Des caricatures aux accusations de « génocide »: comment The Guardian dépeint Israël
Le quotidien britannique de centre-gauche à la portée mondiale croissante s'est éloigné de son pro-sionisme initial, accusant Israël, entre autres, d'assassiner des journalistes palestiniens
LONDRES – Il aura fallu à peine deux semaines après l’assaut du groupe terroriste palestinien du Hamas sur le sud d’Israël, le 7 octobre, pour que The Guardian reçoive une réprimande de la part de la principale organisation communautaire juive de Grande-Bretagne.
La décision du principal quotidien britannique de centre-gauche – qui a une portée mondiale croissante – de publier un article intitulé « Israël doit cesser de militariser la Shoah » était « d’une incroyable grossièreté » et marquait « un nouveau seuil pour le journal », a déclaré le Board of Deputies of British Jews (Conseil des députés des Juifs britanniques). Hadley Freeman, un ancien chroniqueur juif du quotidien, a qualifié l’article de l’historien israélo-américain Raz Segal de « faillite intellectuelle, historique et morale ».
Ce tollé fait partie d’une série de controverses entourant la couverture par le journal fortement pro-palestinien de la guerre d’Israël contre le Hamas, après que le groupe terroriste a envoyé des milliers de terroristes dans le sud d’Israël, massacrant brutalement 1 200 personnes, pour la plupart des civils, et en enlevant 253 autres pour les emmener de force dans la bande de Gaza.
En novembre, par exemple, un membre juif du personnel du Guardian a écrit un commentaire anonyme pour le Jewish News décrivant l’atmosphère au sein du journal. Il affirmait que certains collègues « rejetaient la douleur juive » et accusait le quotidien de publier « des articles d’opinion incendiaires qui susciteront davantage de violence ». (Le Guardian s’est défendu contre ces allégations).
Ces dernières semaines, les commentateurs du Guardian ont accusé Israël d’assassiner des journalistes palestiniens. Selon le groupe de veille CAMERA UK, les contributeurs ont à maintes reprises « lancé ou légitimé » l’accusation selon laquelle l’État juif planifie ou réalise un génocide à Gaza, ce qui porte à 25 le nombre d’incidents de ce type depuis le seul mois de décembre dernier.
Le quotidien a continué à publier des articles soutenant le mouvement anti-Israël Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Ce mois-ci, il a publié un long essai de l’éditorialiste Naomi Klein qui se terminait par ces mots : « Ça suffit. Il est temps de boycotter. »

Mais il ne s’agit là que des derniers épisodes d’une longue saga d’antagonisme entre l’État juif et l’influent journal interne de l’intelligentsia libérale britannique.
« Depuis des décennies, les articles du Guardian déforment des événements clés, ignorent des faits fondamentaux et se comportent comme si Israël était une sorte de régime militaire fou, déterminé à assassiner des Palestiniens par soif de sang », avait accusé Stephen Pollard, le rédacteur en chef du Jewish Chronicle, l’été dernier.
Des éditoriaux ont, par exemple, affirmé que les soldats israéliens à la frontière de Gaza « tuent en toute impunité » et prennent pour cible des manifestants qui « ne sont pas armés et ne représentent aucun danger pour personne ». Des organisations de la communauté juive britannique ont critiqué les titres des articles sur les attaques terroristes en Israël. Des groupes pro-Israël ont souligné la manière dont le quotidien a publié des articles d’opinion reprenant l’accusation antisémite de « suprématie juive ». Avant de prendre les rênes du journal en 2015, la rédactrice en chef Katharine Viner avait co-écrit la pièce My Name Is Rachel Corrie (« Mon nom est Rachel Corrie ») sur l’activiste américaine tuée par un bulldozer de Tsahal à Gaza en 2003.
L’influence du Guardian ne se limite plus au Royaume-Uni. Avec des éditions consacrées aux États-Unis, à l’Australie, à l’Europe et à l’international, le quotidien affirme toucher des millions de personnes dans le monde chaque mois.
Mais sa position éditoriale n’a pas toujours été la même. Reflétant les attitudes plus larges de la gauche, The Guardian était autrefois farouchement sioniste dans ses sympathies – jusqu’à ce que, à ses yeux, David devienne Goliath après 1967.
Au commencement
Le célèbre propriétaire, éditeur et rédacteur en chef de longue date du Guardian, C.P. Scott, a joué un rôle de premier plan dans l’obtention de la déclaration Balfour après avoir rencontré Chaïm Weizmann en novembre 1914. Weizmann et son « sens parfaitement clair du nationalisme juif » ont fait forte impression sur Scott, une voix influente au sein du parti libéral au pouvoir. L’ancien député s’est avéré essentiel pour ouvrir des portes à Weizmann à Whitehall, en organisant des réunions avec David Lloyd George, le chancelier de l’Échiquier, qui est devenu un admirateur et un partisan de Weizmann et de ses ambitions.
Scott est également une source de renseignements politiques cruciaux. En avril 1917, il avait pris connaissance des éléments de l’accord secret Sykes-Picot, par lequel la Grande-Bretagne et la France prévoyaient de se partager le Moyen-Orient après la guerre. Cette nouvelle avait permis d’alerter Weizmann sur l’urgence d’obtenir du gouvernement britannique, alors dirigé par Lloyd George, la promesse de soutenir la création d’un foyer juif. Cet engagement, pris par le ministre des Affaires étrangères Lord Arthur Balfour un peu plus de six mois plus tard, était, comme l’avait écrit Scott dans un éditorial du quotidien, « l’accomplissement d’une aspiration, le signe d’un destin ».

