Boaz Golan contrevient à l’embargo sur l’Affaire Harpaz à une conférence Likud
Golan, un partisan de Netanyahu, pourrait être traduit en justice pour avoir ignoré l'ordonnance du tribunal
Une personnalité de droite a semblé, jeudi, violer un embargo lors d’une conférence organisée par le parti du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu en lisant des retranscriptions liées à « l’Affaire Harpaz », vieille d’une décennie.
Ces retranscriptions, vieilles de dix ans, sont celles d’entretiens téléphoniques entre Avichai Mandelblit, aujourd’hui procureur-général, et Gabi Ashkenazi, qui est actuellement député de Kakhol lavan. Certains critiques de droite ont clamé que les mises en examen pour corruption du Premier ministre étaient entrées dans le cadre d’un complot anti-Netanyahu entre les deux hommes.
Les appels en question remontent à 2010, lorsque Ashkenazi était chef d’état-major de l’armée israélienne et Mandelblit à la tête du système juridique militaire. Ils avaient fait l’objet d’une enquête dans le cadre de « l’affaire Harpaz », qui avait touché, cette année-là, la plus haute hiérarchie de l’armée.
Même si les retranscriptions avaient été interdites à la publication sur ordre du tribunal, elles ont été ouvertement lues aux participants du rassemblement « Leumadia », organisé par le Likud à Eilat par Boaz Golan, commentateur fortement pro-Netanyahu et fondateur du site internet extrémiste 0404.
« Je vous promets que cette affaire ne disparaîtra pas de l’agenda national, pas avant les élections et pas après le scrutin », a dit Golan. « Elle ne disparaîtra pas avant que tous les Israéliens ne sachent qui sont Avichai Mandelblit et Gabi Ashkenazi. Il y a de nombreuses choses que vous ignorez et qui sont liées à cette affaire. Vous êtes prêts ? Je vais vous lire les enregistrements que j’ai entendus. »
Un responsable judiciaire a déclaré à la Treizième chaîne, sous couvert d’anonymat, que Golan devra probablement répondre de ses actes devant la justice pour avoir volontairement contrevenu à un embargo et qu’il sera sûrement convoqué pour un interrogatoire après lecture de ses droits.
Face aux critiques, Golan a prétendu qu’il n’avait pas violé d’embargo et qu’il avait consulté un avocat avant de monter sur la tribune.
« Calmez-vous et prenez un verre d’eau », a-t-il écrit sur Twitter. Il a par ailleurs repris à son compte une demande soumise par le Likud, dans la matinée, réclamant que le procureur d’Etat, Dan Eldad, autorise la publication des informations actuellement sous embargo.
L’Affaire Harpaz avait commencé en avril 2010, quand un ancien officier du renseignement militaire, Boaz Harpaz, qui était alors conseiller à la défense dans le secteur privé et proche du chef d’Etat-major de l’époque Ashkenazi, avait publié un faux document censé être un plan stratégique pour faire nommer le chef du commandement du sud de l’époque, Yoav Gallant, aujourd’hui député du Likud, au poste de chef d’Etat-major.
Le document proposait une campagne de diffamation contre les rivaux de Gallant, notamment contre Benny Gantz, qui avait finalement été nommé 20e chef d’Etat-major en 2011 et qui est devenu aujourd’hui le principal adversaire de Netanyahu au cours des prochaines élections générales du 2 mars.
Il s’était rapidement avéré que le document était un faux, destiné à diffamer Gallant lui-même et Ashkenazi avait figuré parmi les suspects potentiellement à l’origine de cette initiative. Une enquête criminelle contre Harpaz avait été ouverte en 2011. L’homme avait été arrêté en mars 2014 et, après une enquête complexe et un procès qui avait pris fin en novembre 2018, il avait été condamné en mai 2019, dans le cadre d’une négociation de peine, à 220 heures de travail d’intérêt général.
Ashkenazi avait, pour sa part, été blanchi de tout soupçon.
La Treizième chaîne a diffusé de nouvelles retranscriptions des entretiens entre Mandelblit et Ashkenazi dimanche (ne rendant publics que des extraits non-placés sous embargo) et dont les médias avaient déjà fait état en 2014.
Le moment choisi par la Treizième chaîne pour diffuser ces séquences – soit deux semaines avant les élections du 2 mars et alors que Netanyahu va être traduit en justice suite à des mises en examen de Mandelblit – soulève des questions sur la possibilité que l’affaire ait pu faire sa réapparition au bénéfice de la campagne du Likud, pour tenter de semer le doute sur l’intégrité du procureur-général et pour saper l’impact de l’issue politique du prochain procès pour corruption de Netanyahu, qui doit débuter le 17 mars.
