Comment des résolutions sur la lointaine Gaza sèment la haine dans les villes américaines
Les Juifs américains disent que les gens utilisent les audiences publiques pour déverser leur antisémitisme - et les lois sur la liberté d'expression empêchent de faire quoi que ce soit à ce sujet
NEW YORK — Il fut une époque où la question la plus sensible, devant le Conseil municipal de Yonkers, avait été de déterminer comment combler un déficit de 86 millions de dollars.
Mais tout a changé au mois d’octobre dernier, quand les groupes pro-palestiniens ont commencé à pousser le Conseil à adopter une résolution de cessez-le-feu dans la guerre qui oppose Israël et le Hamas – une guerre qui avait commencé après que des milliers de terroristes du Hamas ont semé la désolation dans tout le sud d’Israël. Lors de leur invasion sanglante, les hommes armés avaient tué près de 1 200 personnes et ils avaient enlevé 252 personnes qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
A Yonkers, ce sont des semaines de débat qui ont suivi – avec des propos souvent au vitriol – et une résolution a été préparée avant d’être mise de côté au mois d’avril.
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« Ce n’est pas que je ne veux pas la paix au Moyen-Orient ou que je ne veux pas la libération des otages, c’est que c’est symbolique », explique la présidente du Conseil municipal, Lakisha Collins-Bellamy. « Nous ne pouvons pas faire appliquer cette résolution ; elle n’a aucun pouvoir. Ce n’est pas comme si le président Biden allait se dire : ‘Écoutez, Yonkers a adopté une résolution : Mettons un terme à cette guerre’. »
Depuis que Richmond, en Californie, est devenue la première ville, aux États-Unis, à adopter une résolution qui prônait un cessez-le-feu, le 25 octobre [l’incursion terrestre à Gaza a commencé le 27 octobre], plus de 100 municipalités de toute la nation – notamment Atlanta, Chicago, Detroit ou Toledo – ont suivi le même exemple. Toutefois, parce que les gouvernements locaux n’ont aucune autorité en ce qui concerne les conflits à l’international, ces résolutions sont au mieux symboliques – et les audiences qui ont précédé les différents votes ont souvent été marquées par des expressions de haine pures et simples.
« Dans de nombreux cas, c’est de la vertu ostentatoire qui est affichée – c’est-à-dire tout le contraire d’une approche sophistiquée », commente Jeremy Burton, directeur-général du Jewish Community Relations Council (JCRC) pour la région du Grand Boston. « Et les nuisances sont réelles dans le sillage d’une audience qui dure de six à huit heures, où une rhétorique vraiment haineuse, clivante et immonde a libre cours. On a l’impression que ces gens ne viennent que pour vomir leur discours de haine avant de s’en aller ».
Cette multiplication des discours de haine fait partie intégrante d’une stratégie, explique Menachem Rosensaft, professeur de droit adjoint au sein de la Cornell Law School, maître de conférences à la faculté de droit de Columbia et conseiller émérite au sein du Congrès juif mondial.
Les municipalités et le public doivent bien comprendre que ces résolutions « entrent clairement dans le cadre d’un effort extrêmement bien cordonné visant à exprimer l’opposition à la guerre entre Israël et le Hamas dans le contexte plus large d’un sentiment anti-israélien généralisé », ajoute Rosensaft.
« Ces résolutions ne doivent pas être considérées de façon abstraite – elles émanent des mêmes individus et des mêmes groupes qui ont par ailleurs organisé les manifestations très virulentes contre Israël, des manifestations qui étaient largement antisémites », continue Rosensaft. « Il faut aussi remarquer que ces mêmes municipalités n’appellent pas la Russie à mettre un terme à sa guerre contre l’Ukraine – en d’autres mots, le sentiment anti-guerre des parrains de ces résolutions se limite à celle qui oppose Israël au Hamas, avec un règlement susceptible de bénéficier au Hamas ».
Déchirer les communautés
A la fin du mois de janvier, deux villes du Massachusetts, Sommerville et Cambridge, ont adopté des résolutions de cessez-le-feu à l’issue d’une période « de débat public brève, très clivante et très préjudiciable », note Burton. Même si Cambridge a reconnu que le Hamas était une organisation terroriste et que la résolution réclamait un cessez-le-feu négocié, et non inconditionnel, la dernière audience consacrée au sujet a eu lieu par internet, le conseil craignant que des manifestants anti-israéliens – qui avaient appelé leurs soutiens à les rejoindre via les réseaux sociaux – ne viennent perturber la procédure.
La ville de Brookline, dans le Massachusetts, ne se prononcera pas sur son projet de résolution avant la fin du mois de mai, ce qui signifie qu’il y aura des audiences répétées – et plus de temps accordé aux membres du public qui pourront s’adonner à des discours de haine et diviser encore un peu plus la communauté, dit Burton. Il ajoute que faire obstacle à l’expression de cette haine pourrait être considéré comme une interférence gouvernementale dans la liberté d’expression, une interférence qui est inconstitutionnelle.
