Depuis les atrocités du Hamas, les Bnei Menashe font face à des ennemis sur deux fronts
Nombre d'olim originaires du Manipur et du Mizoram vivent dans les zones les plus durement touchées par le massacre du 7 octobre et servent dans l'armée israélienne. En Inde, d'autres souffrent de violences sectaires
JTA — Dans les années 2000, lorsque la petite ville israélienne de Sderot a subi des tirs nourris de roquettes, des milliers d’habitants sont partis. À peu près à la même époque, une nouvelle population est venue s’y installer : celle des Juifs Bnei Menashe originaires des États du Manipur et du Mizoram, dans le nord-est de l’Inde.
Jusqu’au 7 octobre dernier, plus de 100 familles Bnei Menashe y avaient élu domicile. La communauté était profondément fière de ce qu’elle avait créé, à savoir la première synagogue et le tout premier beit midrash – salle d’étude de la Torah – gérés exclusivement par des Juifs Bnei Menashe. C’était un rêve, pour beaucoup, né à l’autre bout du monde, en Inde.
Ce rêve a été brutalement interrompu lorsque les terroristes du Hamas sont entrés dans plusieurs villes et kibboutzim à proximité de Gaza et y ont sauvagement assassiné 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et enlevé de force 240 autres pour les garder en otages dans la bande de Gaza. Selon le Times of Israel, au soir du 7 octobre, 50 civils et 20 policiers ont été tués à Sderot.
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Aucun d’entre eux n’était un Juif Bnei Menashe.
Ce jour-là, une quarantaine de personnes s’étaient rassemblées dans le nouveau bâtiment de synagogue offert à la communauté par le maire de Sderot, Alon Davidi, quelques semaines auparavant. Le rabbin David Lhungdim se souvient s’être senti pressé par Davidi d’y célébrer la fête bien avant que la communauté ne se sente prête à franchir le pas.
Finalement, ce bâtiment les a sauvés. La nouvelle synagogue, Alfei Menashe, est en effet située à l’est de Menahem Begin Road. Au moment où les terroristes du Hamas parcouraient cette route, le 7 octobre, tirant sur les gens dans la rue, dans leur voiture ou dans leur maison, les Bnei Menashe priaient.
« Je leur ai dit, finissons la prière du matin, nous n’avons pas le choix », se rappelle Lhundgim.
Après le massacre, « je me suis demandé pourquoi le maire était pressé ? Au moment de Sim’hat Torah, tout était devenu clair », explique Lhungdim. « J’ai dit, wow, c’est un miracle que Dieu nous a donné… Si nous avions prié sur l’ancien site [une caravane sur la route Natan Elbaz, dépourvue d’abri anti-aérien], les terroristes nous auraient vus parce qu’ils étaient sur la route principale et tiraient sur tous ceux qu’ils voyaient. Mais comme le maire nous avait donné ce nouvel endroit, nous n’avons pas eu besoin de traverser la route principale.
Rivka Guite, la sœur de Lhungdim, et son mari Zevulun étaient partis voir la mère de Guite pour les fêtes. Leur maison, située près de l’ancienne synagogue où le Hamas a sévi, a été détruite par une roquette du Hamas. Rien n’a pu être sauvé des décombres, confie Guite.
Guite est très reconnaissante d’être en vie et de vivre en Israël.
« C’est un vrai miracle. Je ne saurais pas comment l’expliquer », admet Guite via la traduction d’Isaac Thangjom, directeur de projet de l’ONG israélienne Degel Menashe. « Combien d’entre nous seraient morts si l’ancienne synagogue avait été utilisée ? »
Aujourd’hui, la plupart des membres de la communauté Bnei Menashe de Sderot ont été évacués vers Jérusalem et la mer Morte, où ils attendent la fin de la guerre dans des hôtels pour réfugiés. On estime à 200 le nombre de jeunes hommes Bnei Menashe qui ont rejoint les rangs de l’armée israélienne pour les besoins de la guerre, explique Thangjom à la JTA. Un soldat, Natanel Touthang, a ainsi été blessé par une roquette à la frontière nord.
« Quand je suis allé dans la réserve, sans y être appelé, je l’ai fait pour ma famille. Cela semble égoïste, mais je l’ai fait pour ma famille. »
De Manipur à Sderot
On dit que les Juifs Bnei Menashe sont les descendants de la « tribu perdue » de Menashé, séparés de leurs compatriotes israélites après l’exil, il y a plus de 2 000 ans. Ils font partie des groupes ethniques Kuki-Chin-Mizo qui résident dans le nord-est de l’Inde, l’ouest du Myanmar et le sud du Bangladesh.
Les chercheurs estiment que ce groupe est venu au judaïsme par l’intermédiaire de missionnaires chrétiens, qui les ont initiés à la Bible à la fin du XIXe siècle. La tradition Bnei Menashe rappelle l’histoire de Met Chala, chef tribal chrétien du Mizoram à qui Dieu a dit dans un rêve de ramener son peuple sur la terre d’Israël et dans sa véritable religion : le judaïsme.
Ils ont commencé à immigrer en Israël à la fin des années 1980 avec l’aide du rabbin israélien Eliyahu Avichail et de son organisation Amishav, subissant des conversions formelles à leur arrivée. Le processus d’immigration a été confié en 2004 à l’ONG israélienne Shavei Israel, dirigée par Michael Freund, ex-conseiller de Benjamin Netanyahu.
