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Au procès du frère Merah, un témoin raconte « l’insoutenable » à l’école juive

Jonathan, 17 ans au moment des faits, a raconté la douleur "de ce 19 mars 2012, devant la cour d'assises spéciale de Paris, au procès d'Abdelkader Merah

Des policiers devant l'école Ozar Hatorah, à Toulouse, le 19 mars 2012. (Crédit : AFP/Archives Remy Gabalda)
Des policiers devant l'école Ozar Hatorah, à Toulouse, le 19 mars 2012. (Crédit : AFP/Archives Remy Gabalda)

C’était le moment de la prière des morts (le Kadish) quand Mohamed Merah a surgi et tué un enseignant et trois enfants de l’école Ozar Hatorah de Toulouse : Jonathan, alors 17 ans, a raconté lundi la douleur « insoutenable » de ce 19 mars 2012, devant la cour d’assises spéciale de Paris.

Il ne regarde pas Abdelkader Merah, le frère du tueur, rejugé après avoir été condamné à 20 ans de réclusion en première instance pour association de malfaiteurs terroriste mais acquitté du chef de « complicité ».

Elève avocat, le jeune homme surmonte sa peine pour tâcher d’être précis, relater en détail ces 36 secondes d’horreur et les heures interminables où les élèves restèrent confinés au réfectoire, pendant que les médecins légistes travaillaient dans la cour.

Ce jour-là, il est dans la synagogue de l’école quand il entend les premiers coups de feu. « Des pétards », pense-t-il. Mohamed Merah vient de tuer Jonathan Sandler, professeur de religion, 30 ans, et ses deux fils, Arié et Gabriel, 5 et 3 ans. Se penchant à la fenêtre, il voit « une personne casquée entrer dans l’école » qu’il imagine être « un coursier ».

Les tirs reprennent. Brian, comme les autres enfants, s’est rué dans l’école pour se mettre à l’abri. Dans la cour, le tueur a fait feu sur Myriam, revenue chercher son cartable. Puis il rattrape Gabriel, qu’il achève d’une balle dans la tête.

Brian peine à prononcer le prénom de Myriam, dit le plus souvent « la fille du directeur ». Il garde de cet instant le souvenir de la douleur et une cicatrice de 30 cm. Tout le reste est plus flou, mais il a tenu à venir : « c’est une étape de mon rétablissement ».

Jonathan Sandler, shot to death Monday in Toulouse, France, pictured with his two slain sons and with his wife (who was not hurt in the attack). (photo credit: via Facebook)
Jonathan Sandler, avec ses deux fils assassinés par Mohammed Merah à Toulouse en mars 2012, et son épouse, qui n’a pas été blessée physiquement dans l’attaque. (Crédit : Facebook)

Les tirs reprennent. Dans la cour, le tueur a fait feu sur Myriam Monsonégo, 8 ans, la fille du directeur d’école, revenue chercher son cartable.

La conseillère pédagogique fait irruption dans la synagogue et crie « Il y a un tireur dans l’école ! » Jonathan répète le message au directeur. « Ses yeux s’écarquillent, il court. Dehors, il tombe sur sa fille ».

Dans cette « toute petite école », 200 élèves de la 6e à la terminale, tout le monde se connaît. Comme une « famille ». Jonathan a déjà gardé Myriam, une gamine discrète, qui se cachait dans sa chambre sauf quand il « se mettait au piano ». Il a aussi gardé Arié et Gabriel, des petits joyeux.

Dans la panique qui croît, les élèves cherchent un réconfort. « J’ai 17 ans, les plus petits viennent vers moi, me prennent les mains, les bras. » Ils vont être conduits au réfectoire, où il seront confinés de 8H00 à 11H00.

« Moment de folie »

Reproduction photo of 8-year-old Miriam Monsonego (Flash90/JTA)
Reproduction photo of 8-year-old Miriam Monsonego (Flash90/JTA)

« Il y a 50 ou 60 gamins qui hurlent, pleurent, tapent du poing contre les murs. Un gamin de 13 ans hurle à se griffer le visage, jusqu’à s’en arracher les vêtements. Il crie ‘Myriam est morte, Myriam est morte !’. C’est quelque chose qu’on n’est pas censé vivre », dit le jeune homme.

« C’est tellement insoutenable que j’ai un moment de folie. C’est trop dur. Je sors, je cours vers la sortie. Je tombe. Il y avait du sang partout, je vois le cartable de Myriam plein de sang. Même les médecins avaient l’air choqués », poursuit-il.

Sept ans plus tard, « la vie reprend ses droits » mais il y pense « tout le temps ». « Il n’y a rien ni personne qui pourrait réparer ça ». Il dit sobrement « la peur » des survivants, ceux qui ne vont plus jamais au cinéma ou en terrasse, ceux qui sont venus témoigner et ceux qui n’ont pas eu la force.

Futur avocat, il a « totalement conscience du droit de la défense à un procès équitable », et il espère que les preuves permettront de « retenir la complicité » d’Abdelkader Merah. « J’ai du mal à vivre avec l’idée que peut-être il est complice et que peut-être il ne sera pas condamné pour ça. »

Les portraits des sept victimes – Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Gabriel Sandler, Aryeh Sandler, Myriam Monsonégo et Jonathan Sandler – de Mohamed Merah pendant une cérémonie de commémoration organisée par le CRIF à Toulouse, le 19 mars 2014. (Crédit : Rémy Gabalda/AFP)

Le matin de ce 19 mars, le jihadiste s’était caché dans une résidence pour tuer deux autres militaires, qu’il n’est pas parvenu à approcher. Furieux, il avait alors tourné en scooter dans les rues et s’était retrouvé devant l’école juive, avait-il lui-même expliqué aux enquêteurs avant d’être abattu par la police.

Sans prononcer le nom d’Abdelkader, Samuel Sandler, qui a perdu un fils et deux petits-enfants, avait peu avant cité Albert Camus : « On ne pense pas mal parce qu’on est meurtrier. On est meurtrier parce qu’on pense mal. C’est ainsi qu’on peut être meurtrier sans jamais tuer apparemment ».

Cette journée du 19 mars clôt la déambulation sanglante de Mohamed Merah, qui avait déjà tué trois militaires – Imad Ibn Ziaten, 30 ans, Abel Chennouf, 25 ans, et Mohamed Legouad, 23 ans – les 11 et 15 mars.

Le verdict est attendu le 18 avril.

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