Décès de Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur
Élevé dans une famille juive algérienne, Jean Daniel Bensaïd avait un "attachement indéfectible à Israël" mais refusa trois fois un poste d'ambassadeur proposé par Mitterrand
Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur devenu l’Obs, est décédé à 99 ans, a annoncé jeudi l’hebdomadaire sur son site Internet.
« Il est décédé mercredi soir à l’âge de 99 ans après une longue vie de passion, d’engagement et de création », a indiqué L’Obs. Grande conscience de gauche, Jean Daniel avait fondé en 1964 avec Claude Perdriel Le Nouvel Observateur, dont il a été le directeur de la publication jusqu’en 2008.
« Le plus prestigieux journaliste français s’est éteint. Il fut à la fois un témoin, un acteur et une conscience de ce monde », écrit L’Obs.
Jusqu’à un âge très avancé, cette plume redoutée et brillante aura signé l’éditorial de l’hebdomadaire, rebaptisé L’Obs en 2014 et alors cédé au groupe Le Monde. Avec son profil d’aigle, il n’avait rien perdu de sa belle allure même si sa figure de « commandeur » et son narcissisme ont pu parfois agacer.
Jean Daniel, fondateur de « l’Obs », est mort https://t.co/ORzsPUVLON
— Le Nouvel Obs (@Le_NouvelObs) February 20, 2020
Jean Daniel, que l’historien Pierre Nora a qualifié de « dernière figure du journalisme inspiré », a rencontré tous les grands de ce monde.
En 1963, c’est en plein déjeuner, à Cuba, avec Fidel Castro qu’il apprend la mort de John F. Kennedy, avec lequel il vient d’avoir un entretien. « Kennedy était un ennemi auquel on s’était habitué. C’est une affaire très grave », lui dit le « Lider maximo ».
22 novembre 1963 : #JeanDaniel et #FidelCastro apprennent la mort de #Kennedy https://t.co/MczodI4fdp
— Lisa HK (@elisahk92) February 20, 2020
Il a été l’ami de Pierre Mendès-France, Michel Foucault, François Mitterrand, avec lequel il eut, comme tant d’autres, des relations compliquées, ou Albert Camus, en dépit de leur désaccord sur le dossier algérien.
Dans les archives de l'AFP, des clichés de Jean Daniel en compagnie de Willy Brandt, Eugène Ionesco ou François Mitterrand https://t.co/xQTsgwCZiw pic.twitter.com/uBrUsma0x7
— Lucas Burel (@L_heguiaphal) February 20, 2020
Également écrivain et essayiste, il a signé une trentaine de livres, depuis L’erreur, roman paru en 1952 salué par Camus, à Mitterrand l’insaisissable en 2016. Ses Œuvres autobiographiques (cinq ouvrages) ont été rassemblées en 2002 en un seul volume de 1 700 pages.
Blessé à Bizerte
L’Algérie, où il naît le 21 juillet 1920 à Blida, le marque pour la vie.
Elevé dans une famille juive algérienne juive, Jean Daniel Bensaïd est le onzième – et dernier – enfant de Jules Bensaïd et Rachel Bensimon. Si, jeune, il s’était révélé agnostique, il était resté attaché à son identité juive. En 2003, il avait publié le livre La prison juive, un essai « sur la condition juive ».
Il abandonne son patronyme après-guerre pour écrire dans Combat sous le pseudonyme de Jean Daniel. Son père sera une figure adorée, s’émerveillant « chaque jour d’être Français ».
Après avoir combattu dans les rangs de la division Leclerc, il étudie après-guerre la philosophie à la Sorbonne puis entre en 1946 au cabinet de Félix Gouin, président du Gouvernement provisoire. Se situant déjà dans le courant de la gauche non communiste, il fonde, en 1947, Caliban, une revue culturelle.
Au milieu des années 50, Jean-Jacques Servan-Schreiber l’engage à L’Express où il couvre les « événements » d’Algérie. Il y reste huit ans, en devient le rédacteur en chef. Menacé de mort, inculpé pour atteinte à la sûreté de l’État, il défend l’indépendance algérienne.
En 1961, envoyé spécial en Tunisie, il est sérieusement blessé à Bizerte par des tirs de l’armée française.
Après un bref passage au Monde, ce journaliste, déjà auréolé d’une réputation dépassant les frontières françaises, co-fonde en 1964 Le Nouvel Observateur. Commence la grande aventure de sa vie.
« Jamais, nous n’avions pensé que nous réussirions. La formule choisie était assez culturelle, assez intellectuelle pour ne pas dépasser les 40-60 000 exemplaires dans le meilleur des cas », dit-il à l’AFP en 2004. En 1974, il tire déjà à 400 000 exemplaires !
Le tandem qui dirige le titre fait merveille : à Claude Perdriel, la gestion, à Jean Daniel, la rédaction. « Nous avons réussi, confiait ce dernier, à un moment, à réunir autour de nous les plus brillants journalistes d’Europe. »
Les deux hommes sont inséparables, passent leurs vacances ensemble, avant que les liens ne se distendent. Jean Daniel devait épouser Michèle Bancilhon, première femme de Claude Perdriel. Le couple aura une fille, Sara Daniel, future journaliste au Nouvel Observateur.
