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Comment marier l’innovation israélienne au gros porte-monnaie de la Chine ?

Pékin voit Tel Aviv comme un foyer de technologie, et les Israéliens voient les Chinois comme une source d'argent, mais pour certains la relation n'est pas forcément idyllique

Edouard Cukierman lors de la conférence GoForIsrael à Jinan, Chine, le 28 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)
Edouard Cukierman lors de la conférence GoForIsrael à Jinan, Chine, le 28 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

JINAN, Chine – Yonatan Houri affirme avoir un remède contre le smog qui étouffe Pékin et d’autres villes depuis des années. Le système Urecsys ne fera pas grand-chose pour l’air extérieur, mais selon l’entreprise, il peut filtrer l’air à l’intérieur d’une maison mieux que tout autre produit sur le marché, pour un prix bien inférieur à celui de ses concurrents.

Après 4,5 ans de développement, le système, créé par l’entrepreneur en série Kobi Richter et d’autres chercheurs principalement basés à l’Université hébraïque de Jérusalem, arrive enfin sur le marché, mais seulement en Israël, pour le moment.

« Nous ne voulons pas rendre l’air des riches plus propre, nous voulons rendre l’air de tout le monde plus propre », a déclaré Yonatan Houri, assis à une table à l’extérieur d’une grande salle de conférence en Chine, où son produit pourrait avoir un plus grand impact qu’en Israël.

Yonatan Houri était l’un des dizaines de représentants d’entreprises israéliennes qui se sont rendus en Chine le mois dernier à la recherche de fonds d’investissement provenant d’un pays qui a été le premier au monde ces dernières années à investir des fonds hors de ses frontières. Pour beaucoup, ce voyage était aussi un moyen d’entrer sur le plus grand marché du monde – un marché qui, selon plus d’un homme d’affaires israélien, ne peut tout simplement pas être ignoré, malgré un grand nombre de craintes, de la protection de la propriété intellectuelle aux risques de guerre commerciale.

« Israël est minuscule, et la Chine est immense, mais si l’on met Israël et la Chine ensemble, nous avons un cinquième de la population mondiale », a déclaré Edouard Cukierman, président de Cukierman and Co, qui a organisé la conférence GoForIsrael ayant réuni des investisseurs chinois et des hommes d’affaires israéliens à Jinan le 28 mai.

Des entrepreneurs israéliens, des investisseurs chinois potentiels et des traducteurs en entretiens individuels lors de la conférence GoForIsrael à Jinan, Chine, le 28 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

Malgré les tensions commerciales avec les États-Unis, qui atteignent des proportions inquiétantes, un champ de pièges potentiels pour les relations d’affaires entre Israël et la Chine se développe.

En 2018, le commerce bilatéral entre les deux pays a atteint le chiffre record de 13,5 milliards de dollars, contre seulement 45,6 millions en 1992 et 11,6 milliards en 2017, selon Ofer Peleg, chef de la mission du ministère israélien des Finances en Chine, l’un des trois bureaux du genre dans le monde.

Il n’y a pas de chiffres qui permettent de suivre l’ampleur exacte des investissements chinois en Israël, mais les experts disent qu’ils augmentent également, car Pékin étend sa portée mondiale et cherche à exploiter bon nombre des technologies qui ont valu à Israël une réputation de leader mondial. D’un autre côté, de nombreuses entreprises israéliennes voient dans le fait d’avoir un investisseur chinois une porte d’entrée en or sur le marché local.

« On peut voir beaucoup de dynamisme. On peut voir beaucoup d’investisseurs chinois se rendre en Israël et beaucoup d’entreprises israéliennes venir en Chine », a déclaré Benjamin Peng, qui dirige le bureau de Cukierman en Chine. « De toute évidence, les entreprises technologiques israéliennes s’intéressent au plus grand marché du monde. »

Selon les organisateurs, 108 entreprises israéliennes y ont participé, de même que quelque 1 400 hommes d’affaires chinois, et le fondateur de GoForIsrael, Cukierman, s’est décrit comme un entremetteur qui a organisé un petit chidoukh entre eux.

L’entrepreneur israélien Michael Chojnacki de la société de technologie dans le domaine du sport Baseline Vision présente son idée aux investisseurs chinois à Jinan, en Chine, le 28 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

GoForIsrael a été fondé en 1997, initialement axé sur l’Europe. Ces dernières années, cependant, elle s’est déplacée vers la Chine à mesure que les liens économiques se sont resserrés entre les pays.

Les tensions politiques entre Israël et l’Europe ont contribué à alimenter une partie de la croissance, selon M. Cukierman et d’autres experts, et de nombreux Chinois considèrent également Israël comme une alternative à l’Occident, où les tensions politiques et une guerre commerciale imminente avec les États-Unis ont refroidi les liens politiques et économiques.

Certains Israéliens ont exprimé leur réticence à faire des affaires avec la Chine, à la fois par crainte de mettre en danger les relations commerciales avec les États-Unis, si la guerre économique s’aggravait, et par souci en matière de protection de la propriété intellectuelle.

