Avec l’attaque du Hamas, la communauté juive de Strasbourg a perdu son insouciance
Le climat apaisé de la capitale alsacienne est érodé et le dialogue interreligieux, qui doit beaucoup au régime concordataire en vigueur en Alsace-Moselle, s'effrite
Tags antisémites, insultes, présence policière renforcée : à Strasbourg la communauté juive a perdu son insouciance depuis l’attaque perpétrée par le groupe terroriste du Hamas en Israël, et le modèle alsacien de dialogue interreligieux s’effrite.
Avec environ 20 000 membres dans le Bas-Rhin, essentiellement à Strasbourg, la communauté juive est l’une des plus importantes de France. Elle jouit d’un statut particulier en vertu du régime concordataire en vigueur en Alsace-Moselle, selon lequel la République reconnaît et salarie certains cultes, et qui a favorisé les échanges entre communautés.
« A Paris, si je sors en kippa, je sais que je vais subir une ou deux agressions verbales. À Strasbourg, le climat est beaucoup plus apaisé. Des gens viennent s’y installer pour ça et parce qu’il y a toutes les infrastructures : écoles, magasins cashers, restaurants », explique Raphaël, qui a posé ses valises en 2014 dans la capitale alsacienne après avoir vécu à Paris et en Israël.
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« On avait choisi Strasbourg pour la communauté, les infrastructures, la sécurité », justifie ce père de quatre enfants, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
Mais depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas, ce sentiment de sécurité s’est érodé. La famille a évité de se rendre dans le centre-ville lorsqu’il y avait des manifestations pro-palestiniennes et leur fille de 10 ans « ne veut plus aller seule à l’école parce qu’elle se sent visée ».
Le père de famille a rejoint le groupe des « parents protecteurs », un dispositif mis en place par le Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ), qui sollicite les parents d’élèves pour renforcer la veille sur les écoles juives et les synagogues.
Raphaël a aussi acheté des bombes lacrymogènes, partant du principe « qu’il vaut mieux être trop prudent mais en vie ».
« Manque de solidarité »
Abraham, 31 ans, a lui retrouvé sa voiture vandalisée : « Il y avait deux kippas en évidence ».
« On reste positif parce que c’est notre façon de penser », assure le jeune homme, qui préfère rester anonyme, mais il regrette un « manque de solidarité » envers la communauté juive, là où il aurait espéré « une union nationale ».
Le grand rabbin de Strasbourg Harold Weill s’avoue « sidéré par la fulgurance avec laquelle notre société peut montrer son visage le plus laid ».
« Pas une demi-journée ne passe sans qu’on nous signale des tags, de plus en plus agressifs, sur des portes d’appartements, de garages. Il y a des gens qui s’arrêtent en voiture et ouvrent leur vitre pour lancer des insultes, assimilant les Juifs à des terroristes meurtriers », décrit-il à l’AFP.
« Personne n’y est indifférent. Mais pour des rescapés de la Shoah ou leurs descendants ce n’est pas la même chose de voir des tags ‘mort aux Juifs' », souligne le grand rabbin, interviewé lors de la manifestation contre l’antisémitisme, le 12 novembre.
L’histoire des Juifs en Alsace remonte au XIIe siècle.
« Autrefois les Juifs n’étaient pas acceptés dans les grandes villes donc ils s’installaient dans les campagnes. A partir de la Révolution, ils ont commencé à refluer vers les petites villes, et progressivement ils sont parvenus à grimper l’échelle sociale, ont fondé des boutiques, sont devenus médecins, avocats, et ils sont partis vers les grandes villes », rappelle Jean-Louis Lévy, qui entretient la mémoire juive à Haguenau, à 35 kilomètres au nord de Strasbourg.
Tags antisémites
« Aujourd’hui, 97 % de la communauté juive d’Alsace vit dans les grandes villes, à Strasbourg, Colmar et Mulhouse », précise M. Lévy.
« Le judaïsme fait partie de l’identité culturelle de cette ville, de cette région. C’est la raison pour laquelle voir certaines valeurs s’effriter, particulièrement à Strasbourg, c’est inquiétant », insiste Harold Weill.
En 1940, la synagogue avait été incendiée par les nazis. Pour la remplacer, la grande Synagogue de la Paix a été bâtie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est à ses abords que le 19 octobre, un adolescent muni d’un couteau a été interpellé. Il a depuis été mis en examen et placé en centre éducatif fermé.
L’incident, comme les inscriptions antisémites apposées dans les transports en commun, sur les murs de l’université ou dans les rues, inquiète.
« Vivre ensemble ne serait-il plus qu’un vague slogan ? », s’est interrogé le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, par ailleurs prêtre catholique, en prenant la parole lors du rassemblement contre l’antisémitisme.
Car le conflit a eu des répercussions sur les relations entre les communautés.
Le rabbin de la synagogue de la Meinau, Mendel Samama, a claqué la porte d’une association de dialogue interreligieux créée il y a dix ans, dénonçant l’absence de réaction des autres membres. « Ce silence, je l’ai très mal vécu », souligne M. Samama à l’AFP.
« La communauté juive s’est sentie très seule dans les jours qui ont suivi l’attaque terroriste alors qu’on attendait une réaction spontanée des citoyens lambdas », explique Harold Weill.
Repli
En Alsace, le régime concordataire a rendu naturelles des rencontres entre les religions mais « force est de constater que les bases n’étaient pas saines : au premier conflit tout s’effondre », déplore Maurice Dahan, président du Consistoire.
Abdelaziz Choukri, administrateur de la Grande mosquée de Strasbourg, constate lui aussi que « le dialogue, qui fonctionnait très bien entre les familles religieuses est en panne ». « On sent réellement un repli de chaque communauté », témoigne-t-il, y voyant les « secousses » locales du « tsunami mondial » survenu le 7 octobre.
Pour lui, « ce ne sont pas les religions qui vont régler le conflit israélo-palestinien, mais notre mission c’est de continuer à œuvrer pour qu’on puisse vivre ensemble dans le respect de la pluralité religieuse ».
Le 19 octobre, un chanteur juif, une chanteuse chrétienne et un ensemble musulman se sont produits devant plusieurs centaines d’enfants réunis à la Grande mosquée de Strasbourg dans le cadre du festival de musique sacrée « Sacrées Journées ».
« Un moment suspendu » qui a permis de « décloisonner les esprits », selon M. Choukri.
Et aussi un rare moment d’union, avec la manifestation contre l’antisémitisme, qui a réuni plus de 5 000 personnes.
Pour le grand rabbin Weill, « on a perdu un peu cette insouciance, ce côté léger qui faisait la particularité de notre ville. J’espère qu’on la retrouvera. Je ne suis pas de ceux qui vont dire à mes coreligionnaires de se cacher ou de baisser la tête mais je suis inquiet quant à l’avenir de notre société ».
« Face à la recrudescence des manifestations et des discours politiques anti-Juifs en France », Raphaël et sa famille ont pour leur part décidé de quitter Strasbourg et de retourner vivre en Israël.
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