De 1948 à 2020, des caricatures politiques dressent le tableau d’un Israël dynamique
Le nouveau livre de Colin Shindler s'appuie sur le travail des principaux dessinateurs éditoriaux israéliens, qui demandent des comptes aux différents dirigeants du pays
Le fameux caricaturiste américain Herblock avait écrit, dans le passé, que « si la première fonction d’une presse libre est de servir de critique du gouvernement, la caricature est souvent à la pointe de cette critique ».
Ce qui s’applique très certainement aux caricatures politiques israéliennes comme le montre un nouveau livre écrit par l’historien britannique Colin Shindler qui est intitulé Israel : A History in 100 Cartoons (« Israël : Une histoire en 100 dessins humoristiques »). Ouvrage publié au début de l’année, c’est une lecture opportune au moment même où deux-tiers des Israéliens s’opposent au plan actuel de réforme du système judiciaire qui est avancé par le gouvernement et que des centaines de milliers de personnes descendent, chaque semaine, dans les rues pour dénoncer un plan qu’ils considèrent comme une menace pour la démocratie israélienne.
Le livre comprend des caricatures d’artistes israéliens parues dans les journaux publiés dans la période s’étendant des années qui ont précédé l’établissement de l’État, en 1948, jusqu’en 2020. Ils rappellent de manière frappante combien la satire visuelle a toujours été un moyen utilisé par les Israéliens pour tourner en dérision leurs dirigeants et pour faire face à l’adversité continue, qu’elle vienne du dehors ou de l’intérieur.
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« Une caricature peut vous en dire tellement en l’espace de seulement un instant », a commenté Shindler, dans le cadre d’un entretien accordé depuis son domicile de Londres.
Shindler, 76 ans, est professeur émérite à l’école des études orientales et africaines de l’université de Londres. Il est devenu le premier professeur d’études israéliennes au Royaume-Uni en 2008 et a été le président fondateur de l’EAIS (Association européenne d’études israéliennes) en 2009. Il a écrit 12 livres dont un grand nombre sont consacrés au sionisme, ainsi qu’à l’histoire et à la politique israéliennes.
Inspiré par un voyage effectué il y a une dizaine d’années au Musée de la caricature israélienne, situé à Holon, Shindler a décidé de se plonger dans le sujet. Un projet qui a connu une nouvelle dynamique pendant les confinements imposés dans le cadre de la pandémie de coronavirus, où il a passé des heures à naviguer dans la collection numérisée de journaux du Yishuv (la communauté juive pré-étatique) et d’Israël sur le site de la Bibliothèque nationale de l’État juif. Il est aussi entré en contact avec d’autres institutions culturelles et historiques ainsi qu’avec des dessinateurs de caricatures et leurs familles.
Shindler commence son livre par une introduction détaillée à l’histoire des caricatures, de la bande-dessinée et des dessins. Il explique aussi comment les Juifs, dans l’Histoire, ont été liés à ces trois modes d’expression visuelle.
« Les caricaturistes étaient des ‘étrangers’ par définition », a écrit Shindler.
Il a déclaré que dans la mesure où les Juifs ont été, dans l’histoire, ces « étrangers », il n’est guère surprenant qu’ils aient été « représentés de manière disproportionnée parmi les membres de la fraternité des caricaturistes et des satiristes ».
Après avoir évoqué les origines et l’histoire du sionisme, Shindler arrive au cœur de ce tome de 367 pages. Il divise l’histoire de l’État moderne d’Israël en décennies, offrant une seule caricature pour illustrer chacune d’entre elles. Chaque décennie est ensuite encore décomposée en mini-chapitre de quatre pages pour chaque année – avec la présentation d’un dessin, une présentation d’événements déterminants survenus à chaque période, et deux pages de résumé historique et contextuel.
« Ça a été le livre que j’ai trouvé le plus dur à écrire parce que j’ai dû faire d’intenses recherches sur les détails et sur les spécificités de ce qui arrivait chaque année. J’ai dû tout lire sur toutes ces années et sélectionner une caricature pour la période spécifique sur laquelle je décidais de me focaliser », a indiqué Shindler.