« Nous sommes préoccupés par le conflit avec les Chinois, car s’il s’intensifie, les Américains pourraient nous demander de prendre position », a déclaré un participant israélien qui s’exprimait sous couvert d’anonymat en raison de la sensibilité du sujet.

M. Houri a déclaré que sa société s’inquiétait pour sa propriété intellectuelle, mais qu’elle avait pris des mesures pour se protéger fortement par un certain nombre de brevets aux États-Unis et ailleurs. Il a indiqué que certaines entreprises chinoises avaient manifesté leur envie d’investir à condition de dévoiler davantage d’informations sur ses technologies, l’obligeant à décliner ces offres.

« Nous essayons de ne pas trop divulguer notre technologie jusqu’à ce que nous trouvions le bon partenaire qui, nous le savons, pourrait protéger la propriété intellectuelle ici », a t-il ajouté.

Nouvelles tours en construction près de Jinan, Chine, le 26 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

D’autres entrepreneurs israéliens se sont fait l’écho des mêmes préoccupations, mais ont insisté sur le fait qu’il fallait prêter attention à la Chine, étant donné la taille du marché et les sommes d’argent potentiellement en jeu.

La conférence de Jinan était la troisième de Cukierman en Chine, avec deux autres en Israël et une troisième prévue à Tel Aviv début décembre. Elle est considérée par les deux parties comme un moyen de resserrer les relations commerciales et les liens. (Pour faire acte de transparence : Cukierman and Co. a fourni le billet d’avion et l’hébergement du journaliste du Times of Israël pour assister à la conférence.)

Le maire de Jinan, Qun Xu, a déclaré au forum qu’il considérait la réunion comme un moyen d’encourager à la fois la coopération commerciale et « de promouvoir de meilleurs liens entre nos pays ». En 2013 et 2017, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est rendu en Chine avec à peu près le même objectif, et l’année dernière, le vice-président chinois Wang Qishan a fait de même, devenant le plus haut responsable jamais venu de Pékin pour visiter Israël.

« Nous voulons marier notre technologie avec les capacités de la Chine », a déclaré M. Netanyahu lors de la deuxième visite, à l’occasion d’un sommet sur l’innovation entre Israël et la Chine à Pékin, bien que ses efforts ont échoué dans la conclusion d’un accord de libre échange attendu depuis longtemps.

De Jérusalem à Jinan

Le nom de Jinan n’est pas très connu en Israël, et certains participants à la conférence ont découvert cette ville de 10 millions d’habitants grâce à l’événement.

Mais la ville en plein essor, célèbre pour ses sources artésiennes, est aussi la capitale du Shandong, l’une des provinces chinoises dont la croissance de la population et du PIB est la plus rapide du pays. Les responsables locaux ont décrit à maintes reprises leur volonté de faire appel à l’innovation israélienne pour répondre aux besoins du Shandong.

Un parc près du centre de Jinan, en Chine, le 27 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

« Nous admirons l’esprit d’innovation d’Israël et nous pensons qu’un grand nombre des industries qu’Israël dirige dans le monde peuvent répondre aux besoins des industries du Shandong », a déclaré Wang Dongkai, directeur général adjoint de Shandong Guo Hui Investment Co, qui a également participé au financement de la conférence.

Wang Dongkai, directeur général adjoint de Shandong Guo Hui Investment Co. le 28 mai 2019. (Joshua Davidovich/Times of Israel)

Ces industries vont de l’agriculture et de la technologie de l’eau à l’industrie manufacturière, domaines dans lesquels Shandong a traditionnellement ouvert la voie, en passant par des domaines plus récents comme les technologies de l’information et des communications, l’apprentissage automatique, les sciences du vivant.

« Nous sommes une grande province dotée d’une vaste plate-forme industrielle. Nous pensons qu’il y a une grande concordance. Et si la R&D israélienne peut se concentrer davantage sur les besoins du Shandong, elle peut stimuler la coopération bilatérale », a déclaré M. Wang par le biais d’un interprète.

Les investissements chinois en Israël se sont traditionnellement détournés des secteurs de haute technologie, avec de gros paris sur le producteur laitier Tnuva et les entreprises chimiques Makhteshim Agan et Adama Agricultural, avec un petit nombre d’investissements importants dans les secteurs de la technologie médicale et des infrastructures ces dix dernières années également.

Mais le virage de la Chine vers la technologie a été souligné par la constitution à la fois des investisseurs, qui venaient de Shanghai, de Pékin et d’autres endroits en plus de Shandong, et des entreprises israéliennes, qui allaient des industries aérospatiales d’Israël, qui ont déjà créé des entreprises communes en Chine, aux petites entreprises qui cherchent du financement pour mettre leurs idées en chantier.

