagne : La pire attaque antisémite depuis l’après-guerre en procès
Placé en détention provisoire et très surveillé, Stephan Balliet a tenté il y a quelques semaines de s'évader de prison, provoquant l'indignation de la communauté juive
L’homme accusé de la pire attaque antisémite dans l’Allemagne de l’après-guerre a cherché à exposer sa vision raciste du monde à l’ouverture de son procès mardi, incitant à plusieurs reprises la juge à menacer d’interrompre l’audience.
Stephan Balliet, un extrémiste de droite allemand de 28 ans, a méticuleusement répondu aux questions d’Ursula Mertens, présidente du tribunal de Magdebourg (Saxe-Anhlalt) où il est jugé pour avoir tué deux personnes après avoir échoué à commettre un massacre dans la synagogue de Halle lors de Yom Kippour à l’automne dernier.
S’adressant au tribunal, il a affirmé avoir « décidé en 2015 de ne plus rien faire pour cette société qui veut me remplacer par des musulmans et des nègres », en référence aux centaines de milliers de demandeurs d’asile fuyant la guerre en Syrie ou en Irak, qui ont trouvé refuge en Allemagne. « J’ai décidé qu’il n’y avait pas d’autre solution que de s’armer et de se battre, sinon nous serons tous ‘brunis’ dans 50 ans ».
La crise des réfugiés de 2015, au cours de laquelle des centaines de milliers de demandeurs d’asile fuyant la guerre en Syrie et en Irak ont trouvé refuge en Allemagne, a constitué le départ de sa « haine des musulmans et des arabes », a-t-il dit.
A plusieurs reprises, il les a insultés ou a utilisé un vocabulaire offensant.
La juge Ursula Mertens lui a alors coupé la parole, avertissant qu’il pourrait être expulsé de la salle s’il poursuivait ses diatribes racistes : « Je ne tolérerai pas que vous commettiez des crimes et (profériez) des insultes dans cette salle d’audience ».
Mais M. Balliet a poursuivi, affirmant qu’il n’avait « aucun problème avec les religions mais avec le sémitisme », sans réellement préciser sa pensée.
Souhaitant « commettre un massacre », selon l’acte d’accusation, il n’a exprimé aucun remords à ce sujet mardi.
Au contraire même, il s’est à plusieurs reprises auto-dénigré, se qualifiant de « bon-à-rien » pour avoir échoué dans sa tentative.
Le long déballage de l’accusé sur ses opinions racistes a créé un certain malaise dans la salle. « Cela se produit toujours, dans chaque procès, le suspect est plus ou moins sur le devant de la scène et a le droit de se défendre » dans la limite des règles, a expliqué le procureur Kai Lohse à l’AFP.
Le porte-parole du tribunal de Halle, Wolfgang Ehm, a de son côté réfuté toute volonté de la justice d’offrir à l’accusé « une plateforme » pour exprimer ses idées extrémistes.
Le 9 octobre dernier et en pleine fête religieuse de Yom Kippour, armé jusqu’aux dents, il avait donné l’assaut à la synagogue locale remplie de 52 fidèles avant, faute de parvenir à entrer, de retourner ses armes contre deux passants. Son attaque d’une synagogue en plein Yom Kippour avait choqué l’Allemagne.
L’homme est notamment poursuivi pour double meurtre, tentative de meurtres sur 9 autres personnes et incitation à la haine raciale.
Il encourt la prison à vie avec une période de sûreté de 15 ans.
Le tribunal de Magdebourg, en Saxe-Anhalt dans l’est du pays, a prévu 18 jours d’audience pour ce procès qui devrait durer jusqu’à mi-octobre.
« Je veux comprendre comment l’auteur en est arrivé à commettre cet attentat, comment est-il devenu un meurtrier ? », souligne Max Privorozki, président de la petite communauté juive de la ville de Halle, où le drame s’est déroulé le 9 octobre de l’année dernière, dans le journal Jüdische Allgemeine.
Il figure parmi les parties civiles de ce procès visant Stephan Balliet, un extrémiste de droite allemand assumé de 28 ans.
Sans exprimer aucun remord concernant l’attaque avortée de l’édifice religieux, une attaque qu’il savait « désespérée », il a cependant présenté ses excuses à ses victimes, une passante et un homme dont il croyait à tort qu’il était musulman.
