Cannes : succès pour les juifs, moins pour Israël
Alors que cela a été une année sèche pour le cinéma en provenance de l'état juif, la communauté a été très représentée dans les projections de cette édition 2017 du Festival du film de Cannes

CANNES, France — C’est le moment de ranger les affaires, de rentrer chez soi et de ne plus penser à combien de croissants gorgés de beurre j’ai pu avaler durant mon séjour de 12 jours dans le sud de la France.
Cela a été ma quatrième visite au Festival du film de Cannes – mais mon premier depuis l’attentat au camion-bélier qui a été commis à Nice en 2016, ce qui signifiait une sécurité remarquablement renforcée. L’explosion à la bombe de Manchester, au milieu du programme, a fini par achever tous ceux qui avaient pu se plaindre de la lenteur des files d’attente, des contrôles des sacs et des circuits complexes – et contraires à l’intuition – à suivre pour assister aux divers événements organisés au cours du festival grâce à toutes les barricades.
J’admets avoir rouspété lorsque mes barres énergétiques Clif m’ont été confisquées avant même que je puisse être en mesure de grimper les fameuses marches du tapis rouge du Grand Théâtre Lumière (Si Daesh devait venir rien que pour nous, on peut se demander s’ils utiliseraient des flocons d’avoine ?) mais c’est toujours préférable de suivre le mouvement dans ces cas-là. Grâce à la foule internationale attirée par le 70ème anniversaire du Festival du film le plus respecté au monde, je sais maintenant comment me plaindre dans de très nombreuses langues.
Le festival, cette année, n’a pas été exactement une grande victoire pour l’industrie du film israélien. Pas une seule oeuvre de fiction de l’état juif projetée au festival. J’ai entendu des rumeurs conflictuelles sur l’état juif à Cannes. J’ai entendu des rumeurs conflictuelles au sujet de l’absence de la suite très attendue de « Liban » de Samuel Maoz, « Foxtrot ». Un collègue – qui en sait beaucoup sur toutes ces choses – m’a expliqué que le film avait été rejeté faute d’un créneau dans la compétition et que Maoz ne voulait pas se retrouver en marge. Un autre m’a confié qu’il voulait que « Foxtrot » fasse ses débuts au mois de septembre à Venise (un festival du film presque aussi respecté que Cannes) où « Liban » avait remporté la plus haute distinction en 2009.
Ou, c’est peut-être tout simplement que le film n’est pas fini ! Ou – mieux encore – peut-être qu’il est nul ?… Mais Cannes a enregistré un très bon taux de participation des films israéliens ces dernières années, alors ne nous énervons pas trop pour le moment. En revanche, si le même phénomène devait se répéter l’année prochaine, il sera alors temps de commencer à se poser des questions.
Mais il y a eu quelques victoires significatives pour des réalisateurs juifs américains.
En évidence sur la Croisette était accrochée sur un gigantesque panneau l’affiche du film « The Meyerowitz Stories (New and Selected) » de Noah Baumbach et produit par Netflix. L’affiche peut s’enorgueillir d’une distribution à faire pâlir, avec Adam Sandler, Ben Stiller et Dustin Hoffman et montre Hoffman, barbe grise et veste brun pâle, semblant sortir des pages d’un roman d’Isaac Bashevis Singer. Si vous ajoutez à cela les lunettes de « They Live », vous lirez alors sûrement : « Juif : le film ».
“The Meyerowitz Stories” ne fait pas de référence explicite au judaïsme mais c’est un aperçu terrible, à la fois drôle et triste, au coeur d’une famille de New York – avec pas mal de meshugass en réserve. Le patriarche (Hoffman) est un sculpteur entêté qui n’a pas réussi, et ses fils – de différents mariages – sont : un ‘schlep’ chômeur au grand coeur (Sandler) et un comptable brillant et au rythme de vie frénétique qui vit à travers tout le pays et à Los Angeles (Stiller). Le changement survient toutefois lorsque la fille de Sandler part pour l’université et que Hoffman prend sa retraite de professeur et songe à vendre le domicile qu’il partage dans le quartier du lower Manhattan avec sa quatrième épouse, Emma Thompson.

