Avec les divergences entre Sinwar et Haniyeh, y a-t-il deux Hamas ?
La branche armée s'aligne davantage sur ce que l'Iran appelle "l'axe de la résistance" alors que l'aile politique qui siège à Doha se montre plus ouverte aux efforts diplomatiques

Le groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas est régi par deux entités distinctes, les membres de son bureau politique qui vivent au Qatar et ceux de sa branche armée à Gaza, une dualité dont le fonctionnement opaque complique les négociations sur un cessez-le-feu.
A Doha, le dirigeant officiel, Ismaïl Haniyeh, discute ouvertement avec les autorités qataries.
Yahya Sinwar, architecte présumé de l’attaque du 7 octobre contre Israël, dirige pour sa part le groupe à Gaza avec, à son service, sa branche armée, les brigades al-Qassam. Il se terre dans des tunnels pour échapper à la mort que lui promet l’armée israélienne.
Une situation que les chancelleries – Etats-Unis, Qatar et Egypte en tête – doivent intégrer pour obtenir un cessez-le-feu dans la guerre qui oppose depuis le 7 octobre Israël aux terroristes du Hamas à Gaza.

Une source proche des négociations a ainsi expliqué à l’AFP que chaque proposition envoyée au bureau politique du Hamas devait être transmise à l’aile armée Gaza. « Chaque modification signifie des échanges dans les deux sens », a ajouté cette source, sous couvert d’anonymat.
Inévitablement se pose la question de qui a l’ascendant sur l’autre. Et la logique du terrain l’emporte sur la politique.
Pour la revue CTC Sentinel, de l’Académie militaire américaine West Point, « la direction basée à Gaza est devenue plus importante, compte tenu de son contrôle du territoire et des avantages financiers et militaires qu’il génère ».
Eva Koulouriotis, analyste indépendante, estime elle aussi que « Yahya Sinwar est devenu la voix la plus forte » du mouvement.

Celui qui a passé plus de 20 ans dans les prisons israéliennes avant d’être libéré en 2011 a progressivement accru son emprise sur les décisions du mouvement.
Il a même nommé son frère, Mohammed Sinwar, à la tête de la brigade de Khan Younès (sud), la plus importante de la branche armée. Dans le même temps, ajoute l’experte, « le rôle de Haniyeh était marginalisé ».
Un rapport de force nullement anodin. Quand Sinwar « pense que la diplomatie ne devrait être qu’un moyen de soutenir l’action militaire », le bureau politique le pousse à « faire des concessions », résume Eva Koulouriotis.
Officiellement, le groupe terroriste palestinien affiche son unité. « Le Hamas ne va pas faire état de ses différences, il ne fonctionne pas comme ça », explique Sharmine Narwani, éditorialiste de la revue libanaise de géopolitique The Cradle.

Mais Sinwar et Mohammed Deif, chef des brigades al-Qassam sont, selon Narwani, « bien plus alignés » que la branche politique sur l’Iran.
L’Iran, qui ne reconnaît pas l’existence d’Israël, se considère avec le pouvoir en Syrie, le Hezbollah libanais, des groupes irakiens et les yéménites Houthis comme faisant partie de « l’axe de la résistance » face à Israël au Moyen-Orient.
Ils « considèrent la lutte armée comme le dogme de la voie palestinienne vers la libération ».
Ces divergences, pour autant, ne sont pas récentes. Devorah Margolin et Matthew Levitt les décrivent dans CTC Sentinel comme inhérentes au groupe fondé en 1987.

« Le ton parfois conciliant des messages publics des responsables du Hamas a été démenti par les actions constamment violentes du groupe », expliquent-ils.
Le Hamas a souvent jonglé avec des antagonismes apparemment irréconciliables.
Une ligne religieuse rigoriste mais une victoire aux élections en 2006. Une volonté de gouverner mais un projet initial de détruire Israël, qui lui vaut d’être qualifié « d’organisation terroriste » par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE).
Lors de l’attaque barbare du 7 octobre, le Hamas dit avoir voulu replacer la question palestinienne au cœur des priorités du monde. L’opération a entraîné la mort de plus de 1 160 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes. La plus jeune victime avait 10 mois. Les terroristes de Gaza et leurs complices civils ont emmené 253 autres personnes en otages dans l’enclave. Le plus jeune otage a un an.

En guise de riposte, Israël a promis « d’anéantir » le Hamas et lancé une offensive militaire qui a fait, selon le Hamas, plus de 28 100 morts dans la bande de Gaza. Les chiffres du Hamas sont invérifiables de manière indépendante et ne font pas de distinction entre les civils et ses membres. Il ne distingue pas non plus les morts dus à ses actes et ceux dus aux actions israéliennes.
Haniyeh étant protégé par le Qatar, Israël a juré d’éliminer Sinwar. Lundi, le ministre israélien de la Défense a affirmé qu’il errait « de cachette en cachette » alors que les forces israéliennes bombardent Khan Younès, sa ville natale.
« Il est incapable de communiquer avec son entourage », a affirmé Yoav Gallant, convaincu que Sinwar se concentrait sur « sa survie personnelle ».
Parvenir à un accord supposera pourtant de convaincre Sinwar et ses proches, affirme à l’AFP Nashaat Aqtash, professeur de l’université de Birzeit, près de Ramallah, en Cisjordanie.

Et rien ne sera plus complexe. « Personne ne peut contrôler les brigades al-Qassam. Pas les pays arabes, pas l’Iran, pas le bureau politique ni personne d’autre », dit-il.
Sinwar ne rend de comptes à quiconque. Selon l’universitaire, le bureau politique « n’a pas été lié aux attaques du 7 octobre. Je pense qu’ils n’étaient pas au courant du projet », même s’ils savaient probablement que quelque chose se tramait.
L’expert souligne la culture du secret du Hamas. Et affirme que nul ne sait réellement si Sinwar étudie personnellement les critères de l’accord de trêve.
« Tout le monde le dit, mais personne ne sait », assure Nashaat Aqtash.
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