Baux dans la Vieille Ville : la Cour suprême statue en faveur d’Ateret Cohanim
Le jugement met fin à une bataille de 14 ans entre l'Eglise grecque-orthodoxe et un groupe pro-implantation , l'archevêque dénonce une décision "illégale et illégitime"
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Dans un coup majeur porté à l’Église grecque-orthodoxe, la Cour suprême a estimé mardi qu’elle n’avait aucune raison d’intervenir dans une décision prise par une juridiction inférieure, en 2017. Celle-ci avait prononcé un jugement favorable au droit d’une organisation pro-implantation juive à exploiter les baux de trois biens immobiliers appartenant à l’Église, situés dans des emplacements de premier choix de la Vieille Ville de Jérusalem.
L’achat par Ateret Cohanim de baux emphytéotiques – renouvelables pour 99 années supplémentaires – via trois sociétés-écrans avait été contesté par l’Église, qui avait clamé que les accords avaient été ratifiés par un responsable qui s’était livré à des actes de corruption et qui n’avait pas été autorisé à conclure ces ventes.
Les juges ont pour leur part expliqué que l’Église n’avait pas présenté suffisamment de preuves montrant le caractère frauduleux de la transaction.
Dans un communiqué, l’archevêque grec-orthodoxe palestinien Atallah Hanna a qualifié la décision prise par la Cour suprême « d’illégale et illégitime ».
« La saisie des propriétés historiques de la porte de Jaffa par des organisations extrémistes est une nouvelle catastrophe qui s’ajoute aux catastrophes et aux revers subis par la présence chrétienne dans cette Ville sainte », a-t-il déclaré, appelant à mener des actions pacifiques pour faire annuler cette acquisition.
L’Eglise grecque orthodoxe compte près de 200 millions de membres à travers le monde. Ses fidèles en Israël et dans les Territoires palestiniens sont estimés à quelque 90 000, et elle constitue la principale communauté chrétienne en Terre sainte.
Le Patriarcat grec-orthodoxe a souvent été accusé par les Palestiniens de vendre ou louer ses biens fonciers à Israël.
Selon des documents du tribunal, trois sociétés-écrans – Berisford Investments Limited, Richards Marketing Corporation et la Gallow Global Limited – avaient signé des accords en 2004 avec l’Église concernant l’acquisition de trois baux de 99 ans : le premier pour l’hôtel Imperial, à hauteur de 1 million d’euros ; le deuxième pour l’hôtel Petra, d’un montant de 450 000 euros, et le troisième conclu pour un immeuble situé également dans la Vieille Ville, la Maison Muzamiya, au prix de 50 000 euros.

Les deux hôtels – le New Imperial et le Petra – sont situés entre la porte de Jaffa et l’entrée du marché arabe.
Autrefois luxueux, les deux hôtels accueillent aujourd’hui principalement des groupes de touristes et des routards.
Ateret Cohanim tente de peupler la Vieille Ville et les quartiers de Jérusalem-Est de résidents juifs en achetant des biens immobiliers à leurs propriétaires non juifs, souvent par le biais de sociétés-écrans.
La vente de ces baux à long-terme – qui avait été révélée en 2005 par le journal Maariv – avait entraîné l’indignation au sein de la communauté palestinienne, qui espère faire de la Vieille Ville et des quartiers arabes de Jérusalem sa capitale sous les termes d’un futur accord de paix.
La vente avait entraîné la chute et la rétrogradation au statut de moine, en 2005, du patriarche Iranaios, qui était à la tête de l’Eglise quand les accords avaient été signés. Théophile III, son remplaçant, désigné en 2007, n’a cessé de répéter que la transaction avait été entachée d’irrégularités.
Iranaios a toujours nié son implication dans l’accord conclu avec Ateret Cohanim. L’Autorité palestinienne a ultérieurement établi qu’il était innocent des accusations lancées à son encontre.
Iranaios affirme que son ancien directeur des finances, Nikolas Papadimos, avait utilisé une procuration qui lui avait été confiée dans d’autres dossiers pour finaliser les baux sans que lui-même en ait été averti.
Nikolas Papadimos ne se trouve plus en Israël.