Oui, c’est l’un de ces films très émouvants où tout le monde fait connaître ses doléances mais de la manière la moins ‘clichée’ possible. J’ai le sentiment que Baumbach a regardé tous les films indépendants moyens sur les familles et les sentiments et qu’il a ensuite fait une liste de ce qu’il ne faut pas faire.
Et en plus d’être spirituel, le film présente (et vous pourriez bien vouloir le voir rien que pour ça) une performance remarquable d’Adam Sandler. Il y abandonne toutes ses voix rigolotes (non pas que je n’aime pas ce côté de lui, mais à petite dose) et, je le promets, il joue. Vraiment. Le film pourra être découvert sur Netflix à la fin de l’année.
Autre tournant surprenant de la part d’un acteur qui n’a pas toujours été en tête des listes des critiques, celui de Robert Pattinson pour son portrait d’un voyou du quartier du Queens, à New York, dans le film « Good Time » mis en scène par Josh et Benny Safdie.
Les (très juifs) frères Safdie n’ont cessé de réaliser depuis des années des petits films extraordinaires dans une grande variété de genres. « Good Time » est leur première oeuvre à aligner des stars connues, comme Pattinson, Jennifer Jason Leigh et Barkhad Abdi, acteur nominé aux Oscars.
Le film débute par l’attaque d’une banque qui tourne mal, et descend alors dans une nuit désespérée de secours et de fuite. Avec un ‘look’ granuleux frappant et aux couleurs saturées, une partition propulsive de musique électronique et des performances remarquables offertes par Pattinson et les autres, le film est une montée d’adrénaline audacieuse, et l’une des fictions consacrées au crime à New-York la plus innovante depuis pas mal de temps. Le film sera distribué par A24 au mois d’août.
J’ai dit qu’il n’y avait aucune oeuvre de fiction israélienne à Cannes cette année, mais ce n’est pas totalement vrai. Noa Regev de la Cinémathèque de Jérusalem est venu sur la Côte d’Azur pour la première projection de la version remasterisée de « Matzor », un film israélien qui avait été projeté à Cannes en 1969.
« Matzor » (qui se traduit par « Siège » en anglais) est véritablement une perle redécouverte. Gila Almagor y incarne une jeune mère dont le mari est tué pendant la guerre des Six jours. Pour dévoiler l’intrigue, nous l’observons faire son deuil (ou – comme l’estiment certains voisins bavards – ne pas le faire suffisamment) et tenter de trouver ce qu’elle pourra faire du reste de sa vie. Le style appartient vraiment à son temps, et la photographie de l’époque est absolument magnifique. Le directeur de la photographie, David Gurfinkel, a été impliqué dans cette restauration.
A noter que le réalisateur, Gilberto Tofano, était un documentariste et un intellectuel originaire d’Italie et que cela a été son seul et unique long-métrage de fiction. L’oeuvre contient incontestablement une part du style que les films italiens avaient à cette époque, à la fois dans son montage et dans son utilisation de la musique et de la mode. Mais l’histoire est tout de même très israélienne (le film a également une fin très innovante et très émouvante que je n’ai pas vu venir).
Maintenant que cette nouvelle version est sortie, vous pouvez vous attendre à ce qu’elle circule en Israël, en Europe et aux Etats-Unis. Je prévois pour ma part d’attraper les gens par le collier pour qu’ils aillent le voir lorsqu’il sera finalement présenté sur les écrans de New York.
https://youtu.be/u_yPa-O4sa4
Ce sont les trois films juifs qui m’ont paru les plus importants à Cannes cette année, mais vous ne pouvez pas non plus réprimer indéfiniment un peuple (bien) choisi. Nous avons donc obtenu une reconnaissance pendant la projection du médiocre « “Ismael’s Ghosts » d’Arnaud Desplechin dans lequel la fille cinglée d’un réalisateur juif français interprétée par Marion Cotillard se qualifie elle-même de « Juive renégate ».
L’un de nos shandas fur di goyim (hontes juives), l’agresseur sexuel condamné Roman Polanski, est revenu à Cannes avec un film présenté hors-compétition. « D’après une histoire vraie » est en quelque sorte une déception – surtout si on réfléchit à la manière dont Polanski avait été brillant dans la narration de « celui qui devient fou dans son appartement » (« Rosemary’s Baby » et « Répulsion » sont les deux exemples les plus célèbres mais n’hésitez pas non plus à visionner aussi « Le locataire » qui, en ce qui me concerne, est mon préféré). Ce film-ci, sur une femme écrivain en proie à la hantise de la feuille blanche qui laisse un manipulateur entrer dans son monde, donne presque l’impression de jouer avec les attentes que peut nourrir le public face à ce genre de film. C’est intellectuellement stimulant pendant un moment, mais finalement un peu frustrant.

Toutefois, l’actrice juive française Eva Green est toujours aussi séduisante et il y a des flashs rappelant des performances classiques vertigineuses et théâtrales simplement extraordinaires. Hélas, la décision de Polanski d’adoucir l’ensemble au nom de l’ambiguïté mène finalement à la perte de son oeuvre.
Il y a eu également un ‘biopic’ très divertissant au sujet de l’un de mes antisémites préférés, Jean-Luc Godard. Cet homme au talent abondant et qui a toujours haï les Juifs – dont l’oeuvre doit être regardée indépendamment de ses convictions – est interprété par Louis Garrel dans « Le redoutable » de Michael Hazanavicius.
Autant Hazanavicius (Juif français d’origine lituanienne) a su recréer les films muets avec « The Artist », autant il produit quelque chose de similaire ici avec la Nouvelle Vague française.
Godard est un vrai anti-héros, et il touche le fond durant un rassemblement en 1968 à la Sorbonne où il clame que les Juifs sont les nouveaux nazis. Il se fait huer et c’est le moment où sa femme Anna Wiazemsky (Stacy Martin) réalise qu’elle devrait probablement le quitter.
Amos Gitai a également projeté son nouveau documentaire « West of the Jordan (Field Diary Revisited) » dans une compétition en marge du festival.
Un grand nombre des films de fiction de Gitai sont extraordinaires, mais ce collage de méditations politiques ressemble d’une certaine façon à un listage de disque dur. Gitai lui-même est également dans toutes les scènes, aboyant son opinion.
Michael Moore fait lui aussi un peu ce genre de choses – mais au moins, il est drôle. Pour ceux qui recherchent un documentaire récent où il resterait du contenu sur ce sujet, allez plutôt voir « The Settlers« , et on en rediscute.
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