« Pessimiste émerveillé »
Participant à tous les grands débats de l’époque, le magazine défend l’anticolonialisme, publie en une le manifeste des « 343 salopes » pour l’avortement, soutient Mendès-France, Rocard puis Mitterrand, polémique avec le Parti communiste.
Sur le Proche-Orient, malgré son « attachement indéfectible à Israël », Jean Daniel qui, selon lui, refusa trois fois un poste d’ambassadeur proposé par le président Mitterrand, considérait que « les Palestiniens avaient droit à un État ».
Après les révélations d’Alexandre Soljenitsyne sur l’existence des Goulags en URSS, il écrit : « Nous ne laisserons jamais à la droite le confortable et unique monopole de la contestation contre les démences des bureaucrates totalitaires. »
En guise de bilan professionnel et intellectuel, Jean Daniel, qui fut membre du conseil supérieur de l’Agence France-Presse, se félicitait d’avoir « entrepris de ‘dé-marxiser’ la gauche avec des principes de gauche ».
En 2016, ce « pessimiste émerveillé », selon ses mots, assurait : « Pour moi, le repos c’est la mort. » Il avait alors 96 ans…
De nombreux journalistes et responsables politiques lui ont rendu hommage sur Twitter.
Monument du journalisme, éclaireur de la gauche, Jean Daniel est mort. La France perd une conscience, de ces hommes qui font l'Histoire à la seule force de leur plume.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 20, 2020
Jean Daniel était une conscience. Une conscience pour la paix, pour l’indépendance des peuples, pour la gauche. Il continuera à inspirer ceux qui l’ont connu et lu. J’adresse à son épouse et à ses proches mes sentiments les plus reconnaissants et les plus affectueux. pic.twitter.com/VXDUP1DNc8
— François Hollande (@fhollande) February 20, 2020
Avec Jean Daniel, nous perdons un grand intellectuel et un grand journaliste.
J’ai à l’esprit, parmi bien des choses, l’ami et admirateur d’Albert Camus qu’il était. Il en parlait d’une façon incomparable.
Ses vues sur l’éducation étaient aussi claires et bonnes: https://t.co/gD8U7oO3o5— Jean-Michel Blanquer (@jmblanquer) February 20, 2020
Jean Daniel incarnait un journalisme des idées et des convictions plaçant le débat au-dessus de toute chose. Témoin du siècle, il a accompagné de sa plume les grands événements des dernières décennies. Ses engagements pour la paix et la liberté continueront de nous inspirer. pic.twitter.com/DGnydmFp1T
— Franck Riester (@franckriester) February 20, 2020
Triste d’apprendre la mort de Jean Daniel. Journaliste, éditorialiste à @lobs , il défendait une gauche attachée à la démocratie et aux libertés face au communisme. Il revendiquait la modération. À une époque où triomphent les polémiques permanentes, il va nous manquer. https://t.co/Dtvoz8z0G4
— François de Rugy (@FdeRugy) February 20, 2020
C'est avec une très grande tristesse que j’ai appris le décès de Jean Daniel, fondateur de L’Obs. Un grand intellectuel et une grande figure de gauche vient de nous quitter. Pensées émues à sa famille et ses proches.
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) February 20, 2020
Avec le décès de #JeanDaniel, c’est une page de l’histoire de @NouvelObserv qui se tourne. Il était l’âme intellectuelle de ce journal qui a porté les combats essentiels contre le totalitarisme et le colonialisme. C’est la gauche qui est en deuil. https://t.co/5Y4fu94h4V
— Olivier Faure (@faureolivier) February 20, 2020
Jean Daniel était un homme d’exception qui a marqué le journalisme et la vie intellectuelle française.
Je garde le souvenir de nos échanges sur la liberté, la littérature et la culture méditerranéenne.
J'adresse mes condoléances les plus sincères à sa famille.
— Rachida Dati ن (@datirachida) February 20, 2020
Pour son épitaphe, il avait souhaité faire inscrire "Jean Daniel, journaliste et écrivain français."
Immense respect.
On vous souhaite une "fête d'amitié" renouvelée avec Camus. pic.twitter.com/Hr4ZeUdiXs— Aurore Bergé (@auroreberge) February 20, 2020
Hommage à Jean Daniel. Cela nous donne la nostalgie d’une époque dans laquelle le niveau du débat était élevé et les intellectuels sans complexe dans cette exigence élitiste au bon sens inclusif de ce mot @lobs https://t.co/wku9pl9yGf
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) February 20, 2020
#JeanDaniel était à la fois l’Homme révolté, Sisyphe heureux de pousser chaque semaine son éditorial, le Gaston Gallimard du journalisme, l’homme qui rêvait de réinventer la gauche, le judaïsme et la littérature. Adieu à un seigneur, un frère de cœur et l’un des hommes de ma vie.
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) February 20, 2020
Jean Daniel me donna, comme à beaucoup, la passion du journalisme. Par sa plume, sa culture, sa constance dans ses engagements, son courage physique et moral, il a été une conscience et un modèle pour ma génération. Je pense Michèle, à Sarah. Et j’ai du chagrin aujourd’hui.
— Anne Sinclair (@anne_sinclair) February 20, 2020