Cette année à Tel Aviv, Yom Kippour a rimé avec frictions plutôt qu’expiation
Les tensions entre orthodoxes et laïcs ont atteint leur paroxysme lors d'une prière publique non mixte, interdite par le tribunal, au cœur de la ville la plus progressiste d'Israël
Les derniers instants de la fête de Yom Kippour, où les Juifs prient pour que Dieu accepte leur repentir et les inscrive dans le livre de la vie, ont été marqués par des querelles et des disputes amères, exacerbées par les frustrations engendrées par neuf mois de tensions sans précédent en Israël, qui ont fait dérailler les offices publics non mixtes, interdits par la Cour suprême et la municipalité, dans le centre de Tel Aviv.
D’un côté, il y avait les Juifs qui voulaient clôturer la fête en assistant aux offices en plein air organisés sur la place Dizengoff, qui sont devenus une véritable institution ces dernières années, et par le biais de laquelle les organisateurs orthodoxes cherchent à encourager les Juifs qui ne prient pas à revenir à la tradition au cœur d’un Tel Aviv largement non pratiquant.
De l’autre côté, il y avait aussi des Juifs, qui sont arrivés avec des banderoles et des slogans contre la coercition religieuse, furieux que les fidèles aient défié les arrêts de la Cour et de la municipalité en tentant d’imposer une ségrégation illégale entre les sexes dans un espace public.
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Une femme laïque septuagénaire a crié « nazi ! » à une femme religieuse plus jeune.
« Rentrez chez vous, vous avez gâché les prières, que voulez-vous de plus ? », a rétorqué la femme religieuse.
« Je vous déteste et je veux vous haïr pour ce que vous avez détruit pour nous ces dernières années », a crié un homme laïc âgé, qui avait des autocollants de protestation politique collés sur sa poitrine, à un homme religieux plus jeune.
En retour, le jeune homme l’a traité de « Kibboutznik puant », en référence aux fondateurs du pays, connus pour leurs idées progressistes et majoritairement ashkénazes.
Un autre manifestant a dit à un jeune immigrant en Israël portant la kippa de « rentrer chez lui ».
« Pourquoi es-tu venu de France, où l’on t’a fait vivre l’enfer, et pourquoi es-tu venu ici pour nous faire vivre l’enfer ? »
« Pourquoi êtes-vous raciste ? », a réplique Jordan, immigrant français séfarade, en serrant son livre de prières.
« J’ai fait l’armée, je peux dire ce que je veux », a crié un autre laïc, qui se faisait chasser par un homme qui voulait prier.
« Je déteste payer pour vous et vos enfants », a crié un autre à l’adresse d’un participant religieux.
Ces insultes n’étaient que quelques-unes des altercations verbales opposant les personnes réunies sur la place.
Ces tristes scènes étaient aussi une répétition des événements de la veille. Rosh Yehudi, une organisation visant à renforcer la pratique du judaïsme orthodoxe en Israël, organise ces dernières années des prières de Yom Kippour sur cette place (très) fréquentée. Cette année, l’organisation tentait à nouveau de le faire, mais cette fois en contournant une interdiction de la mairie de Tel-Aviv, qui a ensuite été confirmée par un tribunal de première instance de la ville puis par la Cour suprême, contre la ségrégation entre les sexes dans l’espace public.
Lors de l’événement de la veille de Yom Kippour, dimanche, les participants de Rosh Yehudi ont accroché des drapeaux israéliens pour former une cloison de fortune, ou mehitza, entre les hommes et les femmes sur la place Dizengoff.
Les manifestants ont ensuite arraché les drapeaux et retiré les chaises que les organisateurs avaient installées, empêchant ainsi le déroulement de l’office.
L’incident a donné lieu à des échanges de propos virulents entre les militants des deux camps et un manifestant laïc a été arrêté par la police pendant trois heures avant d’être relâché.
Il s’agit d’un revirement par rapport aux quatre années précédentes, au cours desquelles Rosh Yehudi avait organisé les prières de Yom Kippour sur cette place populaire sans aucune interférence.
Différent cette année
Pour reprendre la traditionnelle question posée lors des séders de Pessah, en quoi cette année a-t-elle été différente des autres ?
Au cours des neuf derniers mois, des fractures profondément ancrées dans la société israélienne ont été mises en avant par le débat politique sur la nature de l’État, et plus particulièrement sur l’équilibre des pouvoirs entre la Knesset et le pouvoir judiciaire.
Les divisions sur la religiosité et la laïcité, la nation et la culture d’origine, les valeurs progressistes et conservatrices, et le partage du fardeau économique et des services de l’État se sont manifestées au cours de 38 semaines de protestations publiques en faveur et en grande partie contre la ligne dure du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu et son programme de refonte du système judiciaire.
Des dirigeants de l’ensemble du spectre politique ont mis en garde contre la montée de la même haine gratuite qui a débouché sur la fin des deux premières entités politiques souveraines du peuple juif, à l’époque biblique.