Concernant la première, il a précisé : « Je suis vraiment désolé de lui avoir tiré dessus. Ce n’était vraiment pas prévu ou voulu, (…) c’était dans le feu de l’action ».
A LIRE / Une mélomane, un peintre : les victimes de l’attentat de Halle identifiées
« Mes clients souhaitent savoir comment cela s’est passé et pourquoi. Ils regarderont l’auteur dans les yeux pour lui signifier qu’ils ne partagent pas sa vision du monde », a expliqué avant l’ouverture du procès à l’AFP l’avocat de neuf parties civiles, Mark Lupschitz.
L’avocat de M. Balliet, Hans-Dieter Weber, a lui simplement indiqué que son client était « poli, bien élevé et amical ».
Stephan Balliet est accusé d’avoir commis « un attentat contre des citoyens et citoyennes de confession juive avec une motivation antisémite, raciste et xénophobe », a rappelé lors de la lecture de l’acte d’accusation l’un des procureurs, Kai Lohse.
« Massacre »
C’est vêtu d’une tenue militaire qu’il avait tenté d’entrer de force dans l’édifice religieux avec des charges explosives et des armes à feu, notamment un fusil fabriqué à l’aide d’une imprimante 3D.
Après avoir échoué à enfoncer la porte, il avait abattu une passante puis plus loin un homme dans un restaurant de kebabs, ciblé pour sa clientèle immigrée. La police l’avait finalement arrêté après une course-poursuite.
Le Renseignement intérieur allemand a dressé un parallèle avec les attentats commis à Christchurch en Nouvelle-Zélande quelques mois auparavant contre deux mosquées, qui avaient fait 51 morts.
L’homme, crâne presque rasé, arrivé à l’audience les pieds et mains menottés et vêtu d’une veste sombre et d’un jean, a clairement indiqué que les attentats de Christchurch lui avaient servi de modèle.
IL a en effet filmé et diffusé en direct son assaut lors duquel il niait l’existence de la Shoah et s’en prenait aux juifs. Selon lui, la « retransmission était plus importante que l’acte en lui-même » qu’il estime avoir échoué : « je me suis ridiculisé à un degré incroyable »
Il a aussi publié sur internet un « manifeste », apparu le lendemain, dans lequel il exprimait sa haine des juifs.
Pour la justice, il voulait « commettre un massacre ». Seule la solidité de la porte de la synagogue, verrouillée à double tour, l’en a empêché.
Socialement isolé et vivant chez sa mère dans un village reculé de Saxe-Anhalt, cet adepte des théories conspirationnistes néonazies avait abandonné ses études et passait la plus grande partie de son temps derrière un ordinateur.
« Dans sa vision du monde, il blâme les autres pour sa propre misère », souligne son avocat, Hans-Dieter Weber.
Après avoir examiné l’assassin présumé, le psychiatre Norbert Leygraf le décrit dans un document d’une centaine de pages consulté par le Spiegel comme présentant un trouble complexe de la personnalité aux caractéristiques autistiques. Cependant, il était conscient de l’injustice de ses actes.
Tentative d’évasion
Placé en détention provisoire et très surveillé, il a pourtant tenté il y a quelques semaines de s’évader de prison, provoquant l’indignation de la communauté juive.
L’accusé a réussi à échapper à la vigilance des gardiens en escaladant une clôture de 3,40 mètres de haut puis pénétré dans un bâtiment pénitencier adjacent sans être vu. N’ayant pas trouvé d’issue, il s’est laissé arrêter sans opposer de résistance.
Cet incident a entraîné la mise à l’écart d’un secrétaire d’Etat au ministère régional de la Justice.
En conséquence, M. Balliet aura les mains et pieds menottés lors de son transport jusqu’au tribunal et sera étroitement surveillé durant les audiences.
L’attaque de Halle survient dans un contexte de résurgence du terrorisme d’extrême droite dans le pays.
Il y a un mois s’est ouvert le procès d’un sympathisant néo-nazi, tueur présumé d’un élu pro-migrants membre du parti conservateur d’Angela Merkel.
En février dernier, un homme partisan de thèses racistes et antisémites a tué 9 personnes d’origine étrangère à Hanau en Allemagne.
Et tant l’armée que la police allemande sont secouées par des scandales autour de liens de certains de leurs membres avec l’extrême droite.