Chagrin, colère et interrogations aux funérailles d’un jeune Palestinien âgé de 7 ans
L'assistance a exprimé sa tristesse et sa rage suite à la mort de Rayan Suleiman qui serait littéralement mort de peur lors d'un raid de Tsahal ; l'armée a nié toute responsabilité

TUQU’, Cisjordanie – Un cri perce soudain le silence qui plane sur les cent hommes approximativement – un grand nombre est venu avec des enfants – qui se tiennent devant l’hôpital du Gouvernement, à Beit Jalah. Ce cri est repris par la foule : « Nous continuerons le combat », scandent ainsi les personnes présentes.
Une vingtaine de jeunes Palestiniens descendent les marches, devant l’hôpital, pour rejoindre la cour, portant à bout de bras une civière. Sur cette dernière, un petit garçon qui paraît minuscule, dont le visage sans vie émerge du drapeau palestinien dans lequel il a été enveloppé.
Rayan Suleiman, 7 ans, est mort soudainement dans des circonstances encore contestées jeudi – après l’arrivée précipitée des soldats israéliens à son domicile de Tuqu’, un village du sud de Bethléem, en Cisjordanie. Selon ses proches, les militaires qui pourchassaient des individus qui avaient jeté des pierres ont menacé la famille, entraînant une frayeur terrible et mortelle chez l’enfant, jusque-là en bonne santé, et provoquant consécutivement son décès. L’armée israélienne a pour sa part évoqué des échanges avec la famille bien moins brutaux et elle a nié tout lien entre ses agissements et la mort du petit garçon.
L’incident a toutefois contribué à encore enflammer davantage les tensions en Cisjordanie, des tensions d’ores et déjà accrues en raison de l’offensive anti-terroriste menée par l’État juif dans le nord du territoire, une offensive qui a été marquée par des raids nocturnes quasiment quotidiens et par des fusillades meurtrières.
Les drapeaux jaunes du Fatah sont portés à bout de bras dans le défilé du cortège funéraire parti de l’hôpital en direction de Tuqu’. La foule suit l’ambulance qui transporte le corps sans vie du petit garçon et des affiches installées aux abords du domicile de l’enfant montrent le visage de ce dernier jouxtant des images du Dôme du rocher et de photos de feu le leader palestinien Yasser Arafat, donnant au triste rituel une dimension politique et nationaliste nouvelle.
Mohammad Suleiman, l’oncle de Rayan, déclare au Times of Israel que tous ceux avec lesquels il s’est entretenu considèrent qu’Israël a été à l’origine de la mort de l’enfant. Mais au-delà de la colère visible qui tend les visages rougis par la chaleur de l’assistance et au-delà des lamentations, le sentiment qui domine est le chagrin, note-t-il.

Alors que le cortège funèbre accompagne le corps du petit défunt ramené à l’habitation de sa famille pour un dernier adieu, plus de cent personnes présentes entrent dans une cour de taille modeste en empruntant un passage étroit, s’efforçant de réconforter les parents éplorés en entonnant des chants religieux.
Ils embrassent la tête et les pieds du garçon dont le corps est enveloppé dans le drapeau palestinien.
« Dieu est grand ! », crient-ils. « Ô Rayan, lumière de nos pupilles ! »
Et tandis que la foule se dirige, à pied, vers une mosquée avoisinante, deux femmes âgées, un peu à l’écart, avancent les mains pour un dernier adieu, essuyant à la fois leurs larmes et leur visage recouvert de sueur.
A la mosquée, les hommes réunis sous une tente où de nombreuses photos de Rayan ont été accrochées déclare qu’il a été le « martyr des forces de l’occupation qui prennent en chasse des enfants en âge d’aller à l’école ».