Des panneaux d’affichage privés appelant à l’unité bordent les principales autoroutes d’Israël, se disputant l’espace avec des publicités pour ou contre le gouvernement. Sur l’un d’eux, un promoteur immobilier appelle à « ne pas détruire tout ce que nous avons construit ».
Le fait que ces appels soient restés lettre morte, le jour le plus solennel de l’année juive, un jour axé sur l’expiation et le pardon, a souligné pour de nombreuses personnes présentes sur la place lundi que quelque chose était en train de se briser dans la société israélienne.
« Vous nous considérez toujours comme une seule nation ? Certains d’entre nous ne le font pas », a déclaré un laïc d’une quarantaine d’années, s’adressant à un groupe d’étrangers qui s’étaient rassemblés pour assister au spectacle en cours. Parmi eux se trouvait une femme portant sur son tee-shirt un slogan lié aux manifestations contre la réforme du système judiciaire, tout comme de nombreux militants.
Si les protestations qui ont interrompu les tentatives de prière de dimanche et de lundi sur la place Dizengoff étaient liées aux manifestations plus larges contre la réforme judiciaire du gouvernement, ces itérations de Yom Kippour étaient explicitement axées sur la lutte contre la perception d’une progression constante de la coercition religieuse dans la vie publique, dans un pays où la plupart des résidents sont laïcs.
Alex, un habitant de Tel Aviv qui porte un drapeau arc-en-ciel, a déclaré au Times of Israel qu’il était venu lundi parce que « nous luttons contre le contrôle religieux des espaces publics ».
« Cette ville est laïque et ce n’est que de la barbarie. Cela commence ici », a-t-il dit, en faisant un geste vers la place, « et se termine à Bnei Brak », a-t-il ajouté, en faisant référence à la banlieue ultra-orthodoxe qui jouxte la ville.
Mme Morin, qui habite près de la place, a déclaré qu’elle était venue se rassembler contre les prières parce que Rosh Yehudi, qu’elle considère comme un « groupe de colons », « essaie de s’emparer de mon quartier ».
Mme Morin a déclaré que sa tradition était d’emmener ses enfants sur la place le jour de Yom Kippour, mais que « cette année, je n’ai pas eu l’impression d’être à Yom Kippour ; ils me l’ont enlevé ».
Cependant, les personnes laïques qui assistaient à la manifestation n’étaient pas toutes d’accord avec les manifestants. « Ils ont transformé le jour le plus saint en théâtre politique », a déclaré Aliza, de Tel Aviv.
De nombreuses personnes présentes sur la place ont émis l’hypothèse que les prochaines élections municipales, prévues pour le 31 octobre, pourraient avoir joué un rôle dans le conflit. Bien que n’étant pas une ville uniformément laïque, Tel Aviv est considérée comme le bastion libéral et laïc du pays, et le maire Ron Huldaï s’est aligné sur cette vision, prenant la parole lors de manifestations politiques contre ce qui est perçu comme des assauts plus larges contre ces valeurs.
La semaine dernière, la Cour suprême a confirmé une décision d’un tribunal inférieur qui permettait à la municipalité de Tel-Aviv d’empêcher la séparation des sexes prévue pendant les offices de Rosh Yehudi. La cloison de séparation de la mehitzah est une exigence religieuse pour la prière juive orthodoxe, bien que la manière de remplir cette exigence à l’extérieur soit sujette à interprétation.
Kidla Partosh, responsable de la logistique pour Rosh Yehudi, a déclaré au Times of Israel quelques heures avant les prières de Kol Nidre avortées de dimanche que les sessions des années précédentes – où des barrières faites de matériaux divers, de bois, de métal et d’osier s’étendant sur plusieurs mètres étaient installées – avaient été bien accueillies.
Les grondements contre les prières « sont quelque chose de nouveau », mais « il n’y a d’opposition que de la part de quelques personnes qui veulent faire du bruit », a-t-elle déclaré. « C’est un jour saint, les gens aiment venir, avec leurs débardeurs, leurs shorts [et] personne ne dit rien », a-t-elle ajouté.
Cependant, le tribunal a noté dans sa décision que la non-mixité dans les espaces publics était interdite dans la ville depuis 2018 et que les personnes qui considèrent la ségrégation sexuelle comme un aspect essentiel de la prière pouvaient pratiquer leur culte dans l’une des centaines de synagogues de la ville.
Rosh Yehudi avait d’abord déclaré qu’il n’organiserait pas l’événement si hommes et femmes n’étaient pas séparés, mais a ensuite fait marche arrière et a apparemment essayé d’apaiser les deux parties avec sa mehitza en drapeaux.
Lundi soir, alors que la journée de Yom Kippour touchait à sa fin, Rosh Yehudi s’est officiellement retiré dans une synagogue voisine, tandis qu’un certain nombre de membres ont entamé des prières spontanées dans un coin de la place où il y avait de la pelouse.
Un homme âgé et laïc s’est écrié « Honte ! », essayant de se faire entendre au-dessus des dizaines de fidèles, tout de blanc vêtus.
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