« Pendant une rencontre du Conseil municipal de Bloomington, le 3 avril, où la question d’une résolution sur un cessez-le-feu était débattue, plusieurs intervenants ont terminé leurs propos en disant ‘Heil Hitler’ ».
A 1 600 kilomètres de là, à Bloomfield, dans l’Indiana, aux abords de la ville universitaire de Bloomington, Alvin Rosenfeld déclare que les rencontres du Conseil qui se sont focalisées sur la résolution de cessez-le-feu ont été marquées par des discours de haine virulents.
« En termes d’impact sur des événements qui ont lieu à 10 000 ou à 12 000 kilomètres de là, ça ne représente rien. Mais si on parle d’impact sur la communauté, c’est tout le climat qui a changé. Il y a plus de tensions, il y a plus de malaise. Un certain nombre d’intervenants ont dit des choses extrêmes, hideuses et personne, au sein du Conseil, ne leur a dit qu’ils avaient outrepassé les limites », déplore Rosenfeld, directeur et fondateur de l’Institut d’études de l’antisémitisme contemporain au sein de l’Université de l’Indiana.
Par exemple, pendant une réunion du Conseil municipal de Bloomington où une résolution de cessez-le-feu était débattue, certains résidents se sont livrés à des invectives suprémacistes blanches. D’autres intervenants ont terminé leurs propos en disant « Heil Hitler. » Un autre a demandé s’il était « censé se sentir mal pour ces parasites au moment où la roue tourne enfin. Les gens doivent se réveiller et ils doivent réaliser que le sionisme, c’est le Judaïsme ; que le Judaïsme, c’est le communisme et que c’est une religion du mal ».
Au-delà du fanatisme, Rosenfeld estime que les Conseils municipaux ne devraient pas travailler sur ce type de résolution, quoi qu’il arrive.
« Quand vous voulez servir au sein du Conseil municipal, nous, les électeurs, nous ne vous posons aucune question sur vos engagements en matière de politique étrangère. Ce que nous vous demandons, c’est que vous sachiez réparer les trous, dans les rues, et garantir que les bus partiront à l’heure », continue-t-il.
Que la politique étrangère ne soit en rien placée sous la responsabilité du Conseil municipal n’a guère d’importance pour Mohyeddin Abdulaziz, membre de l’Arizona Palestine Solidarity Alliance. Il déclare que l’adoption d’une résolution au niveau local transmet un message à l’administration Biden.
« J’ai toujours pensé qu’appeler au cessez-le-feu était un appel raisonnable. Ce conflit entraîne des morts des deux côtés et un cessez-le-feu est l’occasion donnée de mettre un terme aux meurtres et au génocide », poursuit Abdulaziz. Même s’il pense que le gouvernement israélien comme le Hamas sont « violents et oppresseurs », il tient Israël pour responsable des circonstances qui ont permis au Hamas de voir le jour.
Quels « otages » exactement ?
En plus de demander un cessez-le-feu inconditionnel, Abdulaziz dit que la résolution avancée par son groupe appelle « au retour de tous les otages » – non pas en référence aux 132 Israéliens kidnappés qui sont encore dans les geôles du Hamas et de ses complices civils mais aux prisonniers palestiniens incarcérés pour atteinte à la sécurité nationale, qui purgent actuellement des peines dans les prisons israéliennes.
Pour combattre contre une telle confusion en matière de terminologie, le JCRC du Grand Boston a mis au point une série de directives à destination des gouvernements locaux qui peuvent être amenés à réfléchir à de telles résolutions.
Ces directives suggèrent, par exemple, que toute résolution de cessez-le-feu établisse, sans ambiguïté, que le Hamas est une organisation terroriste reconnue comme telle qui a violé un cessez-le-feu en place lorsqu’il a pris d’assaut le territoire israélien, le 7 octobre, et qu’il s’est rendu coupable de crimes de guerre contre des civils israéliens, utilisant de surcroît les Palestiniens comme boucliers humains. De plus, les résolutions doivent aussi reconnaître le droit à l’auto-défense et le droit à l’existence d’Israël, selon les mêmes recommandations.
Début janvier, le conseil municipal de Bridgeport, au Connecticut, est devenu le premier à avoir adopté une résolution de cessez-le-feu dans l’état.
Maria Pereira, membre de ce Conseil municipal Démocrate à 100 %, a été la seule à voter contre – parce que, selon elle, Bridgeport n’a aucune influence en matière de politique étrangère et en raison aussi de sa formulation.
« Nous n’avons aucune autorité en ce qui concerne les affaires internationales. Si vous voulez exprimer votre soutien à une cause internationale alors entrez en contact avec votre sénateur ou avec votre représentant », s’exclame Pereira. « Avant le 7 octobre, je me considérais comme pro-palestinienne. Je ne soutiens ni le Premier ministre israélien, ni l’idée d’envoyer l’argent du contribuable pour aider cette guerre, mais comment pouvez-vous tuer 1 200 Israéliens, dont certains étaient Américains, et affirmer que c’est vous, la victime ? »
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