Il a déclaré au Times of Israel qu’il avait choisi les 100 caricatures en fonction de l’événement historique ou politique représenté, plutôt que sur la base de leur valeur artistique.
« Je ne peux pas dire que je suis un expert en caricatures. Je suis historien. Je m’occupe de politique. J’ai essayé de choisir une caricature non pas en fonction du dessinateur, mais en fonction de l’épisode qu’elle tentait d’illustrer », a déclaré Shindler.
« Fallait-il un équilibre entre les caricatures ou un équilibre entre les dessinateurs ? C’est devenu très complexe », a-t-il ajouté.
Les caricatures éditoriales paraissant quotidiennement ou hebdomadairement dans un grand nombre de publications israéliennes, il était en effet difficile de faire un choix. Bien que Shindler inclue le travail de 25 dessinateurs, certains apparaissent plus que d’autres. C’est le cas de Yaakov Farkash (1923-2002), connu sous le nom d’emprunt de Zeev. Survivant de la Shoah, né à Budapest, il a commencé à travailler pour Maariv en 1953 et a obtenu une page hebdomadaire dans en 1963.
« J’ai choisi beaucoup de Zeev. J’aime beaucoup son travail. L’une de mes préférées est celle qu’il a faite de Menachem Begin s’adressant à un rassemblement électoral de ses partisans sur la place Moghrabi, à Tel Aviv, en janvier 1949. Son poing est en l’air et ses quelques partisans tiennent une pancarte avec le slogan de l’Irgoun, « Only Thus » (« Ainsi seulement »), et la carte du grand Israël incluant la Jordanie. Alors que la plupart des spectateurs sont des policiers », a déclaré Shindler.
Si tous les dessinateurs ne sont pas des noms familiers, certains le sont pour ceux qui suivent la presse israélienne depuis plusieurs dizaines d’années – notamment Amos Biderman, Shay Charka, Kariel Gardosh (Dosh), Michel Kichka, Moshik et Avi Katz.
Il est à noter qu’une seule femme y figure. Une caricature de Friedel Stern (1917-2003), née en Allemagne, représente l’année 1958. Elle montre une femme au foyer qui ressemble à s’y méprendre au Premier ministre David Ben Gurion, coiffée d’un bob, un couvre-chef typiquement israélien, plaçant un objet étiqueté « Qui est juif ? » dans le congélateur. Cette image est le reflet d’une crise gouvernementale liée à la délivrance de cartes d’identité, provoquée par cette question. Ben Gurion est perçu comme préservant sa coalition en mettant le débat « Qui est juif ? » au réfrigérateur.
« Pour autant que je sache, ce n’était pas une profession pour les femmes. J’aurais évidemment fait un effort pour trouver un équilibre entre les hommes et les femmes, mais d’après ce que j’ai pu voir, il n’y avait pas de matière », a expliqué Shindler.
Shindler a noté qu’il avait perçu un durcissement du ton dans les caricatures politiques au fil des décennies, en particulier après 1967. Elles sont devenues beaucoup plus mordantes et sombres.
« En 2008, Dudy Shamaï a créé une image étonnante de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, qui a été condamné. Sa cravate est un nœud coulant qu’il resserre autour de son cou à mesure que le lecteur reconnaît les signes de sa corruption dans le dessin. Ce dessin suggère qu’il a lui-même provoqué sa chute », a-t-il déclaré.
Bien que le livre se termine en 2020 avec l’élection de l’éphémère gouvernement Bennett-Lapid, il encourage les lecteurs à prêter attention aux caricatures politiques dans la presse, sur les réseaux sociaux et également sur les pancartes de protestation dans les rues aujourd’hui.
« Dans la situation actuelle, le gouvernement tente de faire croire que la réforme du système judiciaire n’est qu’une simple mesure bureaucratique, qu’elle ne constitue pas une remise en cause de l’État de droit et qu’elle n’efface pas tout ce qui soutient l’État de droit », a déclaré Shindler.
« Cela fait des caricaturistes israéliens actuels – qui tentent de s’efforcer d’atteindre un certain sens de l’objectivité, de la vérité et des faits – une cible de choix », a-t-il ajouté.
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