Décès du journaliste Pierre Bénichou, ancien dirigeant de L’Obs et « grosse tête »
Né en 1938 à Oran, dans une famille juive pied-noir non pratiquante, Pierre Bénichou, fidèle chroniqueur de Laurent Ruquier, s'était lancé dans le journalisme en 1956

Le journaliste Pierre Bénichou, qui avait occupé de hautes fonctions au sein du magazine Le Nouvel Obs, avant de se faire connaître du grand public en tant que chroniqueur aux « Grosses têtes » sur RTL, est décédé dans la nuit de lundi à mardi, à l’âge de 82 ans, a annoncé son fils Antoine à l’AFP.
« Il s’est éteint dans son sommeil », à son domicile, et son décès n’est pas lié au coronavirus, a précisé Antoine Bénichou.
« Pierre Bénichou s’est éteint, emportant avec lui son verbe truculent et ses éclats de rire », a salué le président Emmanuel Macron dans un communiqué, estimant qu' »il était tout à la fois un drôle de journaliste et un journaliste drôle », à la « plume étincelante », autant qu’une « vedette du transistor ».
« L’homme qui m’aura fait le plus rire depuis vingt ans est parti. Une grande plume aussi », a salué Laurent Ruquier, l’animateur des « Grosses Têtes », tandis que le patron de RTL, Régis Ravanas, le remerciait « de nous avoir tant fait rire durant toutes ces années ».
Sa disparition « accable tous ceux qui ont aimé son esprit, sa culture insondable, la grande intelligence qu’il dissimulait derrière le rire, son culte de l’amitié », a réagi sur Twitter le journaliste Philippe Labro.
Pour Bernard-Henri Lévy, c’était « un Grand Connétable du monde d’hier qui avait appris la presse avec Camus, la nuit avec Gainsbourg et la grandeur chez Corneille ».

Un mois après la disparition du fondateur du Nouvel Obs, Jean Daniel, « c’est une génération qui nous quitte », a commenté à l’AFP Dominique Nora, la directrice de l’hebdomadaire.
« Charismatique et brillant, il savait allier l’humour le plus décalé à la plus grande rigueur journalistique », a renchéri sur Twitter le ministre de la Culture Franck Riester.
« Il pouvait passer de Raymond Aron à Johnny dans le même élan… Puits de culture, d’humour, leçon de vie où tout était important sans que rien n’ait d’importance », a témoigné encore Patrick Bruel.
Né le 1er mars 1938 à Oran, en Algérie française, dans une famille juive pied-noir non pratiquante, il était le fils d’un professeur de philosophie et le neveu de Georges Dayan, ami et proche collaborateur de François Mitterrand.
Pierre Bénichou s’était lancé dans le journalisme après des études au lycée Condorcet puis à la Sorbonne. Alors âgé de 18 ans, il est entré en 1956 à France Dimanche, puis a intégré Paris Jour, avant d’être grand reporter à Jours de France et rédacteur en chef adjoint d’Adam, revue dédiée à la mode masculine.
C’est en 1968 qu’il entre au Nouvel Observateur, d’abord comme rédacteur en chef adjoint, avant d’être nommé rédacteur en chef dix ans plus tard. Il devient directeur adjoint en 1985 puis directeur délégué de 1996 à 2005, avant de se retirer du journal, où il avait conservé le titre de conseiller spécial.
Il accède à la célébrité dans les années 1990, en devenant chroniqueur aux « Grosses têtes » de RTL. Sa gouaille truculente fait mouche et il devient un intervenant apprécié des auditeurs – dans l’émission, il aimait rappeler ses différents surnoms : « Beau Pedro Roi du Tango » et « Bob du Grand Huit ».
Il rejoint plus tard Laurent Ruquier sur Europe 1, qui l’intègre à sa bande de chroniqueurs dans diverses émissions de télé et de radio. Il était ainsi revenu en 2014 dans les « Grosses Têtes » sur RTL, lorsque Laurent Ruquier en avait repris les commandes.
Il a également officié plusieurs années auprès de Michel Drucker dans l’émission « Vivement dimanche prochain » sur France 2 en tant que chroniqueur, formant un trio avec Gérard Miller et Philippe Geluck.
Au Nouvel Obs, il écrivait peu et s’était spécialisé dans la rédaction de « portraits souvenirs ». Ces notices nécrologiques, écrites dans l’urgence de la disparition des personnalités mais très travaillées, et toujours d’un style ramassé (« J’ai la mémoire longue mais la plume courte », disait-il), avaient été rassemblées en 2017 dans le livre Les absents, levez le doigt !.
En préambule, il y confiait quelques souvenirs de son enfance oranaise, et donnait certaines clefs de « cette petite sieste, cette longue flânerie mélancolique que fut ma vie de journaliste », admettant avoir passé en trente ans au Nouvel Obs « plus de temps à faire écrire les autres qu’à écrire moi-même ».
Bien qu’ayant été longtemps un adepte des nuits parisiennes, Pierre Bénichou, vétéran de chez Castel, contestait la réputation de dilettante que certains lui prêtaient. « Brillant mais fêtard, le journaliste a préféré brûler sa vie chez Castel plutôt que de devenir ce qu’il aurait voulu être : un écrivain », écrivait de lui en 2016 l’essayiste Marcela Iacub dans un portrait pour Libération.
« J’ai été quand même directeur du plus grand hebdomadaire d’Europe. J’étais glandeur, mais je travaillais beaucoup ! », avait-il raconté en 2016 sur France Musique, se décrivant comme « beaucoup plus faiseur de journal que journaliste ».
Resté fidèle à ses racines oranaises, il avait toujours cultivé une hostilité marquée à l’encontre du général de Gaulle, et bien que situé politiquement à gauche (il avait soutenu la candidature de François Mitterrand en 1981), sa défense de la cause des pieds-noirs l’avait placé parfois en porte-à-faux avec ses différentes rédactions.
Il cultivait par ailleurs une grande passion pour la poésie et la chanson française et s’était même lancé au théâtre en 2004 dans une pièce écrite par Laurent Ruquier.
Marié en 1970 à Alix Dufaure, journaliste à Marie Claire décédée en 2012, avec qui il avait eu un enfant, Antoine, Pierre Bénichou était aussi le beau-père de l’acteur Vincent Lindon, né d’une première union de son épouse et qu’il considérait également comme son fils.
Le journaliste confessait ne croire « ni à Dieu ni au Diable, pas plus qu’aux ‘forces de l’esprit' » chères à Mitterrand.
Dans un appel téléphonique mi mars avec les « Grosses Têtes », relayé sur les réseaux sociaux, Pierre Bénichou affirmait : « On m’a fait tellement chier en me disant que j’étais vieux, j’étais vieux… Maintenant, il faut me respecter ! Il faut me respecter comme il faut respecter quelqu’un qui vit ses derniers jours, bande de cons ! J’ai pas du tout peur [du coronavirus], et tu sais pourquoi j’ai pas peur : parce que je suis très respecté dans mon quartier ! Et un type respecté dans son quartier, il a beaucoup moins de chances d’être
malade ! »
Il y a quelques jours Pierre Bénichou était en ligne avec les Grosses Têtes.. Une pensée pour Pierre Bénichou et ses proches ???? pic.twitter.com/fQCJof9NYm
— Simon ENGRAND (@SimonEngrand) March 31, 2020