Comme l’a expliqué la journaliste israélienne Daphna Baram dans son livre Disenchantment : The Guardian and Israel (« Désenchantement : The Guardian et Israël »), Scott était loin d’être le seul sympathisant sioniste du Manchester Guardian (nom donné à l’époque au journal, basé dans la troisième plus grande ville du Royaume-Uni). Les journalistes Harry Sacher, Herbert Sidebotham et le futur rédacteur en chef William Crozier étaient tous fortement pro-sionistes.
Nos erreurs
Mais lorsque The Guardian a célébré son bicentenaire en 2021, il a fermement mis un terme à ses précédentes affinités sionistes. Dans un éditorial visant à identifier les « pires erreurs de jugement du journal en 200 ans », l’éditorialiste en chef Randeep Ramesh a énuméré son opposition initiale au suffrage universel, son soutien à l’impérialisme et son appui à la Confédération pendant la Guerre de Sécession. Mais Ramesh a également mis en évidence une autre « erreur » : « The Guardian de 1917 a soutenu, célébré et on peut même dire qu’il a contribué à faciliter la déclaration Balfour », avait-il écrit. « Quoi qu’il en soit, Israël n’est pas aujourd’hui le pays que The Guardian avait prévu ou qu’il aurait voulu. »
L’article « stupéfiant et irréfléchi » avait été dénoncé par le Board of Deputies, qui avait accusé le quotidien de sembler « faire tout ce qu’il peut pour saper la légitimité du seul État juif au monde ».

Complet, sérieux, détaillé et engagé
Comme l’avait reconnu The Guardian en 2005, le conflit israélo-palestinien est « peut-être l’aspect le plus controversé de notre couverture éditoriale » et fait l’objet d’un « examen plus approfondi que tout autre sujet ». Interrogé par Baram, Alan Rusbridger, alors rédacteur en chef du quotidien, l’avait jugée « complète, sérieuse, détaillée et engagée », tout en admettant qu’elle ne parvenait parfois pas à « prendre suffisamment en compte les véritables préoccupations d’Israël en matière de sécurité ». Mais, selon lui, l’approche du Guardian a souvent été victime de diffamations qui ont mis dans le même sac « notre critique d’Israël et l’antisémitisme réel ».
Néanmoins, un regard rétrospectif sur les deux premières décennies du XXIe siècle révèle à quel point The Guardian s’est désintéressé de l’État qu’il défendait autrefois. Au cours de cette période, le Community Security Trust (CST), un organisme consultatif pour les Juifs du Royaume-Uni, avait déclaré en 2012 : « The Guardian a renforcé sa réputation de journal grand public le plus subjectif et le plus controversé sur les questions d’antisémitisme dans le contexte d’Israël et du sionisme. Et ce, bien que le journal mette également en garde contre l’antisémitisme. »
Israël n’a pas le droit d’exister
Bien que The Guardian affirme qu’il ne cherche pas à remettre en question le droit à l’existence d’Israël, il a donné de l’espace à ceux qui le font.
« Israël n’a pas le droit d’exister. Je sais qu’il n’est pas du tout à la mode de dire cela et que, compte tenu de l’état lamentable du processus de paix, certains trouveront cela irresponsable », avait écrit le journaliste musulman Faisal Bodi dans un commentaire en 2001. Quelques mois plus tard, alors que des attentats suicides frappaient le pays, le journal publiait un autre article de Bodi. « Le message des kamikazes est brutalement clair : tant que leur peuple ne pourra pas vivre dans la dignité et la paix, les Israéliens ne doivent pas s’attendre à ce qu’il en soit de même », avait-il écrit.
L’antisionisme acharné de Seumas Milne
Comme l’indiquent les articles de Bodi, les pages de commentaires du journal se distinguent depuis longtemps par leur ligne fortement anti-Israël. Un membre du personnel du Guardian a déclaré en 2018 que, sous Seumas Milne, l’ancien rédacteur en chef des commentaires aligné à la gauche radicale, la section des opinions était devenue « incroyablement controversée, principalement en raison de son attitude à l’égard d’Israël ».

