Au cœur du projet visant à faire de la baie de Haïfa un (gros) concurrent de Tel Aviv
Avec le projet Gateway to the Bay, usines polluantes et citernes vont céder la place à 130 000 logements, des rues piétonnes, des plages, des parcs, des canaux et des emplois verts
Dans le nord d’Israël, la zone plate et industrielle de la baie de Haïfa, qui borde la mer Méditerranée, offre un fort contraste avec les quartiers résidentiels et commerciaux qui dégringolent des collines verdoyantes, plus à l’intérieur des terres.
Dominée par le plus grand port maritime d’Israël, les cheminées de l’imposante raffinerie de pétrole Bazan, une grosse usine d’engrais et de multiples citernes de pétrole brut en bord de mer, cette vaste baie en forme de demi-lune est un véritable dédale d’usines, d’entrepôts, d’ateliers, de bâtiments décrépits et de terrains vagues remplis de mauvaises herbes. Une ligne de chemin de fer utile aux usines, raffineries et banlieusards coupe le reste de la ville de la zone balnéaire, grise et polluée.
Si le projet se révèle à la hauteur, alors les 20 prochaines années vont voir la baie se transformer en un centre florissant offrant logements et commerces de qualité, industries propres, vastes parcs, canaux et voies navigables, sans oublier l’accès à des plages de sable propre bordées d’hôtels, de cafés et d’installations sportives et de loisirs.
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Selon le projet dévoilé le mois dernier, cette réhabilitation de la baie est la clé de voûte de la transformation de la troisième ville d’Israël en une métropole capable de rivaliser avec Tel Aviv et ses environs en termes d’opportunités d’emploi et de qualité de vie. Elle pourrait devenir le coeur battant d’un nord revitalisé.
Habitants et ONG plaident depuis longtemps en faveur d’une fermeture des industries lourdes de la baie, et ce d’autant que des études suggèrent l’existence d’un lien entre vie dans la région de la baie de Haïfa et cancer, sans compter des troubles infantiles tels qu’un poids ou une circonférence crânienne inférieurs à la moyenne à la naissance.
Fin avril, urbanistes, architectes, ingénieurs, autorités locales et représentants de la société civile se sont réunis pour une conférence à l’Université de Haïfa pour en savoir plus.
Ce projet est l’aboutissement d’un travail commencé après l’adoption par le gouvernement de la décision 1231, en mars 2022, demandant à l’Autorité foncière israélienne et à l’administration de la planification de veiller à ce que la baie soit harmonieusement connectée au reste de Haïfa ainsi qu’aux autorités locales de la région et à la communauté de communes voisines plus connue sous le terme de Krayot.
En 2023, la Direction du développement de la baie de Haïfa, qui dépend des services du Premier ministre, a présenté un projet. En décembre dernier, le gouvernement donnait son aval au projet dans sa totalité, assorti de sa vision du développement de la région.
Ce projet d’ensemble, connu sous le nom de plan directeur, est adossé à la fermeture des industries lourdes de la baie – en particulier les industries pétrochimiques – et notamment celle de l’imposante raffinerie de Bazan, sans oublier l’usine d’engrais et les nombreuses citernes qui servent au stockage de pétrole.
Selon les grandes lignes de ce projet, il est question de faire de la baie une zone de quartiers résidentiels, de commerce et d’emploi durables, d’industries propres, de tourisme et d’espaces verts. Elle abritera également le plus grand port de fret du pays, deux ports maritimes et le petit aéroport de Haïfa.
Avec 130 000 nouveaux logements et la création de 560 000 emplois, Gateway to the Bay – le slogan associé au projet – s’annonce comme l’un des plus grands projets d’infrastructure de toute l’histoire du pays.
Des inspiration étrangères
L’Autorité foncière israélienne, en charge de la planification, s’est entourée de 60 entreprises pour l’aider à concevoir ce projet, avec quatre entreprises chargées de la coordination des plans détaillés d’une autre partie de la ville.
« L’approbation du plan d’orientation national 75 a été une étape importante, mais ce n’est qu’un début », explique Einav Ringler, directrice principale au département de la planification et des projets de l’Autorité foncière israélienne, notant qu’il reste encore « du chemin à parcourir » et de l’adversité.
Urbanistes et architectes se sont inspirés d’études de cas à l’étranger, où des zones abandonnées ont été transformées en espaces urbains prospères.