Lundi, le quotidien pro-Netanyahu Israel Hayom a publié une opinion dans laquelle le journal prétend que les inculpations de Netanyahu décidées par Mandelblit entrent dans le cadre d’une « conspiration » présumée entre le procureur-général et Ashkenazi, remontant à 2010.
Dans le journal, le célèbre chroniqueur Amnon Lord déclare que l’affaire de 2010 aura marqué « le début du chemin pour Ashkenazi, Gantz et Mandelblit – pour éliminer non seulement Gallant, mais aussi Netanyahu ».
Il suggère que la prétendue alliance s’est apparentée à un coup d’État militaire en douceur, reprenant à son compte les affirmations de Netanyahu selon lesquelles les enquêtes sur ses affaires ont été une « tentative de coup d’État » de la part de la police et des procureurs.
« Ce qui signifie que depuis 2010, nous avons une élite dans le secteur de la Défense qui n’accepte pas la règle de la hiérarchie politique », avait clamé Lord.
Avant le lancement des enquêtes pour corruption à l’encontre du Premier ministre, Mandelblit était considéré comme un proche confident de ce dernier – qui l’avait nommé secrétaire de cabinet en 2013 et procureur-général en 2016.
Dans un entretien diffusé mardi sur la Treizième chaîne, Netanyahu a demandé la levée de l’embargo sur toutes les retranscriptions qui n’ont pas encore été publiées.
« On doit expliquer au public ce qu’ils ont fait. Qu’ont-ils donc à cacher ? », a demandé Netanyahu. « S’ils n’ont rien à dissimuler, cela aiderait qu’ils autorisent la publication des retranscriptions avant les élections. Ashkenazi veut diriger le pays ! », s’est-il exclamé.
Le ministre de la Justice Amir Ohana, également allié de Netanyahu, a lui aussi demandé la divulgation de ces informations, disant dans un communiqué émis mardi que tous les enregistrements des « enquêtes Ashkenazi-Mandelblit » devaient être rendus publics.
« Le public doit en avoir connaissance avant les élections de manière à permettre un débat public transparent et ouvert, il doit connaître tous les faits sur la nature des liens entre Ashkenazi et Mandelblit, et si ces liens ont affecté leurs décisions », a-t-il dit, faisant apparemment référence à la mise en examen de Netanyahu pour corruption.
Ohana a insisté sur le fait que les extraits encore scellés des conversations de 2010 entre le chef d’Etat-major et le numéro un des services juridiques de l’armée « ne contiennent pas de secrets militaires ou quoi que ce soit de relatif à la sécurité nationale, ce qui, dans n’importe quel cas, peut être facilement censuré, et il ne s’agit pas non plus de révélations d’affaires de familles que personne n’a besoin de connaître… Ce sont des enregistrements réalisés dans un bureau public, pas dans une habitation privée », a-t-il ajouté.
L’affaire avait mis en exergue l’animosité qui opposait deux hauts-responsables de l’époque, le chef d’Etat-major Ashkenazi et le ministre de la Défense Ehud Barak. Ashkenazi en avait ouvertement voulu à Barak de ne pas avoir prolongé son mandat de chef d’état-major d’une année supplémentaire en avril 2010, ce qui avait peut-être contribué, sans qu’Ashkenazi ne le sache ou qu’il l’ait seulement voulu, au désir de Harpaz de perturber le processus de sélection de son successeur.
Ashkenazi avait affirmé qu’il avait lui aussi été trompé par ce document – et que dernier était la preuve de l’existence d’un complot de Barak et Gallant visant à l’humilier au moyen d’une campagne de diffamation publique, pour pouvoir nommer Gallant à sa place.
Les soupçons s’étaient également portés sur l’avocat général militaire de l’époque, le major général Mandelblit, le plus haut responsable juridique de l’armée, qui avait été interrogé en juin 2014. Les enquêteurs avaient soupçonné Mandelblit d’avoir aidé Ashkenazi et ses assistants à entraver l’enquête en ne disant pas aux enquêteurs que le document avait été remis par Harpaz à Ashkenazi, et qu’il avait été diffusé au sein de l’armée et des médias par le bureau d’Ashkenazi.
En septembre 2014, la police avait recommandé l’inculpation de Mandelblit, de Harpaz, de l’ancien porte-parole de l’armée israélienne Avi Benayahu et de l’ancien assistant d’Ashkenazi, Erez Viner, pour obstruction et abus de confiance pour avoir prétendument omis de rapporter tout ce qu’ils savaient en temps voulu. Mais en mai 2015, le procureur général de l’époque, Yehudah Weinstein, avait décidé de classer le dossier ouvert contre Mandelblit.
Une décision ultérieure de la Haute Cour de justice a conclu que Mandelblit n’avait « rien fait de mal » dans sa gestion de l’affaire.