« Il était surprenant de voir à quel point cela était toléré, mais il avait plus de connaissances sur le Moyen-Orient que la plupart des gens, et un acharnement inégalable », avait déclaré l’ancien collègue.
Même après être passé du poste de rédacteur en chef des commentaires à celui de rédacteur en chef adjoint en 2007, la voix fortement antisioniste de Milne était régulièrement présente dans les pages du quotidien. « Les Palestiniens de Gaza sont un peuple occupé, comme ceux de Cisjordanie, qui ont le droit de résister, par la force s’ils le souhaitent, mais pas en ciblant délibérément des civils », avait-il écrit au plus fort de l’Opération « Bordure protectrice » de 2014.
En octobre 2015, Milne a quitté The Guardian pour devenir l’un des principaux collaborateurs du leader travailliste nouvellement élu, Jeremy Corbyn. Deux mois auparavant, il avait fermement défendu Corbyn contre les accusations d’antisémitisme qui allaient plus tard caractériser son leadership. « Comme chaque dénonciation n’a pas réussi à entamer la position de Corbyn, elles sont devenues plus venimeuses », avait écrit Milne lors de la campagne pour la direction du Labour. « La dernière cible en date est son soutien au dialogue avec le [groupe terroriste palestinien du] Hamas et le [groupe terroriste chiite libanais du] Hezbollah, combiné à une tentative de le salir en l’associant à l’antisémitisme. »
Des mots doux pour le Hamas …

The Guardian lui-même a fourni à maintes reprises aux dirigeants du groupe terroriste palestinien du Hamas une tribune pour se défendre. Quatre mois avant d’évincer l’Autorité palestinienne (AP) lors d’un coup d’État sanglant en juin 2007, le chef du Hamas, Khaled Meshaal, qui a écrit pour le journal à au moins quatre reprises, avait promis « un gouvernement opérationnel capable de répondre aux besoins de notre peuple ». Moussa Abu Marzouk, terroriste influent du Hamas, a fait valoir que le groupe terroriste était l’un des « mouvements islamiques populaires démocratiques » de la région, tandis qu’Ismaïl Haniyeh, son chef à Gaza, qui a orchestré les atrocités du 7 octobre, avait rassuré les lecteurs quant à ses intentions pacifiques. « Je voudrais réitérer, au nom de mon peuple, notre désir sincère de vivre dans la sécurité et la stabilité, sans guerres ni effusions de sang », avait-il écrit en 2012.

… Et des comparaisons avec l’apartheid
Les arguments en faveur du BDS et les accusations selon lesquelles Israël ressemble à l’Afrique du Sud de l’époque de l’apartheid figurent également en bonne place dans les pages du Guardian depuis le milieu des années 2000. En 2006, par exemple, le quotidien avait publié un article en deux parties de 14 000 mots rédigé par son correspondant en Israël, Chris McGreal, qui établissait des parallèles avec l’État juif et l’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid et notait les relations entre ces deux pays. L’article a été décrit par le Centre britannique de recherche et de communication sur Israël comme une « tentative à peine voilée de discréditer Israël au point de jeter le doute sur sa légitimité et son droit d’exister ».
Faire bouger les choses
Bien entendu, The Guardian fait également entendre des voix sionistes libérales : l’écrivain et communicateur Jonathan Freedland tient une chronique hebdomadaire qui, tout en étant très critique à l’égard du gouvernement de Benjamin Netanyahu, apporte un équilibre non négligeable. De même, le très respecté rédacteur diplomatique du journal, Patrick Wintour, s’efforce de respecter l’équité, le contexte et l’objectivité. Les éditoriaux du Guardian ont également parfois mis en garde contre les dangers de l’antisémitisme découlant du langage et du discours déployés par les activistes anti-Israël.