Selon l’armée israélienne, les soldats ont, en effet, pris en chasse deux jeunes qui jetaient des pierres sur des véhicules israéliens jusqu’au domicile de la famille Suleiman. Tuqu’ est un village situé le long d’une route qui relie deux blocs d’implantations au sud de Jérusalem, et les soldats y sont régulièrement déployés pour décourager ce genre d’attaque.
L’armée a expliqué que les troupes étaient calmement restées à la porte et qu’elles avaient informé le père de Rayan des jets de pierre – les militaires affirment par ailleurs que ce sont les frères du petit garçon, âgés de 8 ans et de 10 ans, qui en étaient alors à l’origine.
Le père de Rayan, Yasser Suleiman, a pour sa part évoqué des échanges beaucoup plus brutaux, qui auraient tellement effrayé Rayan qu’il en est mort. Dans un entretien avec Yuval Avraham, un activiste israélien, Suleiman avait déclaré que les soldats étaient en train de courir au hasard après les enfants dans tout le quartier quand, à l’extérieur de la maison, les militaires lui avaient donné l’ordre de venir en hurlant. Selon Suleiman, les militaires lui avaient demandé d’appeler ses enfants et ils avaient pointé une arme dans sa direction lorsqu’il avait protesté.
Suleiman avait ajouté que son fils, Rayan, avait vu ses deux frères en train d’être interrogés par les soldats depuis le second étage et qu’il avait tenté de s’échapper par la porte avant, en vain. Peu après, selon le père du défunt, un soldat était venu l’informer que son fils avait chuté. Il avait ensuite retrouvé le corps sans vie de Rayan sur le sol.
Tsahal a toutefois affirmé que le petit garçon avait été emmené à l’hôpital bien après le départ des soldats.
La tante de Rayan, qui se trouvait au domicile familial au moment de l’incident, a déclaré avoir été terrifiée quand les militaires étaient brutalement entrés dans la maison. Elle a dit qu’ils lui avaient remis un document en hébreu qu’elle n’avait pas été en mesure de lire et qu’ils avaient crié : « Nous voulons les garçons, où sont les garçons ? »
« Les enfants sont en danger en permanence, de la part des habitants d’implantation ou des militaires, quand ils reviennent de l’école », déclare la tante qui se présente sous le nom d’Umm Ali et qui remarque que les soldats font des patrouilles dans le raccourci verdoyant emprunté par les élèves pour revenir chez eux après la classe. « Rayan n’est pas le premier exemple : c’est seulement l’exemple le plus récent ».
Les sources palestiniennes divergent sur l’origine de la mort de Rayan, qui pourrait avoir succombé à une attaque cardiaque ou mourir des suites d’une chute depuis une hauteur non-précisée. Les résultats définitifs de l’autopsie n’ont pas encore été rendus publics.

Le docteur Mohamed Ismail, pédiatre, a fait savoir que Rayan était initialement en bonne santé et qu’il n’avait aucun antécédent médical.
« Le scénario le plus probable est que sous l’effet du stress, l’enfant a sécrété de l’adrénaline de manière excessive, ce qui a entraîné une augmentation de son rythme cardiaque », a commenté Ismail. « Et son cœur a finalement lâché ».
A la mosquée, l’imam se focalise moins sur la situation politique que sur les leçons à tirer dans le Coran en matière de justice face à cette épreuve du deuil, et sur le réconfort à trouver dans la miséricorde de Dieu. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des mots durs pour Israël qu’il accuse « de crimes commis contre nos fils ».
Il évoque également la demande des États-Unis qui ont expressément réclamé une enquête sur la mort de l’enfant, ainsi que les condamnations qui ont afflué à l’international.
Khaled Elgindy, expert sur la question palestinienne au sein du Middle East Institute, a expliqué que la déclaration faite par les Américains « indique de graves inquiétudes sur les circonstances qui entourent cet incident ».

La mort de Rayan a aussi bouleversé d’autres parents palestiniens.
Musa, un homme de 48 ans né à Tuqu’, dit au ToI que son fils de 8 ans a été arrêté après avoir jeté des pierres – un incident qui est une manifestation « du sentiment d’appartenance à la Palestine » de son enfant, ajoute-t-il.
Musa indique être venu à ces funérailles « parce que c’est un devoir ».
« Ici, nous sommes une famille et nous devons donc rester soudés – que ce soit dans les événements heureux ou malheureux comme celui-ci », s’exclame-t-il.
Un homme de 38 ans, qui se présente sous le nom d’Abu Muhammad, dit avoir peur pour la vie de son propre fils, qui a l’âge de Rayan, notant que les tensions sont souvent élevées dans les secteurs où communautés arabes et implantations israéliennes vivent côte à côte – ce qui est le cas de Tuqu’, un village adjacent à l’implantation de Tekoa.
Israël considère les jets de pierre comme un crime susceptible d’être sanctionné par une peine maximale de 20 ans d’emprisonnement. Selon un rapport récent du groupe Defense for Children International – Palestine, la majorité des 500 à 700 enfants palestiniens placés en détention par l’État juif doivent répondre de jets de pierre. Si la loi israélienne interdit le placement en détention des enfants de moins de douze ans, des informations laissent entendre que cette loi n’est pas toujours respectée.
A la fin des funérailles, une nouvelle flambée de violence semble couver alors que de petits groupes d’hommes jeunes insultent et jettent des pierres aux véhicules blindés israéliens qui arpentent les rues de Tuqu’ en faisant vrombir leur moteur.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel