Mousrara, derrière son air pépère, un quartier plein de caractère à Jérusalem
À la frontière entre l’ancienne et la nouvelle Jérusalem se tapit un coin discret qui a su s’inventer et se réinventer au gré des événements, se distinguer aussi
Depuis les gares centrales, routière et ferroviaire, on marche, marche, marche, le long de la rue Yafo, l’artère principale de la capitale, on traverse le bruit, la foule, qui peu à peu s’éclaircissent. On marche jusqu’au bout du monde, ou presque, pour aller à Mousrara. Certains, qui ne la connaissent pas, pourraient se décourager avant d’y arriver, risquant de la manquer.
Si ce quartier officiellement porte le nom de Morasha, « héritage » en hébreu, son nom arabe, Mousrara, comme la plupart s’entête à vouloir l’appeler, qui signifie endroit pierreux, lui allait plutôt mieux : il compte parmi les moins verts de tout Jérusalem. Pourtant, dans ses ruelles, aux trottoirs mal pavés, les branches chargées de fruits de citronniers ou d’orangers se penchent par-dessus les portails en fer joliment ouvragé pour saluer les passants de leurs couleurs et senteurs, délicates, délicieuses.
Mousrara est brûlante d’une histoire qui souvent s’est inscrite dans les conflits, toujours dans la passion. À un jet de pierre de la cité du roi David, la Vieille Ville pour les intimes, au cœur de la Jérusalem moderne, animée, agitée, elle surprend par son silence qui lui confère un air de paix, d’oasis.
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On croise peu de promeneurs dans ses rues et passages qui se sont ramifiés, semble-t-il, au hasard. Un petit coup à droite, un petit coup à gauche, hop, par ici un escalier. Et là, soudain, un mur. Juste un mur. C’est l’impasse. Retour à la case départ. Mais attention, sans regrets. Car Mousrara est un quartier où il fait bon flâner, se perdre, pour mieux se retrouver. Soi-même. L’endroit idéal pour ceux qui ne cherchent pas à consommer. Juste à rêver, le nez au vent.
Mousrara a été fondée à la fin du 19e siècle par des bourgeois, arabes et juifs, qui à l’étroit dans l’enceinte de la cité antique, ont choisi de se construire des villas hors de ses murs. Ainsi les « gens de qualité », notables et riches commerçants, espéraient-ils échapper à la promiscuité, et jouir d’un entre-soi, en prime. Aujourd’hui, on peut admirer, derrière de hauts portails, leurs maisons tout en rondeurs, de facture orientale, qui respirent bon goût et aisance.
Entre alors et maintenant, il y eut la guerre. Les guerres. La première, celle de l’Indépendance, en 1948.
En avril de cette année-là, la population arabe, dans sa majorité, fuit vers la Jordanie voisine, ou le Liban plus lointain. En mal de logements, l’État d’Israël attribue les maisons abandonnées à de nouveaux venus, immigrés de pays arabes, du Maroc en particulier, qui seront, dès leur arrivée, soumis aux tirs constants de tireurs d’élites jordaniens placés en très grand nombre sur la nouvelle frontière. En effet, désormais, à cheval sur la ligne verte, ou ligne de « couture », qui coupe Jérusalem en deux, Mousrara est aux premières loges d’un conflit qui malgré un armistice signé n’en finit pas de durer. Les cicatrices que porte encore la maison Tordjeman, sur la rue Ha’ayin Chet – ainsi nommée en souvenir des 78 victimes du massacre d’un convoi humanitaire à cet endroit en avril 1948 –, témoignent jusqu’à ce jour de cette histoire douloureuse. L’armée israélienne avait installé là un de ses avant-postes. Ses murs criblés de marques de tirs de snipers ou d’obus sont là pour le rappeler.
Avec la guerre des Six Jours, en 1967, la frontière s’est éloignée, faisant reculer le danger. Les habitants peuvent souffler. Pas pour longtemps. Un nouveau conflit couve, se nourrissant de leur misère. Il gronde dans leurs rues où la jeunesse désespère. En 1971, le mouvement des Panthères noires jaillit à Mousrara de la colère de ces jeunes qui ont grandi dans le quartier. Ils dénoncent l’oppression et la discrimination dont ils sont les objets parce que Juifs « orientaux » – originaires de pays arabes –, revendiquent un traitement égal, des logements décents, au lieu de ceux, vétustes, où ils doivent s’entasser, et une éducation de meilleure qualité. Ce mouvement se répand depuis la capitale atteignant les quartiers et villes défavorisés du pays tout entier. La Première ministre de l’époque, la légendaire Golda Meïr, dit alors de ces militants, avec condescendance, qu’ils « ne sont pas sympas », avant d’être contrainte à leur tendre la main et écouter leurs leaders.
De ce tremblement de terre social, rien ne transparaît aujourd’hui dans le quartier gentrifié. En 2011 cependant, la municipalité – en signe de reconnaissance ? – a baptisé deux impasses anonymes jusque-là, et totalement introuvables, l’une « Les Panthères Noires », l’autre « Ils ne sont pas sympas » (They’re Not Nice), insolence que la grande Golda n’a pas volée.
Bien qu’assagie, Mousrara ne s’est pas complètement rangée. Elle est devenue le nid de la bohème de Jérusalem. Il n’est pas rare d’y croiser des étudiants armés de caméras et de micros. Une école d’art pluridisciplinaire, Musrara, The Naggar School of Art and Society, y a ouvert ses portes sur la fameuse rue Ha’ayin Chet, et abrite trois galeries d’art.
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Mais il y a aussi, encore, la maison Tordjeman, qui a fait du chemin depuis qu’elle hébergeait les soldats de Tsahal. Après le musée de l’Armée, puis de la Tolérance, elle accueille maintenant le Museum on the Seam (musée sur la couture), en référence à cette ligne verte dont il ne reste plus un fil. Il se définit comme un « musée d’art contemporain socio-politique » dont l’objectif déclaré est de provoquer le débat sur des problèmes sociaux – comme la violence au sein de la société israélienne, la solitude phénomène contemporain, ou encore la démocratie synonyme de corruption ? – et de construire des ponts. Il a réussi son pari, ainsi que le prouve la liste d’artistes qui y ont exposé, dont Wim Wenders, William Kentridge ou Barbara Kruger.
Et si finalement le nom de Morasha allait très bien aussi à ce quartier si singulier ? Quel plus bel héritage pouvait-il espérer après les violences et les drames auxquels il a assisté que la beauté de l’art et l’art de la tolérance qui s’y épanouissent.
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