Brassez votre bière ancienne avec une levure ancienne de 3 000 ans
Cette levure découverte par une équipe de recherche israélienne est disponible en précommande ; Le musée d'Israël et la brasserie Shikma commercialisent une édition limitée
Les brasseurs amateurs pourront bientôt voyager dans le temps avec leurs papilles gustatives et brasser une bière semblable à celle que buvaient les Philistins de Gath, la ville natale de Goliath.
En 2019, une équipe interdisciplinaire de chercheurs, archéologues et maîtres brasseurs israéliens est parvenue à isoler, pour la toute première fois, une levure vieille de 5 000 ans, et en a publié la nouvelle dans la revue mBio en 2019. Et aujourd’hui, les fruits de cette découverte sont sur le point d’être rendus disponibles aux brasseurs amateurs et amateurs de levain du monde entier. Le premier lot de ces levures anciennes sera disponible dans le commerce en décembre et les précommandes sont d’ores et déjà ouvertes.
« Nous voulons permettre à chacun de se connecter avec cette histoire, avec ce passé, que nous, en tant que civilisation, perpétuons depuis des dizaines de milliers d’années, depuis les débuts de la fermentation », explique le maître brasseur Itaï Gutman, qui possédait auparavant une brasserie à Jérusalem et est aujourd’hui le PDG de Primer’s Yeast, société qui commercialise cette levure ancienne.
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L’idée a germé lors d’une « soirée arrosée », lorsque Gutman a commencé à réfléchir avec le professeur Ronen Hazan, microbiologiste à l’Institut des sciences dentaires et à l’École de médecine dentaire de l’Université hébraïque. Ils se sont demandés s’il était possible que la levure trouvée à l’intérieur d’un récipient à bière utilisé il y a des milliers d’années soit encore active aujourd’hui, et s’il était possible de l’utiliser pour brasser de la bière.
Hazan a contacté des amis et collègues archéologues, enthousiasmés par l’idée. Ils ont rapidement testé un certain nombre de céramiques anciennes, utilisées comme contenants à bière ou à vin, et d’autres, qui ont servi de témoins.
Hazan s’est associé à son collègue biologiste, le professeur Michael Klutstein, et le projet a évolué pour faire place à des archéologues et d’autres chercheurs de l’Université hébraïque, de l’Autorité israélienne des Antiquités (IAA), de l’Université de Tel Aviv et de l’Université Bar-Ilan.
« Je pense que beaucoup de gens aimeraient savoir quel est le goût de la bière que Goliath ou le roi David ont bue, et beaucoup de gens seraient curieux de boire le vin de Jésus-Christ dans la Cène », explique Hazan. « Avec l’histoire, nous pouvons toujours imaginer ou voir quelque chose avec nos yeux. Mais c’est ici un autre sens [le goût] que nous pouvons activer pour sentir le passé, ce qui est vraiment rare. »
La société Primer’s Yeast est née de la recherche universitaire il y a environ un an et demi, avec l’aide de Yissum, l’initiative de l’Université hébraïque visant à faire passer la recherche à la commercialisation.
Cette levure est vivante depuis combien d’années ?
La levure se nourrit le plus souvent de sucre, mais peut aussi survivre sans aliment pendant des milliers d’années via le processus d’autolyse, « ce qui, en termes de micro-organismes, est du cannibalisme », explique Gutman. « La colonie sacrifie de vieilles cellules afin de nourrir les plus jeunes. On obtient alors une situation de stase, dans laquelle rien ne se perd mais rien ne se créé non plus. »
C’est précisément pour cette raison que Hazan s’empresse de souligner que la levure n’a pas vraiment 3 000 ans : c’est la descendante d’une levure vieille de 3 000 ans. Pourtant, on est très proche du microorganisme utilisé il y a des milliers d’années, même si le reste des ingrédients de la bière sont modernes.
En analysant les résidus organiques, les scientifiques sont parvenus à identifier les molécules organiques qui ont survécu dans la céramique, levures comprises. Les scientifiques ont séquencé le microbiome complet de l’intérieur de certaines céramiques et découvert d’anciennes bactéries et virus en plus des levures, explique Hazan. Hazan signale qu’un test de levure PCR, similaire au test PCR sur le coronavirus, peut également déterminer rapidement et à moindre coût la présence de levure à l’intérieur d’un récipient.
« J’ai toujours rêvé d’être archéologue, et ici j’ai eu la chance de combiner l’archéologie et la microbiologie », confie-t-il. Son travail quotidien est axé sur la phagothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de virus pour cibler les bactéries résistantes aux antibiotiques. « L’archéologie est enfin en train de devenir une véritable science pure. »
Les scientifiques ont pu isoler six souches du champignon unicellulaire responsable de l’ébriété dans 21 morceaux de poterie prélevés sur les sites bibliques de Tell es-Safi/Gath à l’ouest de Jérusalem (aux environs de 900 avant notre ère), Ramat Rachel à Jérusalem (du VIIIe au IVe siècle avant notre ère), En-Besor, dans le Neguev occidental, correspondant à l’âge du bronze et d’une brasserie égyptienne trouvée rue HaMasger à Tel Aviv (toutes deux aux alentours de 3100 avant notre ère).
Les levures isolées ont été brassées séparément par Gutman, en utilisant la même recette moderne standard. Les bières produites avaient des goûts très différents : pendant la fermentation, les différentes levures émettent différents gaz avec des saveurs ou des arômes liés à leur constitution génétique et à leur source d’origine.
