Avec Trump, le spectre d’un retour des années 30 agite les historiens
Le rejet affiché par Trump du droit international et son mépris apparent pour l'inviolabilité des frontières évoquent, chez certains historiens, un retour à la loi du plus fort qui prévalait dans l'entre-deux guerres

Un territoire européen annexé, des démocraties tétanisées et des saluts hitlériens : le choc créé par le rapprochement de Donald Trump avec Vladimir Poutine fait ressurgir des parallèles avec les années 30 et la passivité occidentale face à l’Allemagne nazie.
Comparer deux époques distantes d’un siècle n’est pas chose aisée. Mais, de part et d’autre de l’Atlantique, des historiens se prêtent à l’exercice pour sonder l’ampleur du séisme de la deuxième présidence Trump, sur fond de craintes d’un emballement militaire généralisé dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.
« On en revient encore aux années 30 parce que c’était une période cruciale pendant laquelle les démocraties ont été mises à l’épreuve et ont échoué à stopper les dictatures, alors qu’il est désormais admis qu’elles auraient pu former un front uni contre Hitler et éviter la guerre », expose à l’AFP John Connelly, historien à l’université de Berkeley, aux Etats-Unis.
De fait, le ton conciliant de l’administration américaine vis-à-vis de Moscou fait écho, pour certains experts, à la réaction occidentale à l’annexion allemande des Sudètes en 1938. Les Européens l’avaient tolérée dans l’espoir de calmer les velléités guerrières du régime hitlérien.
« La comparaison s’impose nécessairement puisque des acteurs politiques absolument majeurs, en l’occurrence les maîtres du monde pour aller vite, se réfèrent eux-mêmes au phénomène qui a pavé la route de la Seconde Guerre mondiale, à savoir le nazisme », souligne auprès de l’AFP Johann Chapoutot, spécialiste de l’Allemagne nazie, évoquant les saluts hitlériens présumés du milliardaire Elon Musk, pièce maîtresse de l’administration Trump.
La première présidence de l’homme d’affaires (2017-2021) et plus encore l’assaut contre le Capitole en janvier 2021, après sa défaite électorale, avaient fait naître aux Etats-Unis d’intenses discussions sur la nature, fasciste ou pas, du pouvoir trumpiste. Ce « Fascism Debate » reprend aujourd’hui de l’ampleur.
Interrogé par le New York Times, le célèbre historien américain Robert Paxton, d’ordinaire rétif à utiliser un qualificatif « qui génère plus de bruit que de clarté », avait revu sa position avant même le triomphe électoral de Donald Trump en novembre. « Ca bouillonne de manière très inquiétante et c’est très similaire au fascisme originel », estimait-il fin octobre.
Les premiers pas de Trump à son retour à la Maison Blanche, son rejet affiché du droit international et son mépris apparent pour l’inviolabilité des frontières évoquent, chez certains historiens, un retour à la loi du plus fort qui prévalait dans l’entre-deux guerres.

« Force brute »
« Il y a beaucoup de choses qui rappellent les années 30, beaucoup de cases identiques qui sont cochées dans la déliquescence du politique, la fragilité d’un certain nombre d’acquis, le droit international foulé au pied et l’usage décomplexé de la force, de la brutalité contre ses alliés », souligne Tal Bruttmann, historien spécialiste de la Shoah.
« Il y a plusieurs définitions du fascisme mais, s’il y a une vertu cardinale, c’est la force brute ».
Les deux époques sont toutefois loin d’être totalement similaires.
Dans les années 30, le monde occidental était plongé dans un profond marasme économique, sur lequel ont prospéré le fascisme italien comme le nazisme allemand. Aujourd’hui, l’activité est certes atone en Europe mais continue d’y croître et les Etats-Unis connaissent une période de dynamisme économique.
« La chose étrange, c’est que les Etats-Unis aient élu un homme hostile à la démocratie alors que l’économie progresse », note John Connelly.
« Cependant, le cas de Poutine représente un parallèle pertinent, car il est à bien des égards similaire à Hitler : un dictateur agressif, ouvertement agressif, qui n’est pas intéressé par le respect des règles internationales », souligne-t-il.
Après la Seconde Guerre mondiale, la communauté internationale s’est dotée d’institutions censées garantir la coopération entre les nations (ONU, FMI, Banque mondiale…) et de protections croissantes des droits humains (Cour pénale internationale, Cour européenne des droits de l’Homme…) qui n’existaient qu’à l’état embryonnaire et pourraient servir de garde-fous.
« Après 1945, on a décidé de civiliser le monde, au sens littéral, c’est-à-dire de faire du monde une cité où on respecterait le droit avant de s’entretuer », explique M. Chapoutot.
Mais ces digues semblent fragilisées, sous les coups de boutoir américains. « Ces lois existent mais le problème c’est que l’administration Trump, à la stupeur générale, n’a aucun respect pour elles », souligne M. Connelly, déplorant que « les Etats-Unis n’aient pas retenu les leçons de l’Histoire ».