Décès de Charlie Biton, fondateur des « Black Panthers » israéliens
L'ex-député de gauche sous la bannière du parti Hadash, il a notamment servi de pont entre les autorités israéliennes et l'Organisation de libération de la Palestine

Charlie Biton, l’un des fondateurs du mouvement israélien des Black Panthers, qui a contribué à placer la lutte pour l’égalité des Juifs d’Afrique du nord – séfarades – et des Juifs d’Orient – mizrahim – au premier plan de l’agenda politique israélien, est décédé dans la nuit de samedi à dimanche à l’âge de 76 ans.
Militant radical, puis membre de la Knesset, Biton était le visage d’un mouvement qui, à partir des années 1970, a forcé le pays à se pencher sur la discrimination de longue date à l’encontre des Juifs d’origine nord-africaine et moyen-orientale, poussant le gouvernement à s’attaquer à l’inégalité économique généralisée et à la privation de droits dans la politique, l’université et d’autres domaines de la vie aux mains de l’élite européenne ashkénaze – les Juifs des pays d’Europe centrale et de l’Est – du pays.
Biton vivait dans la banlieue de Jérusalem, à Mevasseret Zion, au moment de son décès. Il laisse une femme, des enfants et des petits-enfants.
Aucune cause de décès n’a été annoncée, mais l’état de santé de Biton n’avait cessé de se détériorer depuis 2021, date à laquelle il avait souffert de complications dues à une opération du cou bâclée qui avait fait éclater l’un de ses vaisseaux sanguins.
Bien que les Black Panthers de Biton n’aient jamais mobilisé suffisamment de soutien pour réussir électoralement, nombreux sont ceux qui attribuent au mouvement le mérite d’avoir ouvert la voie au succès des futures organisations politiques séfarades et mizrahim, en particulier le parti ultra-orthodoxe Shas.
« L’establishment s’est réveillé », avait déclaré Israel Katz, un ministre du parti Avoda qui a siégé avec Biton à la Knesset. « Cette affaire qui était restée sous la table s’est retrouvée sur la table. »

Le parti des Black Panthers s’est présenté à la Knesset en 1973, mais n’a pas réussi à franchir le seuil électoral. Biton est finalement entré à la Knesset en 1977, lors des élections qui ont vu le Likud, soutenu par les séfarades, prendre le pouvoir et transformer le paysage politique israélien après des décennies d’hégémonie du Mapaï, bien qu’il ait été élu avec le parti d’extrême-gauche arabo-juif Hadash, remportant un siège qu’il conservera pendant plus de dix ans.
Né à Casablanca, au Maroc, en avril 1947, Biton avait immigré avec sa famille à l’âge de deux ans en Israël, découvrant à l’adolescence la discrimination envers les Juifs d’Afrique du nord et du Moyen-Orient dont les conditions socio-économiques étaient moins favorables.
Il a grandi avec six frères et sœurs à la frontière de Jérusalem, avant 1967, dans le quartier pauvre de Musrara, qui abritait alors des centaines de familles juives nord-africaines et irakiennes.
La vie à Musrara se caractérisait par des espaces de vie exigus, un chômage endémique et un système scolaire terriblement sous-équipé. En plus de la misère économique, les explosifs posés le long de la frontière hostile entre Israël et la Jordanie et les tirs occasionnels des tireurs d’élite jordaniens faisaient que les habitants vivaient dans une tension constante.
À la suite de la Guerre des Six Jours de 1967 et de la prise de Jérusalem-Est par Israël, les habitants du quartier se sont soudain retrouvés au centre de la ville plutôt qu’à sa frontière, entourés par la construction rapide de quartiers juifs à l’est, alors que le gouvernement déversait de l’argent dans de nouveaux développements tout en continuant à négliger les quartiers séfarades.
C’est dans ce contexte que Biton et d’autres jeunes du quartier se sont regroupés pour former les Black Panthers. Ils ont emprunté le nom des Black Panthers américains par provocation, espérant attirer l’attention du gouvernement en associant la lutte des Juifs d’Afrique du nord et d’Orient à celle des Noirs américains. Ils ont adopté le nom d’un groupe qui était alors à la pointe de la politique raciale radicale aux États-Unis, même si leurs liens idéologiques avec les Black Panthers de Bobby Seale et Huey Newton étaient nébuleux.
« Nous étions des garçons de 17 ans qui s’élevaient contre l’oppression, nous ne savions même pas qui étaient les oppresseurs et comment ils agissaient », a-t-il déclaré dans une interview accordée à un documentaire en 2003. « Ce n’est qu’à travers la lutte que nous avons commencé à voir ce qui se passait avec nous, qui nous marchait dessus et pourquoi ils le faisaient. »
Les Blacks Panthers ont tenté d’organiser leur première manifestation le 3 mars 1971, devant l’hôtel de ville de Jérusalem. Lorsqu’ils ont demandé un permis pour la manifestation, la police leur a non seulement refusé le permis, mais a procédé à des arrestations préventives des jeunes leaders, mettant Biton et 16 autres personnes en garde à vue.