Lehaïm – à la vie
Ceux qui souhaitent goûter cette bière sans attendre ou qui n’ont pas envie de brasser eux-mêmes à la maison peuvent acheter la première bière fabriquée en coopération avec la brasserie Shikma, Primer’s Yeast et le musée d’Israël, en l’honneur d’une exposition qui a ouvert ses portes ce mois-ci.
L’exposition « The Feast », qui se déroule du 12 mai au 31 décembre, parle des banquets, fêtes et de la nourriture dans l’ancien Proche-Orient entre les IVe et Ier millénaire avant notre ère.
La bière, appelée « Mishteh », ou « Festin », est disponible dans la boutique du musée et chez certains distributeurs en Israël.
Shikma a créé une bière cuivrée à 5 % ABV en utilisant son mélange unique de malts et de houblon légèrement caramélisés, cultivés sur place, qui relèvent le goût de la levure, explique Anat Meïr, maîtresse brasseure de la brasserie Shikma.
« En tant que maîtres brasseurs, les matières premières sont notre terrain de jeu », explique Meïr dans une vidéo produite en l’honneur du lancement de la bière.
Cette bière n’est pas exactement celle que buvaient nos ancêtres. Les Égyptiens et Philistins auraient probablement aromatisé la leur avec de la cannelle, de la cardamome ou des herbes, à la place du houblon mis en œuvre dans les bières et lagers modernes, estime l’archéologue Dr. Yitzhak Paz, membre de l’IAA, qui a fait partie du projet. Pour une touche plus sucrée, les anciens brasseurs auraient probablement ajouté des dattes ou des grenades, dit-il.
La bière était un produit de base dans le monde antique et était consommée par les riches, les pauvres, les adultes et les enfants et utilisée lors des rituels religieux, estime Paz.
La bière ancienne n’était pas la substance ambrée claire que nous connaissons aujourd’hui : elle était sans doute pleine de dépôt, produite à partir de plusieurs céréales comme le mil, le maïs, le sorgho ou le blé. Les récipients dans lesquels étaient élevées les levures avaient des becs verseurs dotés de filtres, comme des arrosoirs, de manière à filtrer les dépôts et éviter qu’ils ne finissent dans le verre des buveurs.
Il existe plus de 1 500 souches de levures, qui vivent et se développent spontanément dans des environnements très variés, allant des mers salées aux sols en passant par les orteils en sueur. De nombreux viticulteurs utilisent les levures présentes sur la peau des raisins, et d’autres ajoutent d’autres souches pour produire de nouvelles saveurs ou ajouter des effets.
Jusqu’à une époque relativement récente de l’histoire de l’humanité, lorsque la production commerciale a commencé au tournant du XXe siècle, les souches ont été isolées par tâtonnements. Les souches de levure qui se sont révélées appropriées au brassage ou à la cuisson ont été soigneusement conservées, le plus souvent dans un mélange de levures actives. Aujourd’hui encore, le pain au levain est cuit selon ce même principe.
Un journaliste du Times of Israel qui avait goûté l’une des premières bières brassées avec cette levure ancienne, en 2019, déclarait alors qu’elle était « légèrement sucrée, avec une saveur subtile … et un goût fruité, particulièrement de banane.
Cuire du pain avec la levure PTS datant de 900 avant notre ère
« La levure disponible dans le commerce d’ici la fin de l’année est la souche ‘PTS-900BCE’ encore appelée levure philistine de Tel Safi, qui date de 900 avant notre ère », explique Gutman. Cette souche est très similaire à la levure de boulangerie utilisée aujourd’hui et à l’un des types de levure les plus couramment utilisés au cours de l’histoire. Gutman dit avoir choisi cette souche parce qu’elle était la plus facile à produire et la plus polyvalente.
À l’heure actuelle, ils travaillent sur deux souches de levure liées au vin, dont une liée au vin romain antique et une autre utilisée pour l’hydromel, ou vin de miel fermenté.
« À l’avenir, l’équipe souhaite aller au-delà des levures et isoler les micro-organismes présents sur des poteries anciennes qui ont contenu des produits laitiers fermentés comme le fromage ou le yaourt », précise Hazan.
Gutman ajoute qu’au début, l’équipe avait décidé de commercialiser la levure, et non de brasser sa propre bière, afin de permettre à tous d’avoir une approche pratique de l’histoire.
« Chacun s’intéresse de manière différente au processus de fermentation, et nous voulons offrir à tous le plus d’options possibles pour vivre cette expérience unique », déclare Gutman. Les amateurs peuvent utiliser la levure Primer’s Yeast pour tout, de la pâtisserie à la fermentation. Il se souvient encore de la première fois qu’il a vu la levure ancienne en action, lorsqu’il l’a introduite dans de petits bidons pour les premiers essais.
« J’ai vu cet anneau de mousse monter au sommet de la cruche, ce qui est le signe du processus de fermentation et de la libération de CO2 », dit-il. « J’étais dans un état second. Cette levure était sous terre, dans un récipient d’argile, depuis je ne sais combien de millénaires, et elle se remettait au travail. »
« C’est un de ces moments un peu magiques où on n’est plus très sûr de ce qui est vrai », ajoute Gutman. « J’ai étudié la biologie pendant de nombreuses années, mais je n’aurais jamais cru possible d’utiliser une cellule endormie sous terre depuis tant d’années, sélectionnée par les humains il y a deux ou trois millénaires. C’est vraiment stupéfiant. »
« On comprend que l’on touche à quelque chose qui a été maîtrisé par nos ancêtres, que nous avons retrouvé et que nous pouvons utiliser comme ils le faisaient eux-mêmes à l’époque », poursuit Gutman. « C’est tout simplement fascinant. »
Amanda Borschel-Dan a contribué à cet article.
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