Des colleuses juives féministes s’affichent sur les murs de Marseille
Le collectif, qui lutte à la fois contre l’antisémitisme et le sexisme et pour l’égalité hommes-femmes, s’adresse aussi à la communauté juive locale
Les habitants des grandes villes de France n’ont pu passer à côté de ces affiches féministes, collées sur les murs urbains depuis plusieurs années.
À Marseille, quelques militantes juives allient féminisme et judaïsme, luttant à la fois contre l’antisémitisme et le sexisme et pour l’égalité hommes-femmes.
Il y a deux ans, celle qui a formé le groupe, professeure des écoles à Marseille âgée de 40 ans, expliquait au média K. avoir commencé son militantisme féministe suite aux injonctions de ses proches à se marier.
« J’adorais aller à la synagogue, j’adorais entendre les chants du rabbin, j’allais à tous les cours, j’apprenais à lire l’hébreu, je faisais toutes les fêtes et j’ai commencé à devenir très pratiquante », a-t-elle aussi déclaré récemment au micro de l’émission « Les pieds sur terre » de France culture. « Et puis, l’intérêt pour l’étude de la Torah dans ce milieu-là, c’est quelque chose qui est vu avec beaucoup de bienveillance pour une jeune fille, mais au bout d’un moment, on vous rappelle que votre rôle sera de vous marier et de faire des enfants. C’est devenu une pression que j’ai commencé à ne plus très bien vivre et j’ai commencé à m’écarter de ce milieu. »
S’éloignant du judaïsme, elle a alors découvert « qu’il existe des milieux beaucoup plus en accord avec des profils comme le mien où sont abordées des questions que je me suis posée en m’intéressant au féminisme, comme celles liées aux violences conjugales, à l’inceste, au manque de légitimité de certaines femmes ».
« Les féministes juives incitent à prendre la parole, à faire des discours, à se contredire, à chercher des sources et les partager. Je me suis dit que c’était bien plus stimulant que les cours où j’allais avant. On ne m’y parlait que de la halakha (loi juive), de comment suivre les règles et être tsniout (prude). Au final on revenait toujours à ‘il faut être gentille et compréhensive’. »
Alors qu’elle n’avait jamais milité, elle rejoint ainsi un groupe de colleuses marseillaises, et colle quelques phrases sur l’antisémitisme.
« Ce qui m’intéressait énormément, c’est que les slogans sont écrits en énormes lettres noires, qu’on choisit des murs qui sont bien visibles et que les passants ne peuvent pas se soustraire au problème qu’on soulève, ils sont obligés de le lire », dit-elle.
Mais, « j’étais la seule Juive du groupe de colleuses dont je faisais partie », dit-elle. « Elles n’étaient pas du tout sensibles aux problématiques propres aux femmes juives. Mais certaines m’ont poussée à coller des messages sur le sujet. »
C’est alors que, en réaction à des croix gammées taguées à côté d’un collage féministe d’un autre groupe, elle a lancé la création du collectif « Collages Féministes Juif-ves Marseille » en mai 2021. Celui-ci est composé exclusivement de femmes juives, et compte aujourd’hui onze membres.
Après leurs collages nocturnes, une ou deux nuits par semaine, elles en postent des photos sur leurs comptes Instagram, suivi par près de 4 000 personnes, et Facebook.
Parmi les messages récemment collés, toujours en lettres capitales noires sur fond blanc : « L’antisémitisme tue » ; « Si ‘les Juifs contrôlent le monde’, pourquoi on continue de coller sur ces murs pour se faire entendre ? » ; « N’aie par peur d’être féministe » ; « Une gifle, c’est de la violence conjugale » ; ou encore « Juive et fière ».
Le groupe, dont plusieurs membres sont pratiquantes et célèbrent même les fêtes ensemble, s’adresse également plus particulièrement à la communauté juive de la ville, en collant des messages liés dans les quartiers où elle est concentrée.
« Le fait de refuser de donner le guett à son épouse est une violence conjugale », peut-on ainsi lire, en référence à l’acte de divorce religieux que des hommes ne veulent parfois pas accorder à leurs ex-épouses ou encore : « On veut des femmes rabbins » et « Pourquoi les femmes ne sont-elles que spectatrices à la synagogue ? »
Leurs messages, qui sont par la suite longuement expliqués et explicités sur leurs pages sur les réseaux sociaux, ont ainsi pu entamer un dialogue sur certaines questions. Elles disent ainsi recevoir des messages de femmes religieuses – ainsi que des invectives de la part de Juifs orthodoxes, et des insultes venant de l’extrême droite.
Leurs pages reçoivent aussi beaucoup de questions de la part de militants de gauche, milieu que certaines membres du groupe ont pu fréquenter, n’en tirant pas de bonnes expériences.
Une colleuse juive qui, comme la fondatrice du groupe, s’exprimait sous couvert d’anonymat – car les collages du groupe sont interdits par la loi française et vus comme une dégradation du mobilier urbain –, expliquait à K. : « Chez mes amis activistes, on ne parle jamais d’antisémitisme. Puis, au moment de la dernière guerre avec Gaza, j’ai vu apparaître beaucoup de messages antisémites. Souvent, quand j’entends parler du grand capital dans les milieux très à gauche, c’est la figure du Juif qui apparait. »
Dénonçant le silence de la gauche face à l’antisémitisme, elle dénonçait aussi une « instrumentalisation de l’antisémitisme à droite, qui se réapproprie la lutte quand un acte antisémite vient d’un musulman ».
« Il y a comme une mise au silence de l’antisémitisme dans la définition du racisme, dans sa partie la plus visible, comme le contrôle au faciès ou encore les discriminations à l’embauche. Pour l’antisémitisme, ce sont d’autres ressorts qui s’expriment. Il y a un manque total de culture sur cette problématique chez les mouvements militants d’extrême gauche », expliquait la fondatrice du groupe.
« La gauche ignore la lutte contre l’antisémitisme. Allié.e.s antiracistes, réveillez-vous », indique un des récents collages du groupe.
Aujourd’hui, elles espèrent que leurs messages inspireront d’autres groupes de colleuses, à travers la France.