Cannes-Torcy : aux assises, la défiance d’une épouse du “chef de meute”
La jeune femme raconte un homme “normal, pas antisémite, qui ne parlait pas du jihad”, alors qu'elle avait décrit en 2011 homme qui regardait “constamment des vidéos sur le jihad” et mimait devant son fils “les sons de mitraillettes en disant que 'Dieu est grand'”
« Normal » : c’est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche de Narjesse quand elle évoque celui qu’elle a épousé religieusement, Jérémie Louis-Sidney, considéré comme le chef « fanatique » et « antisémite » de la filière jihadiste de Cannes-Torcy jugée aux assises de Paris.
La jeune femme, une brune fluette en jeans et débardeur, a livré mercredi une version aseptisée de sa vie avec cet homme tué à 33 ans lors de son interpellation. Le magnum Smith & Wesson dont il a vidé un chargeur sur les policiers venus l’arrêter est posé devant elle, dans la cage de verre destinée aux scellés.
Tout ce qu’elle sait de ce 6 octobre 2012 est que ses deux enfants « n’ont plus de père ». Un homme tué loin d’elle – chez une seconde épouse – et qu’elle décrit comme « normal, pas antisémite, qui ne parlait pas du jihad » à l’époque où elle partageait sa vie à Cannes.
Ce jour d’octobre, un vaste coup de filet a permis d’arrêter, en région parisienne et dans le sud, plusieurs personnes soupçonnées d’avoir commis un attentat à la grenade contre une épicerie casher de Sarcelles en septembre, mais aussi de préparer d’autres attaques.
Au total, vingt hommes – dont trois en fuite – ont été renvoyés devant la cour d’assises spéciale pour leur appartenance à une « véritable filière terroriste ». Cette filière, dite de Cannes-Torcy, est alors considérée comme la plus dangereuse depuis les attentats du GIA algérien en 1995.
« Il avait peur »
Au président, qui lui indique que l’empreinte génétique de Jérémie Louis-Sidney a été retrouvée sur la grenade lancée dans l’épicerie casher, Narjesse rétorque que « cela ne prouve pas qu’il l’a lancée ».
Alors que certains des accusés l’ont décrit comme un « chef de meute » terrorisant les autres, ayant la « haine des juifs » chevillée au corps, « heureux » à l’idée de mourir en martyr, le président Philippe Roux veut savoir ce qu’elle pense de cette évolution.
« Quelle évolution ? » riposte la jeune femme. « Il était devenu antisémite », relève le président. « Non », soutient-elle.
M. Roux tente une autre approche : « Vous saviez qu’il était armé ? »
– « Il se sentait en insécurité, il se savait suivi, il avait peur », élude-t-elle.
– « Vos enfants, quand ils ont peur, vous leur dites de prendre une arme? »
– « Non », souffle-t-elle.
Pressée par la cour, elle explique qu’elle s’est séparée de Jérémie Louis-Sidney en 2011 « parce qu’il voulait une deuxième femme », puis reconnaît qu’elle avait « peur qu’il parte en Syrie avec son fils », alors âgé de huit mois. Elle avait pu récupérer son fils avec l’appui d’un juge pour enfants, au bout d’un mois.
« Puis on s’est réconcilié et on s’est remarié ». Elle est enceinte de leur deuxième enfant quant il est tué chez sa seconde épouse, Inès, dont il avait alors deux jeunes enfants.
A la barre, elle s’accroche à sa version : Jérémie, alias Anas, avait séjourné en Tunisie « uniquement pour la circoncision », ne voulait gagner la Syrie « que pour vivre dans un pays musulman », « pour aider ».
Elle n’a « pas le souvenir » de ses déclarations de 2011, lors de sa plainte pour « soustraction de mineur », quand elle décrit un homme qui regardait « constamment des vidéos sur le jihad » et mimait devant son fils « les sons de mitraillettes en disant que ‘Dieu est grand’. »
Stoïque et défiante, elle a maintenu n’avoir « rien vu » de changé chez son conjoint, converti à l’islam en 2009 et radicalisé après un passage en prison pour trafic de drogues, selon sa mère.
A l’audience, d’une voix douce, cette mère a dressé le portrait d’un adolescent difficile, dur, « détruit par les drogues » : elle le fera hospitaliser en psychiatrie après l’avoir retrouvé un soir « en train de parler avec l’aspirateur ».
Le procès doit durer jusqu’au 21 juin.