Depuis son fauteuil roulant, Yael Robin se confie sur sa vie et son œuvre
Célèbre pour ses collages et installations qui mêlent sujets et arrière-plans inattendus, l'artiste, atteinte de la maladie de Parkinson, s'expose au Musée d’Israël
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Yael Robin croit au pouvoir de l’art.
C’est ce que dit sa biographie sur le site Internet du Musée d’Israël, et c’est ce que cette professeure d’art vit depuis l’âge de 14 ans, lorsqu’elle commence à dessiner dans sa chambre, à Jérusalem, pour exorciser les démons de l’adolescence.
Aujourd’hui âgée de 63 ans, aux prises avec la maladie de Parkinson, Robin continue de photographier ses sujets et d’en faire des œuvres.
Une sélection des œuvres de Robin est aujourd’hui exposée dans une galerie privée, rattachée à l’aile jeunesse du Musée d’Israël, où les professeurs d’art de ce musée de Jérusalem exposent leurs œuvres à leurs proches et étudiants.
(L’exposition était visible jusqu’à la mi-mars.)
Robin a enseigné l’art dans cette aile jeunesse du Musée d’Israël pendant près de 20 ans, à des étudiants arabes et juifs, des personnes âgées et des soldats blessés.
Ses propres œuvres s’enracinent souvent dans des photographies qu’elle a prises pour dépeindre la société israélienne : elle les découpe pour en faire ensuite des collages qui donnent une nouvelle vision du sujet.
L’exposition qui a ouvert ses portes en décembre commence par Land’s End, sa collection de collages consacrés au bras de fer sans fin d’Israël pour sa terre.
Un de ces collages comporte la photo souvenir d’une journée passée, il y a des années, avec des résidents d’implantations religieux sur une base militaire, pour le jour de l’Indépendance. On y voit de jeunes enfants grimper sur des chars militaires et faire mine de tirer à la mitrailleuse, sur un fond fait de toits de Ramallah et de drapeaux israéliens flottant.
Sur d’autres collages, on voit des bus israéliens après un attentat à la bombe ou des bulldozers qui s’en prennent à un véhicule de la police.
D’autres photos illustrent les manifestations de 2011, sous la tente de justice sociale à Tel Aviv. Des familles entières avaient bivouaqué pendant des semaines pour protester contre les inégalités économiques au sein de la société israélienne.
Un portrait, en particulier, est mis à l’honneur : une figure lilliputienne de femme, trônant au sommet d’une montagne de coquilles de graines de tournesol, et qui tient son portefeuille contre son cœur. Une échelle est disponible, au cas où elle voudrait descendre.
Robin a créé un grand nombre d’installations et de collages de ses propres photographies, mélangés à d’autres matériaux, qui dessinent des paysages miniatures, disposés sur les sols des galeries et des musées.
Il est évident que le travail de Robin a subi l’influence de sa partenaire, Debbie Hill, photojournaliste d’origine américaine qui a longtemps travaillé pour des médias internationaux.
Robin accompagnait parfois Hill en mission : Hill faisait son travail pour saisir sur la pellicule les événements en cours, et Robin faisait les siennes.
« Ce sont deux visions différentes, totalement différentes », explique Hill.
« Quand j’ai commencé à les découper, elle a été choquée », ajoute Robin.
Les photos de Robin donnaient à voir des ordures en arrière-plan, ou d’autres éléments que les clichés de Hill laissaient de côté.
« Là où je me disais : ‘Oh, toutes ces ordures vont gâcher la photo’, elle les photographiait parce que c’était la réalité », explique Hill.
« Elle considérait que c’était quelque chose d’important, qui devait être là. »
En plus de son travail au musée, Robin a également donné des cours d’art à l’école secondaire Leyada de Jérusalem et, chaque jeudi soir, à des adolescents à risque, place Zion. Dans ce cadre, elle créait des œuvres d’art avec tous ceux qui venaient.
Hill explique que, lorsqu’elles se promènent dans les rues de la ville – elles vivent dans le quartier de Nahlaot, dans le centre-ville de Jérusalem –, elles tombent souvent sur d’anciens élèves de Robin, que ce soit les enfants palestiniens à qui elle donnait des cours au musée, les adolescents à risque qui traînaient place Zion ou les élèves de Leyada.
Enseigner l’art a toujours été aussi important que la création à proprement parler, assure Robin, qui a étudié l’art au Beit Berl College ainsi qu’aux Pays-Bas et à Londres, et a été à l’honneur de dizaines d’expositions en Israël, et notamment au Musée d’Israël.
« Il faut que les gens sachent qu’ils sont créatifs, c’est le plus important », souligne-t-elle.
« On prend du recul pour voir sa propre réalité et on la voit ensuite dans son dessin. Alors, on l’a pour toujours. »
Robin précise que, lorsqu’elle crée, elle est comme une élève.
Ses capacités sont aujourd’hui limitées par la maladie, qui l’oblige à évoluer en fauteuil roulant ou marcher avec une canne : aussi, sa main gauche tremble et ne fait pas toujours ce qu’elle veut, mais Robin continue de créer, de prendre des photos et de dessiner ce que lui inspirent ces images.
Elle passe plus de temps à la maison et a bien moins d’occasions de voir ce qui se passe autour d’elle.
Elle confie que cette capacité à saisir les moments et les problèmes qui lui importent lui manque profondément.
Elle rencontre également des problèmes de mémoire et de mobilité.
« Mais je vois les choses à un niveau différent », ajoute-t-elle.
« Je suis assise la plupart du temps. Je dois lever les yeux pour voir ce que je fais. »
Lorsqu’on lui demande s’il y a des avantages à la maladie qui lui a tant pris, Robin hésite.
« Je ne sais pas encore », conclut-elle.