Dans son jugement, Yitzhak Amit, magistrat à la Cour suprême, a indiqué que malgré les affirmations de l’Église disant que l’accord ressemblait à « une sorte de film de Hollywood au centre duquel se trouvent intrigues, pots-de-vin et accords douteux », le patriarcat n’était pas parvenu à présenter des preuves suffisantes montrant que la transaction avait été entachée de fraude.
Le juge a toutefois refusé une demande d’indemnisation de la part des sociétés-écrans. Celles-ci s’étaient plaintes que l’Église s’était opposée à la reprise des baux sur les immeubles.
Les magistrats ont critiqué le patriarcat qui a changé son récit durant les 14 années qu’ont duré le dossier, notant que cette dernière avait de prime abord clamé que les transactions étaient vides de sens dans la mesure où elle n’avaient pas été approuvées par le saint-synode.
Ce n’est que plus tard, en 2014, qu’elle avait prétendu qu’Iranios avait signé les documents en échange d’une promesse faite par Ateret Cohanim de lui apporter une forme de reconnaissance de la part du gouvernement israélien – une affirmation qu’elle n’a pas réussi à prouver.

Tandis que Papadimos, d’après le juge, ne « faisait probablement pas partie des 36 vertueux (en référence à Isaïe 30:18), l’Église a échoué à prouver qu’il y avait eu un « dessous de table » d’un million de dollars payé à l’Église par Ateret Cohanim, comme elle l’avait affirmé, a noté le magistrat.
De plus, un projet de déclaration sous serment écrit par Papadimos une séquence d’une conversation enregistrée et reconstituée entre Papadimos et le chef d’Ateret Cohanim, Mati Dan, n’ont pas pu être acceptés comme preuve.
L’église n’est pas parvenue à prouver que Papadimos était corrompu, selon Amit.
Par ailleurs, le clergé avait clamé que Papadimos avait volé et utilisé des chèques du patriarcat à hauteur de dizaines de milliers de shekels mais elle n’avait pas, curieusement, porté plainte à ce moment-là.
Les affirmations de l’Église, qui n’a cessé de dire que les baux avaient été conclus à une valeur largement inférieure aux prix du marché, n’ont pas été confirmées par les enquêteurs, a continué le jugement.
Et le patriarcat n’a pas renoncé à d’autres accord signés par Iranaios et Papadimos — seulement aux trois qui avaient été conclus avec Ateret Cohanim.
La cour a également noté qu’elle n’avait trouvé aucune faute dans le jugement qui avait été prononcé par une cour inférieure, qui a examiné le dossier en profondeur pendant neuf ans.
Peu après la publication du jugement, un haut responsable de l’Église a confié au Times of Israel qu’à l’issue d’une audience de 3 heures, le 3 juin, au cours de laquelle l’église a présenté 20 000 pages de témoignages, il était surprenant que la Cour suprême ait émis une décision si rapidement, en particulier dans la mesure où une fête religieuse juive – Shavouot – était tombée entre-temps, raccourcissant la semaine de travail.

Le responsable a indiqué que l’Église étudiait le jugement et qu’elle s’intéressait à de nouveaux documents pour déterminer s’ils avaient le potentiel nécessaire pour relancer de nouvelles poursuites judiciaires.
Ce jugement représente une victoire immense pour Ateret Cohanim.
Toutefois, sa signification pratique reste peu claire, parce que les familles qui dirigent les deux hôtels – les familles Dajani au New Imperial et Kiresh au Petra — bénéficient d’un statut de locataire protégé, ancré dans une loi de l’ère ottomane, qui gère les locations de biens immobiliers pour éviter les évictions arbitraires. Le statut des personnes qui vivent dans l’immeuble résidentiel – privé – est indéterminé.
Le statut de locataire protégé – qui se transmet sur trois générations en continuation de la lignée masculine – avait été aboli après la conquête israélienne de Jérusalem-Est, au cours de la guerre des Six Jours. Mais il s’applique encore techniquement si le statut a été octroyé avant 1968.
Les locataires protégés peuvent être expulsés de leurs habitations après trois générations ou avant – si les tribunaux israéliens peuvent être convaincus que le statut a été perdu par des activités telles que la sous-location.
Des organisations, dont Ateret Cohanim, ont tenté et continuent d’essayer de faire expulser un certain nombre de locataires protégés à Jérusalem-Est, et notamment dans la Vieille Ville.
L’AFP a contribué à cet article.