Dans cette grotte humide du Golan, l’arrière-petit-fils d’Hérode recevait dans le plus pur style romain
L'autel dédié au culte de Pan a sans doute servi à des banquets du temps du roi Agrippa II, ce qui confirme le récit de Josèphe, estiment de nouvelles études
Les dernières fouilles menées à Banias, à la fois site archéologique et parc national situé sur le plateau du Golan, près de la frontière avec le Liban, ont révélé qu’une grotte sacrée longtemps associée au culte du dieu Pan avait sans doute été convertie en salle de réception dans le plus pur style romain à la fin du 1er siècle de notre ère, par Agrippa II, l’arrière-petit-fils du roi Hérode.
Après la révolte juive contre la domination romaine (66-73 de notre ère), Agrippa II, élevé à Rome et résolument aux côtés des Romains du temps de cette révolte, a fait de cette grotte et de ses environs un nymphaeum-triclinium, autrement dit un lieu de réception de style romain, avec un ruban d’eau acheminé par aqueduc circulant tout autour d’une salle à manger centrale, expliquent la Dre Adi Erlich et le chercheur Ron Lavi, de l’Institut Zinman d’archéologie de l’Université de Haïfa.
Il s’agit d’ « une véritable découverte » qui « change beaucoup l’histoire de Banias » et donne du crédit aux récits de l’historien Josèphe, contemporain d’Agrippa II, souligne le chercheur Lavi, en ligne avec Erlich, lors d’un appel téléphonique via Zoom avec le Times of Israel.
« Nombreux sont ceux qui considèrent que Josèphe exagérait, mais quand on creuse un peu et que l’on compare ses récits [avec] les descriptions historiques, il a souvent raison », poursuit-il. Josèphe a notamment écrit des choses au sujet d’une grotte pleine d’eau à Banias et « nous pouvons maintenant le confirmer, grâce à la découverte de cet aqueduc, conçu pour évacuer l’eau de la grotte ».
Erlich et Lavi ont publié les résultats de leur étude, « Dine and Worship : The Roman Complex in Front of the Pan Grotto in Paneas/Caesarea Philippi [NDLT : Dîner et culte : Le complexe romain devant la grotte de Pan à Paneas/Césarée de Philippe] », en novembre dernier dans la revue à comité de lecture Bulletin of the American Society of Overseas Research (University of Chicago Press).
Ce lieu de banquet a été découvert lors de fouilles « magiques » menées en 2020 et 2021, en un lieu déserté par les touristes en raison de la pandémie de COVID. Ce sont des travaux de routine – le renforcement d’une paroi – qui « ont appelé l’attention », rappelle Lavi.
La zone située devant la grotte était traditionnellement présentée comme l’Augusteum du roi Hérode, temple construit par Hérode durant son règne en hommage à la puissance impériale de Rome. C’est lui qui aurait bloqué l’accès à la grotte.
Les chercheurs ont écrit : « Les dernières fouilles apportent la preuve que, durant la période romaine, cet endroit était découvert et ouvert sur une grotte pleine d’eau. L’eau s’écoulait grâce à un aqueduc de grande taille et des installations destinées à la circulation de l’eau avaient été construites dans la cour, ainsi que des niches dans ses flancs Ouest et Est. »
La grotte était « probablement au départ un espace ouvert et culturel. Mais nous pensons qu’Agrippa II, dans le dernier tiers du premier siècle, en a fait son triclinium privé, une salle à manger avec de l’eau. La grotte était pleine d’eau, comme toute la zone située devant », explique Erlich.
« Dans l’Italie romaine du Ier siècle, c’était très courant. On dînait dehors et il y avait une source d’eau, une fontaine ou un autre type d’installation d’eau », précise Erlich. « Cela allait de pair avec la belle vue, le bruit de l’eau et les effluves des mets. Tous les sens devaient être en éveil. »
Le site de Banias avait sans doute un élément de plus – sa grotte – raison pour laquelle on en a fait un nymphaeum-triclinium. « La grotte était en effet pleine d’eau. Il y avait un énorme rocher au milieu, qui était le point central de tout le complexe. Ce rocher portait probablement un autel ou une statue », explique Erlich.
« L’ensemble du complexe s’articulait autour d’un plan symétrique, face à ce rocher. L’aqueduc contrôlait le niveau de l’eau afin que ce rocher soit visible à tout moment », ajoute-t-elle en précisant que des pièces de monnaie anciennes trouvées non loin, plus exactement à Césarée de Philippe, montrent « une statue de Pan ou une figure apparentée debout dans la grotte ».
Le lieu de banquet nympheum-triclinium de style romain découvert à Banias est unique en son genre en Israël, expliquent les chercheurs.