L’idée générale est de créer un tissu urbain de densité variable, avec des immeubles résidentiels de petite hauteur et des tours plus hautes, à usage mixte – résidentiel et commercial -. Les quartiers seront reliés à la côte méditerranéenne par des zones de verdure et des cours d’eau – avec la création d’une plage de sable bordée d’hôtels et d’installations sportives et de loisirs – et à un grand parc métropolitain, deux fois plus grand que le parc Yarkon de Tel Aviv, qui longera la rivière Kishon et intégrera plusieurs de ses affluents.
Le long de l’une de ces voies navigables, le ruisseau Saadia, un important complexe de haute technologie sera construit.
À proximité, les 83 hectares actuellement occupés par des citernes pétrolières seront convertis en une grande plage où il sera possible de se baigner dans des eaux de qualité, avec des cafés et des restaurants, dans le style de la zone portuaire de Tel Aviv.
Un peu plus à l’intérieur des terres, sur la même parcelle, neuf groupes d’immeubles résidentiels à haute densité et d’autres structures de services publics sont prévus, reliés par des pistes cyclables et des rues piétonnes. Selon ce projet, qui s’inspire de Barcelone, les transports mécanisés seront bannis de ces quartiers – voitures comprises -, de manière à ménager des espaces urbains totalement piétonniers, sur le modèle des campus.
Des corridors verts relieront ces groupes de grands immeubles à la plage.
Au sein du complexe se trouvera un immense parking – peut-être souterrain – ainsi que des installations publiques allant de l’école primaire et de jardins d’enfants à un hôpital. Des routes ouvertes aux transports publics et privés longeront la partie extérieure du complexe.
Au sud du quartier, en bord de mer, l’espace vert qui abrite actuellement un terrain de football délabré avec ses gradins deviendra un centre de sports et de loisirs. Entourées d’arbres, de grandes tours commerciales et de bureaux seront construites, ainsi qu’un centre de transport. Les auteurs du projet se sont, en l’espèce, inspirés du parc Lumphini de Bangkok, en Thaïlande, où de hautes tours entourent un espace vert parsemé d’installations sportives et de divertissement.
Le ministère de l’Économie réfléchit en ce moment-même à un programme économique stratégique de façon à attirer des emplois dans la région pour remplacer l’industrie lourde.
Dans le but de relier Haïfa à la Galilée et vice versa, un nouvel hôpital sera construit à Kiryat Atta, à l’est de la ville, par la caisse de santé Clalit.
Cet établissement remplacera le centre hospitalier Carmel, immeuble de style brutaliste situé au sommet d’une colline, au sud-ouest de Haïfa, endroit peu pratique pour la population de Galilée.
Des trains, mais pas des camions ; des canaux, mais pas de produits chimiques
Les auteurs du projet ont mis l’accent sur les transports en commun dans toute la région de la baie, en plus des pistes cyclables et des rues piétonnes. Au lieu de permettre aux voitures de saturer les artères principales, ces dernières seront conçues pour accueillir des commerces urbains et des cafés. Les camions lourds passeront à distance des zones urbaines.
Près de Yagur Junction, au sud-est de Haïfa, un grand parking relais sera construit à l’extrémité sud de Gateway to the Bay pour les besoins des conducteurs venant du Carmel voire de plus au sud encore.
Pour favoriser l’emprunt des transports publics, le centre de transport de Merkaz Hamifratz, situé à la gare routière et ferroviaire, sera rénové pour devenir le terminus d’une nouvelle ligne ferroviaire ultra-rapide en cours de construction par Israel Railways. Les trains, qui circuleront à une vitesse maximale de 250 kilomètres/heure, permettront de réduire de moitié le temps de trajet depuis Tel Aviv, pour le porter à 40 minutes.
Cette connexion rapide contribuera à galvaniser la croissance économique dans toute la région, en reliant la Galilée au centre financier et culturel d’Israël.
Les trains à destination de Haïfa emprunteront des tunnels sur la majeure partie du tronçon allant de la plage de Hof Hacarmel à la gare, ce qui permettra de rendre une grande partie du littoral aux habitants, et ce pour la première fois depuis que les Britanniques ont construit la ligne, il y a de cela un siècle. Cela permettra en outre de se rendre à pieds du centre-ville à cette côte « nouvelle version ».