Avichail et Shavei Israel font tous deux l’objet d’intenses critiques de la part de la gauche israélienne, qui les soupçonnent de motivations politiques, d’autant que de nouveaux olim Bnei Menashe se sont installés dans les implantations de Cisjordanie – en particulier Kiryat Arba, qui accueille aujourd’hui une communauté d’environ 700 Juifs Bnei Menashe.
Shavei Israel a mis fin à cette pratique il y a plus de dix ans, suite aux critiques, mais certains continuent de s’installer dans les implantations en arrivant en Israël pour retrouver leurs proches qui s’y trouvent déjà. Ils sont également nombreux à s’installer dans d’autres villes à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967.
Leur installation en Cisjordanie et à la frontière avec Gaza est moins le produit d’une motivation politique que de la commodité et de l’accessibilité, estime Gideon Elazar, anthropologue de l’Université Bar-Ilan qui étudie les Bnei Menashe et autres « tribus perdues ».
« Ce sont des communautés prêtes à les accepter », dit-il.
Les olim Bnei Menashe éprouvent des difficultés pour apprendre l’hébreu, trouver un travail lucratif ou s’assimiler à la société israélienne. Certains sont victimes de discriminations et de racisme. L’année dernière, Yoel Lhunghal, juif Bnei Menashe de 18 ans qui avait immigré un an plus tôt, a été assassiné dans le nord d’Israël. Bien que la police n’ait trouvé aucune preuve d’une motivation raciale, son père pense que Yoel a été « victime de racisme ».
Le cas de la communauté de Sderot de Lhungdim est légèrement différent. La communauté, forte de 120 familles, s’y est installée de son propre chef, rappelle M. Lhungdim. Certains sont venus d’autres régions, comme Carmel ou Kiryat Arba – deux villes dans lesquelles Lhungdim a vécu avant de venir à Sderot – et d’autres, directement à leur arrivée d’Inde, pour rejoindre leurs proches. Le caractère abordable des lieux a été déterminant, en raison de l’emplacement de Sderot à la frontière de Gaza. La région offre également des emplois qui correspondent aux compétences de la communauté Bnei Menashe, comme par exemple le conditionnement des fruits et légumes.
« Nous voulons renforcer Israël, c’est pourquoi nous sommes allés vivre à Sderot. Et je suis fier d’être de Sderot », affirme Lhungdim à la JTA. « En tant que juif converti, j’aurais été prêt à sacrifier ma vie pour la nation juive. »
Comme d’autres Israéliens des villes proches de Gaza qui ont survécu aux attaques du 7 octobre, toute la communauté Bnei Menashe de Sderot a été relogée dans des hôtels de Jérusalem. La grosse centaine de familles qui y séjournent s’occupent en continuant leur éducation religieuse, en priant au mur Occidental ou en visitant les musées, dont l’entrée est gratuite pour eux. Beaucoup n’avaient jamais séjourné dans des hôtels quatre étoiles ou eu l’occasion de découvrir Jérusalem.
Ils ont malgré tout hâte de retourner chez eux. Avec d’autres membres de la communauté, Guite a fait un saut d’une journée dans le sud pour s’occuper des champs de légumes laissés à l’abandon depuis l’évacuation.
« Le gouvernement fait tellement pour nous : nous ne sommes que trop heureux de contribuer et donner quelque chose à Israël d’une façon ou d’une autre », assure Guite.
L’autre guerre en Inde
Les Juifs Bnei Menashe sont maintenant confrontés à la guerre et au déplacement sur deux fronts : à l’intérieur d’Israël et au Manipur, où un conflit ethnique fait rage depuis près de huit mois.
Là-bas, des centaines de Juifs Bnei Menashe tentent de se reconstruire une vie malgré le conflit ethnique débuté en mai et toujours actif. Les organisations de défense des droits de l’homme expliquent que l’ethnie Kukis — le groupe auquel appartiennent les Bnei Menashe — est prise pour cible par la majorité Meiteis, dans ce qu’ils qualifient de « nettoyage ethnique ». De nombreux Kukis ont été forcés de quitter leur vallée, aujourd’hui occupée par les Meiteis, pour se réfugier vers les collines, devenues le territoire des Kuki.
D’autres sont partis s’installer dans l’État voisin du Mizoram, où vivent d’autres Juifs Bnei Menashe.
Contrairement à la situation en Israël, les centaines de membres de la communauté déplacée du nord-est de l’Inde n’ont aucun espoir de rentrer chez eux, car les nouvelles frontières informelles fondées sur l’appartenance ethnique semblent devenues la norme. Beaucoup vivent dans des maisons neuves, avec des potagers, sur un terrain de 8 hectares donné par le leader de la communauté Lalam Hangshing. Il a été nommé « Maoz Tzur » et Degel Menashe, qui défend les intérêts de la communauté, le qualifie fièrement de premier kibboutz de l’Inde.
Ces Juifs rêvent d’immigrer en Israël depuis plus de vingt ans. M. Thangjom qualifie la guerre d’« échec » du processus, générateur de retard pour la prochaine vague d’immigration. Pour autant, les pourparlers avec les autorités se poursuivent, assure-t-il.
La guerre en Israël a également eu un impact sur le volume de l’aide que Degel Menashe a pu envoyer aux réfugiés Bnei Menashe d’Inde, car les organisations juives internationales consacrent leurs fonds à Israël.
« A cause de la guerre en Israël, je ne sais pas si je serai en mesure d’apporter le même volume d’aide. Mais nous faisons appel à nos donateurs », conclut M. Thangjom.
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