« Tout ce que nous avons demandé, c’est une autorisation de manifester. En retour, ils nous ont arrêtés un par un. Ils nous ont arrachés à notre lit et nous ont gardés en prison », s’était souvenu Biton.
À l’heure prévue de la manifestation, environ 300 personnes se sont présentées à l’hôtel de ville à la place des militants emprisonnés. Les arrestations et la manifestation ont fait l’objet d’une couverture médiatique dont les Black Panthers ont profité à leur sortie de prison pour faire pression sur la Première ministre Golda Meïr afin qu’elle les rencontre.
Outre les rassemblements, Biton a mis au point un certain nombre de plans à la « Robin des Bois » pour redistribuer des produits de première nécessité dans les quartiers pauvres de Jérusalem.
La plus célèbre de ces actions, l’Opération Lait, s’est déroulée en mars 1972 lorsque, en pleine nuit, les Black Panthers, dirigées par Biton, ont parcouru le quartier huppé de Rehavia à Jérusalem et ont pris des bouteilles de lait sur les pas de porte pour les distribuer aux résidents de classe inférieure du camp de transit de Beït Mamzil dans le quartier de Kiryat HaYovel à Jérusalem.
Sur les pas de porte de Rehavia, les militants ont laissé des tracts sur lesquels était écrit « Opération lait : pour les enfants des quartiers pauvres. Ces enfants ne trouvent pas le lait dont ils ont besoin sur le pas de leur porte chaque matin. En revanche, certains chiens et chats des quartiers riches ont du lait en abondance tous les jours. »
« J’espère qu’ils n’ont pas été offensés, mais je n’en suis pas si sûr », avait rétrospectivement plaisanté Biton à ce projet.
Biton a siégé à la Knesset avec Hadash de 1977 à 1990, date à laquelle il s’est séparé de la liste, servant pendant deux ans en tant que député pour la faction des Black Panthers qu’il avait fondée. En 1992, il s’est présenté sur une liste qu’il a baptisée HaTikvah (« l’espoir » en hébreu), mais était tombé bien en dessous du seuil et avait perdu son siège.
À la Knesset, Biton a souvent eu recours à des astuces pour illustrer ses propos et capter l’attention du peuple. Lors de l’un de ses discours, il s’est tourné vers le mur, affirmant que, de toute façon, personne ne l’écoutait. Une autre fois, il s’était enchaîné au podium de la Knesset.

Fervent gauchiste, Biton a également été l’un des premiers hommes politiques israéliens à rencontrer le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat. Lorsque les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois en 1980, des représentants du gouvernement avaient publié des déclarations décriant cette initiative et avaient plaidé pour la révocation de l’immunité parlementaire de Biton.
Après avoir perdu sa place à la Knesset, Biton s’est lentement éloigné de la politique, même s’il a parfois apporté son soutien à divers mouvements sociaux israéliens au cours des années suivantes.
Lorsqu’Israël a connu une vague de protestations à l’échelle nationale en 2011 en raison de la hausse du coût de la vie, Biton s’est joint à l’une des plus grandes manifestations de l’année, faisant l’éloge de Daphni Leef, l’une des principales activistes du mouvement.
« Nous pouvons être fiers qu’une jeune fille ashkénaze ait établi un camp à Tel Aviv et que cette lutte soit devenue celle de tous, et pas seulement celle des séfarades », a-t-il déclaré à propos de Leef.
Aujourd’hui, des hommes politiques israéliens de diverses tendances se souviennent de Biton comme d’une force pour l’égalité en Israël.
Le leader du Shas, Aryeh Deri, a qualifié Biton d’ami de longue date, adressant ses condoléances à sa famille et notant « qu’il a inspiré tout le monde dans ses luttes sociales ».
Biton était un homme « brave et déterminé qui s’est battu pour la défense des Mizrahim et les pans les moins nantis de la société », a commenté sur X le président israélien Isaac Herzog, disant se rappeler « leurs longues, profondes et fascinantes discussions » sur la société israélienne et son besoin de « guérison ».
« Charlie ne s’est pas contenté de poursuivre la justice, il était la justice », a écrit Benny Gantz, ministre du cabinet de guerre, sur X. « En dépit des énormes difficultés auxquelles il a été confronté, il n’a jamais cessé de lutter pour une société israélienne plus juste et équitable (…) La manifestation qu’il a menée pour les communautés défavorisées est un jalon dans l’histoire de l’État d’Israël. »
צ׳רלי ביטון, אדם רודף צדק, הלך מאיתנו היום.
צ'רלי לא רק רדף צדק – הוא צדק.
גם כשנתקל בקשיים עצומים, הוא לעולם לא הפסיק להיאבק למען חברה ישראלית צודקת יותר ושיוויונית יותר. המחאה שהוביל למען מגזרים מוחלשים היא אבן דרך בהיסטוריה של מדינת ישראל. נזכור את הלב הענק שלו שנדם היום.
יהי… pic.twitter.com/zHgtxJpoJX— בני גנץ – Benny Gantz (@gantzbe) February 24, 2024
Après sa carrière politique, Biton mène une vie effacée mais prononce à l’occasion des discours ou accorde des entretiens à la presse comme en 2021, au Yediot Aharonot, titre le plus vendu de la presse hébraïque, pour souligner le demi-siècle de la fondation de ses « Black Panthers ».
« Encore aujourd’hui, les Mizrahim vous diront qu’il y a de la discrimination (…) que la situation est pire qu’avant. Dans l’assurance, les banques, les affaires ou la tech, les plus hauts salariés sont tous des Ashkénazes. Il n’y pas de Mizrahim », avait-il déclaré.
L’AFP a contribué à cet article.
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