Autrefois, la baie de Haïfa servait de principal bassin de déversement à la rivière Kishon et ses affluents, mais les constructions érigées sur d’anciennes zones humides ont donné lieu à d’importants problèmes de drainage et à des inondations.
Il est prévu de mettre à profit la présence abondante de l’eau pour en faire des étangs et des canaux, comme du côté de Hammarby Sjöstad, en Suède. Autrefois synonyme de pollution industrielle et de délabrement urbain, ce quartier périphérique de Stockholm a été transformé grâce à des travaux de rénovation urbaine qui ont su tirer parti des canaux et des voies navigables.
Au revoir, Bazan
Un élément central du projet est le démantèlement d’une énorme usine pétrochimique, présent dans la baie de Haïfa depuis le début du XXe siècle.
Doté d’une tour de refroidissement emblématique (il y en avait deux) qui lui donne des airs de centrale nucléaire, l’usine de Bazan Group Oil Refineries Ltd. occupe 213 hectares à deux kilomètres de la baie.
Cette usine transforme le pétrole brut importé en distillats qui vont du bitume, utilisé pour le revêtement routier, aux cires, huiles et lubrifiants en passant par les polymères. Le conglomérat a été, à plusieurs reprises, condamné à des amendes pour pollution atmosphérique et violation de ses permis d’émission.
Malgré les améliorations techniques apportées au fil des ans, il figure encore souvent dans le top dix des principaux pollueurs du pays, selon les rapports annuels du ministère de la Protection de l’environnement basés sur les chiffres de l’industrie. (Il figurait en septième position du rapport 2022, publié en septembre.)
Dans le cadre de ce projet, Bazan sera fermé et les matériaux qu’il fabriquait jusque-là seront importés et stockés dans des zones protégées.
Une fois libéré, l’ancien site de Bazan accueillera de nouveaux quartiers comptant 65 000 logements, de grandes zones commerciales, des immeubles de bureaux et des industries légères. Certains vestiges de Bazan seront conservés pour rendre palpable le lien entre le nouveau et l’ancien monde.
Des recherches approfondies en matière de dépollution des sols et eaux usées ont permis de se pencher sur la réhabilitation du quartier Bellwether, à Philadelphie.
Suite à l’explosion d’une raffinerie de pétrole, en 2019, les autorités ont en effet décidé de dépolluer Bellwether et de faire de ce site de 526 hectares un haut-lieu durable en matière de formation et d’emploi dans le domaine des sciences de la vie, du commerce électronique et de la logistique.
La fermeture de Bazan est l’un des principaux défis pour la Direction du développement de la baie de Haïfa, qui coordonne les nombreux organismes chargés de jouer un rôle dans cette réhabilitation, de façon à éliminer les obstacles et résoudre les problèmes.
Pour se substituer aux matériaux que le complexe industriel de Bazan produit ou manipule actuellement et assurer la continuité de l’approvisionnement en énergie, il faudra des infrastructures d’importation, de transport, de stockage et de distribution.
Ce plan de transition énergétique, qui prévoit la fermeture de Bazan au plus tard en 2029, comprend 500 tâches, toutes assorties d’échéances pour l’équipe dirigeante, emmenée par Yuval Admon.
Un comité de pilotage interministériel présidé par le conseiller économique en chef du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le professeur Avi Simhon, se réunira chaque trimestre dans le but de superviser l’avancement des travaux de cette équipe.
La compagnie pétrolière Chevron, qui extrait du gaz naturel au large des côtes de Haïfa, a déjà commencé à acheminer le sous-produit huileux du gaz (condensat) vers une autre raffinerie, celle d’Ashdod, sur la côte sud, et non plus vers Bazan.
Dans le but de stocker sur place les sous-produits pétroliers, ou distillats, qui seront importés, Israel Infrastructures, société contrôlée par l’État, devrait mettre cette année le point final au projet de construction d’un terminal de stockage dans le port. Les travaux devraient commencer dans les tout prochains mois.
Israel Infrastructures est par ailleurs propriétaire des citernes de pétrole évoquées plus haut, qui vont laisser la place à des logements résidentiels ainsi qu’à une plage.
Des négociations sont en cours entre l’État et les entreprises propriétaires de Bazan, ainsi que du complexe d’engrais, au sujet de leur expulsion. La raffinerie de pétrole et ses sociétés associées – Gadiv et Carmel Olefins – emploient près de 1 300 personnes, dont beaucoup dans des secteurs très en demande et quelques centaines, pour l’usine d’engrais.