Toutefois, le quotidien n’a pas toujours été à la hauteur des idéaux antiracistes qu’il professe. Aux côtés du journal The Independent, le CST a critiqué The Guardian pour avoir dépeint « un lobby sioniste américain dominant en Amérique ». De telles représentations « courantes » risquent de refléter et d’encourager les allégations antisémites de conspiration juive. L’ancien rédacteur en chef du Guardian, Peter Preston, avait par exemple publié un article d’opinion sur la couverture médiatique américaine de la guerre de Gaza en 2008 et 2009 : « Il n’y avait pas d’équilibre, pas d’équité et très peu de ce que l’on pourrait appeler une pensée indépendante. Tel Aviv semblait aboyer des ordres : les médias américains se contentaient de remuer la queue. »
De la même manière, des relents d’antisémitisme étaient évidents dans l’article d’opinion de la chroniqueuse Deborah Orr à la suite de l’accord qui a libéré Gilad Shalit en 2011. Il y avait, écrivait-elle, « quelque chose d’abject dans l’empressement du Hamas à accepter un transfert qui reconnaît tacitement ce que tant de sionistes croient, à savoir que la vie des élus est bien plus importante que celle de leurs malheureux voisins ». (Orr s’est par la suite excusée pour ses mots « mal choisis et mal utilisés » et le médiateur du journal est revenu sur le sujet de l’antisémitisme).
Et, malgré le tollé suscité par l’antisémitisme au sein du Labour Party sous Corbyn, le quotidien avait essuyé une vague de critiques l’année dernière lorsqu’il avait publié un éditorial qui semblait minimiser le problème et défendre l’ancien dirigeant. « C’est un moment déchirant dans l’histoire d’un journal qui était autrefois le champion de l’égalité des droits et des valeurs libérales », avait affirmé l’historien Simon Sebag Montefiore.
Mais ce ne sont pas seulement les mots qui ont mis The Guardian en difficulté. En octobre dernier, le journal a licencié son dessinateur de longue date, Steve Bell, après qu’il eut présenté une image de Netanyahu opérant sur son propre estomac et montrant une coupure dans le contour de Gaza. Bell avait déclaré que son dessin s’inspirait d’une caricature du président américain Lyndon Johnson datant de la Guerre du Vietnam. Le quotidien avait refusé de publier la caricature de Bell, que certains considéraient comme une référence à la « livre de chair » exigée par Shylock, le stéréotype juif de Shakespeare, dans Le Marchand de Venise.

D’autres caricatures de Bell ont fait l’objet de controverses répétées, notamment celle qui présentait Netanyahu comme un marionnettiste tirant les ficelles de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et du ministre des Affaires étrangères de l’époque, William Hague.

Bell n’est pas le seul dessinateur du Guardian à faire l’objet de critiques. L’année dernière, des groupes juifs ont condamné une caricature de Martin Rowson qui représentait le président sortant juif de la BBC, Richard Sharp, avec des « traits surdimensionnés et grotesques ». (Rowson s’est excusé et le Guardian a supprimé l’image).
Il y a un peu plus de douze ans, au milieu d’un flot de plaintes, le Guardian avait admis que ses « journalistes, écrivains et rédacteurs en chef devaient être plus vigilants quant au langage qu’ils utilisent lorsqu’ils écrivent sur les Juifs ou sur Israël ».
Il semble que cette leçon n’ait toujours pas été retenue.
Robert Philpot est écrivain et journaliste. Il est l’ancien rédacteur en chef du magazine Progress et l’auteur de Margaret Thatcher : The Honorary Jew (« Margaret Thatcher : La Juive Honoraire »).
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