Des ouvriers enroulent un tapis rouge après une cérémonie de bienvenue organisée par le Premier ministre chinois Li Keqiang pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu au Grand Hall du peuple à Beijing, Chine, le 8 mai 2013. (AP/Alexander F. Yuan)

Alors que certains intervenants chinois ont mentionné vouloir faire des affaires avec Israël dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la science des matériaux et des technologies de la communication, les entreprises israéliennes ont tendance à privilégier les technologies médicales, financières et écologiques.

L’ancien ministre de l’agriculture Yair Shamir, qui est directeur associé du fonds Catalyst avec l’entreprise publique China Everbright Limited et a joué un rôle majeur dans l’organisation du colloque, a déclaré que la composition des entreprises israéliennes représentées n’était pas un hasard, surtout au vu de l’évolution de la définition des technologies qui pourraient avoir des applications militaires.

Yair Shamir (photo credit: Yonatan Sindel/Flash90)
Yair Shamir en 2013. (Crédit photo : Yonatan Sindel/Flash90)

« C’est devenu un peu plus ambigu, parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont à double usage. Il n’y a pas de définition ici, et la partie israélienne devrait être très prudente à ce sujet. C’est pourquoi nous apportons la biotechnologie. Nous essayons de ne pas apporter certaines choses en Chine », a-t-il dit. « Nous sommes un singe dans la jungle, et il y a deux gorilles. Nous devons survivre. Nous ne pouvons pas nous contenter de l’un d’entre eux. Nous devons jouer entre les gorilles, donc nous devons savoir où sont nos frontières. »

« Nous sommes un petit pays, nous avons besoin de la Chine », a-t-il ajouté.

Grande muraille de malentendus

Il n’y a pas de chiffres précis sur le nombre d’accords avec la Chine ayant finalement échoué, mais selon plusieurs experts, ce nombre n’est pas insignifiant.

« Nous devons examiner les investissements qui ont déjà été faits. L’argent passe-t-il vraiment de Chine en Israël ? Nous n’avons pas les chiffres », a déclaré Yoram Evron, professeur agrégé au Département des études asiatiques de l’université de Haïfa.

La vente de Tnuva en est probablement un bon exemple. En juillet, la holding israélienne qui avait vendu la société laitière à Bright Foods en Chine pour 2,3 milliards de dollars quatre ans plus tôt avait tenté de la racheter pour environ la moitié de ce montant, ce qui traduisait des années de pertes pour l’entreprise.

Des agriculteurs manifestent contre le projet d’Apax Partners de vendre Tnuva au chinois Bright Foods aux abords des bureaux d’Apax, à Tel Aviv. (Crédit : Roni Schutzer/Flash90)

Oded Shenkar, professeur à l’Université de l’Ohio et l’une des rares voix critiques à avoir été entendues au colloque, a déclaré que les Israéliens étaient trop prompts à ignorer des faits culturels importants, entraînant des malentendus qui ont finalement fait échouer les accords.

Le professeur Oded Shenkar, de l’État de l’Ohio, parle du commerce international lors d’une table ronde à Breckenridge (Colorado), le lundi 13 juin 2005. (AP/Ed Andrieski)

« Les Israéliens ont tendance à être trop confiants… D’après mon expérience, ils se précipiteront souvent dans une transaction sans avoir une compréhension complète de ce qui se passe », a expliqué Oded Shenkar.

« En ce qui concerne la culture, une étude après l’autre vous montrera qu’il s’agit d’un facteur d’une importance critique. C’est souvent le plus important », a-t-il ajouté.

Ariel Briskin, de la Chambre de commerce israélienne en Chine basée à Pékin, a déclaré que son groupe avait pour objectif d’aider les entreprises qui se tournent vers la Chine à être mieux informées sur la façon d’y faire des affaires, notamment en ouvrant un bureau à Tel Aviv pour influencer les chefs d’entreprise avant qu’ils arrivent à Pékin ou Shanghai.

« Quand les Européens viennent en Chine, ils se concentrent davantage sur la façon de faire des affaires, et les Israéliens se disent simplement ‘faisons du business' », explique-t-il.

Un investisseur réagit en surveillant le cours des actions à la maison de courtage de Beijing, le jeudi 6 juin 2019. (AP/Andy Wong)

Wang, de Shangdong Goihui, a déclaré qu’il pensait que les différences culturelles pouvaient être surmontées mais s’est plaint que les Israéliens étaient trop enclins à augmenter leurs prix et trop agressifs.

« D’après ce qu’on a observé jusque-là, certains investisseurs seront découragés par les entreprises qui pratiquent des prix excessifs », a-t-il dit. « J’espère que les compagnies israéliennes auront de plus grandes ambitions et qu’elles se tourneront vers la Chine, qui est un marché immense. »

« Nous espérons vraiment pouvoir nous adapter les uns aux autres. Ce n’est pas seulement que les Chinois ont besoin de s’adapter aux Israéliens, mais aussi l’inverse… Les Chinois ne sont pas aussi directs que les Israéliens. J’espère qu’on parviendra à une situation où les deux pays se rejoindront. »

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