Jusqu’à présent, Bazan s’oppose au projet de fermeture de son usine de Haïfa en agitant notamment le spectre de la dépendance aux importations pour les besoins pétroliers domestiques, affirmant qu’Israël dépendrait alors de la Turquie pour le kérosène, le gaz de cuisine et le diesel.
« Le fantasme qui voulait que l’État d’Israël puisse exister sans sa raffinerie s’est effondré avec la guerre [contre le Hamas à Gaza] », a déclaré Bazan par voie de communiqué. « Ceux qui continuent de penser que Bazan peut être fermé portent sérieusement atteinte à la sécurité du pays. »
Simhon, qui préside le Conseil économique national au sein des services du Premier ministre (avec Admon comme adjoint), est d’un avis contraire.
Il rappelle que les hauts dirigeants du secteur de la Défense ont été les premiers favorables à la fermeture de Bazan – ils craignaient de devoir fermer le complexe pendant une guerre et de se retrouver avec du pétrole brut mais pas de distillats -. Simhon a d’ailleurs déclaré lors de la conférence : « Si cette guerre [contre le Hamas à Gaza] a un effet, c’est celui de rendre toujours plus urgente la fermeture de Bazan. Si quelqu’un dit le contraire, c’est probablement qu’il est payé pour le faire. »
Admon explique au Times of Israel que le port de Haïfa pourrait se développer et devenir un centre logistique important si la vision du président américain Joe Biden d’un corridor commercial reliant l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe venait à concurrencer l’initiative chinoise Belt and Road.
« Si j’étais Bazan, je réfléchirais à la façon de faire partie de ce futur centre logistique », précise Admon.
Toujours pour le Times of Israel, Simhon estime que Bazan sait pertinemment que « c’est déjà trop tard ».
Une fois les installations de stockage terminées, la société fermera, « avec ou sans son accord », rappelle-t-il, et avec des dédommagements limités de la part de l’État.
Un je ne sais quoi dans l’air
Simhon et Admon poussent ce projet depuis des années.
Comme Simhon l’a dit à la conférence, la répartition de la population est un des aspects stratégiques du projet du Conseil économique national. Cela fait longtemps que les spécialistes tentent de favoriser la croissance démographique dans le nord du pays, mais jusque-là, Haïfa et d’autres villes ont plutôt eu tendance à se vider de leurs habitants, comme en témoignent les chiffres du Bureau central des statistiques.
En 2016, Simhon s’est rendu dans une usine Intel à Kiryat Gat, dans le sud d’Israël, avec Netanyahu et a demandé à sa directrice pour quelle raison Haïfa perdait des habitants.
« Sans hésitation, elle a répondu : ‘Je serais heureuse d’envoyer mes ingénieurs à Haïfa, mais ils ne veulent pas y aller à cause de la pollution’. » Ça a été le déclic. Bazan est le problème au cœur de cette métropole. Une fois qu’elle m’a dit ça, tout est devenu clair », se souvient-il.
Depuis lors, Simhon et Admon ont fait en sorte d’amener le gouvernement sur cette voie, avec un examen économique des options pour Bazan par le cabinet international de conseil en gestion, McKinsey, et un comité interministériel de directeurs généraux.
La levée de boucliers qui a suivi l’annonce de la fermeture de l’usine s’est depuis transformée en soutien de la part de l’ensemble des ministères.
La municipalité de Haïfa s’y est elle aussi ralliée.
Il demeure toutefois une certaine nervosité à propos de l’échéance de fermeture de Bazan, en 2029.
Le ministère de l’Énergie a rappelé par voie de communiqué qu’il était un
« partenaire à part entière » du projet, mais que le calendrier n’était
« qu’indicatif ». L’achèvement des tâches dépendra de la rapidité de la planification et de l’approbation des fonds, a-t-il ajouté.
Le financement du projet n’est manifestement pas un problème pour l’heure : l’État prévoit de vendre des terrains pour payer les importants travaux d’infrastructure et l’Autorité foncière israélienne a déjà dépensé 100 millions de shekels pour le projet.
« Je pense que la zone métropolitaine qui va sortir de terre va agir comme un véritable contrepoids, une vraie concurrence » à la région métropolitaine de Tel Aviv, a déclaré Simhon lors de la conférence.
« Dans une vingtaine d’années, cet endroit sera des plus attractifs. »
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