À l’époque, la grotte était alimentée par une source naturelle et devait être constamment remplie d’eau, mais il est probable qu’à une date ultérieure, un tremblement de terre ait modifié le débit de l’eau, la grotte ne se remplissant plus qu’occasionnellement grâce au ruissellement lié aux fortes pluies, ajoutent les chercheurs.
Liens chrétiens
Au premier siècle, la grotte de Banias faisait partie de la ville romaine de Césarée de Philippe, un lieu évoqué par les Évangiles de Marc et Matthieu, dans le Nouveau Testament, comme étant le lieu où saint Pierre a reconnu la divinité de Jésus. Une église datant du 5e siècle a déjà été découverte sur le site de la grotte, et à l’époque moderne, la région est devenue un lieu de pèlerinage chrétien.
Le nom de Banias, également connu depuis la période hellénistique sous le nom de Panéas, tire ses origines du nom Pan, ce qui rappelle que cette grotte a longtemps été associé au culte de cette divinité de la nature aux pieds de bouc et joueuse de flûte. Son culte, que l’on retrouve tout autour des rives orientales de la Méditerranée, était diffusé jusque dans les zones les plus reculées, grottes naturelles comprises.
Selon Josèphe, après la destruction du Second Temple de Jérusalem par Titus et ses légions, en 70 de notre ère, le général romain « se rendit à Banias et Agrippa l’accueillit avec des jeux dans lesquels les prisonniers étaient exécutés. Cela s’est passé à Césarée de Philippe, probablement en 70 de notre ère, peut-être un an plus tard », explique Erlich.
Agrippa II avait fui Jérusalem en 66 de notre ère, quelques années plus tôt, au début de la révolte juive, et il est probable que c’est à ce moment-là qu’il a transformé les lieux.
Des pièces de monnaie ont été trouvées dans le sol du complexe, les dernières datant de 69 de notre ère, « ce qui nous fait dire que nous sommes dans le dernier tiers du premier siècle et que nous avons ainsi une datation plus précise de la construction du complexe. Ce qui nous permet aussi de mieux comprendre le mode de gestion de l’eau sur place », poursuit Erlich.
La grotte de Panéas, en sa qualité de nympheum-triclinium, présente une ressemblance frappante avec des sites similaires en Italie, ajoute-t-elle, en particulier celui de Sperlonga, sur la côte entre Rome et Naples. Ce grand nympheum-triclinium construit au sein d’une villa impériale comportait lui aussi une grotte pleine d’eau et un autel central en pierre, qui menait à une salle à manger entourée d’eau.
Un site d’hydromancie
Sperlonga remonte à l’époque d’Auguste, le premier empereur romain, qui a régné entre 27 avant notre ère jusqu’à sa mort en 14 de notre ère. Le site est également associé à son successeur, l’empereur Tibère, qui a failli y mourir lorsque la grotte s’est effondrée en plein dîner, selon des sources latines.
Hérode Agrippa II, que l’on connait également sous le nom de Marcus Julius Agrippa, est né en 27 ou 28 de notre ère et, comme son père, a été élevé à la cour impériale romaine, après quoi il a été envoyé gouverner des territoires du nord d’Israël. C’est sans doute lors de son séjour à Rome qu’il a connu la tradition du nympheum-triclinium, qui lui a peut-être inspiré le complexe de Banias.
Agrippa II a combattu aux côtés des Romains lors de la révolte juive et envoyé des milliers de troupes aider les légions romaines lors du siège de Jérusalem, avant d’être blessé lors du siège de Gamla. Quelque temps après la révolte, il est retourné à Rome, où il est mort sans descendance aux environs de l’an 94 de notre ère. Il fut le dernier souverain de la dynastie hérodienne.
Selon les chercheurs, la zone de la grotte de Banias est ensuite retournée au culte de Pan et, selon les récits, à une forme d’hydromancie donnant lieu à des sacrifices, précipités dans l’eau pour déterminer le sort des fidèles. Plusieurs centaines d’années plus tard, le site deviendra une église primitive avec le développement du christianisme.
Aujourd’hui, Banias, à la fois parc national très apprécié et destination touristique réputée pour ses cascades, sources et sentiers de randonnée, est fermée depuis plus d’un an en raison du conflit entre Israël et le Hezbollah.
Selon l’Autorité israélienne de la nature et des parcs, qui est en charge du site et en a financé les fouilles, les roquettes du Hezbollah ont occasionné l’incendie de près de 34 hectares de nature, sans endommager la grotte, les sentiers de randonnée ou les autres installations.
Les projets de développement du site, à commencer par la reconstitution de la grotte de Banias à l’époque romaine, sont actuellement en attente et feront l’objet d’un nouvel examen après la guerre, conclut l’Autorité.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel