Des joueurs d’échec ukrainiens se confient sur la guerre et veulent l’emporter sur Moscou
De nombreux joueurs participant au championnat viennent des lignes de front ou des régions touchées par la stratégie de guerre de Poutine, et concourent en pensant à leurs compatriotes
Dans les salles cossues d’un hôtel cinq étoiles situé sur les collines de Jérusalem, des serveurs aux tenues immaculées circulent tranquillement, servant des assiettes de plats somptueux à des invités internationaux bien nantis.
On est loin des conserves, des tranchées boueuses et de la guerre infernale auxquelles était confronté Igor Kovalenko il y a seulement quelques semaines, en tant que soldat dans la région de Donetsk, dans l’est de l’Ukraine.
« J’étais tellement habitué à dormir sur le sol que maintenant je trouve les lits un peu trop mous », confie-t-il en souriant au Times of Israel.
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En temps de paix, Kovalenko est professeur d’échecs et aumônier d’église étudiant la théologie. Mais c’est sa première profession de joueur d’échecs qui l’a amené à Jérusalem au sein d’une équipe participant au championnat du monde d’échecs par équipes, qui a débuté dimanche.
Grand maître d’échecs classé 68e au monde selon la FIDE, la Fédération mondiale des échecs, Kovalenko a appris à tirer au pistolet il y a quelques mois lorsqu’il a été appelé dans l’armée ukrainienne.
« Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre », avoue-t-il, expliquant que même s’il vient d’une famille de militaires, il a préféré les échecs et d’autres passe-temps en grandissant.
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine le 24 février 2022, Kovalenko vivait à Kiev. Il a commencé à faire du bénévolat, à rassembler des fournitures pour les soldats et à collecter des fonds. En avril, il a été appelé au service actif et déployé dans la région de Donetsk déchirée par la guerre en juillet, où il était basé jusqu’à il y a quelques semaines.
« Nous travaillons dans des conditions très difficiles », dit-il. « Nous sommes parfois basés dans des maisons abandonnées, parfois sous des ponts, parfois dans des tranchées et des abris. »
« Le plus dur, c’est qu’il n’y a pas de roulement », ajoute-t-il. « J’étais là 70 jours d’affilée, sans aucune pause. Cinquante de ces jours, je les ai passés à travailler constamment jour et nuit. Lorsque cet épuisement psychologique et physique s’accumule, il vous transforme en zombie. Et c’est ce qui est le plus effrayant, car vous êtes en mode survie, et vous vous énervez, vous vous énervez, vous devez vous ressaisir. C’est le plus dur – ne pas avoir une journée terrible, mais savoir que demain vous ne pouvez pas vous reposer et récupérer, vous devez juste continuer. »
Un effort de groupe
Si Kovalenko est le seul du groupe à être dans l’armée, ses coéquipiers participent à l’effort de guerre d’autres manières.
« Dès que la guerre a éclaté, j’ai commencé à me porter volontaire », déclare le capitaine de l’équipe, Oleksandr Sulypa, décrivant son séjour dans les Forces de défense territoriale ukrainiennes, un groupe de réserve militaire basé sur le volontariat, avec lequel il a patrouillé dans des zones de Lviv, tenu des postes de contrôle, livré des générateurs électriques et travaillé pour aider les femmes et les enfants à quitter la ville.
Sulypa est parti en Lettonie au début de l’année, après avoir été chargé de chaperonner une délégation de joueurs d’échecs, et a vécu ces derniers mois en Pologne.
Mykhaylo Oleksiyenko dit avoir aidé sa famille à quitter la ville de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, dès que la guerre a éclaté, afin de protéger ses trois jeunes enfants.
« Dans mon appartement, il y a maintenant une famille de Kiev », dit-il. Avant de partir lui-même pour la Pologne, Oleksiyenko a aidé d’autres personnes à fuir. « Il y avait une femme avec quatre enfants qui quittait Kharkiv sous un bombardement intense, nous l’avons aidée à se rendre en Allemagne où vit son frère ».
Andrei Volokitin, également originaire de Lviv, a travaillé pour aider les réfugiés de Marioupol et de Kiev à trouver un hébergement, et envoie désormais régulièrement de l’argent à l’armée ukrainienne.
Kovalenko est actuellement en congé maladie de l’armée, pour se remettre d’une opération du genou causée par des blessures répétées pendant son service militaire. « S’il n’y avait pas eu de congé maladie, je ne serais pas venu », dit-il.
Échec et mat en Israël
Jouer en Israël est important, dit Kovalenko, car des liens personnels très forts unissent les deux pays.
« De nombreux Israéliens et de nombreux Juifs ont beaucoup aidé l’armée ukrainienne par leurs dons », dit-il, évoquant les communautés qui ont envoyé des équipements et de l’argent qu’il a aidé à acheminer.
Mais tous les membres de l’équipe s’accordent à dire qu’Israël peut faire beaucoup plus.
« Je sais qu’Israël apporte une aide humanitaire », ajoute son coéquipier Oleksiyenko. « Et je sais que le pays a ses propres intérêts avec la Russie. Mais l’Ukraine serait extrêmement heureuse si Israël pouvait également l’aider militairement. Nous pouvons gagner cette guerre – nous l’avons montré dans la région de Kharkiv où nous avons mis les Russes dehors, nous l’avons montré dans la région de Kherson où nous les avons repoussés en utilisant l’aide que nous avons reçue de l’Occident. »
Ces roquettes et ces drones iraniens terrorisent notre pays… Et nous savons qu’Israël sait comment y faire face efficacement, ce qui pourrait être une grande aide militaire
« Ces roquettes et ces drones iraniens terrorisent notre pays. Dix millions de personnes ont été privées d’électricité il y a quelques jours à cause de ces attaques terroristes. C’est apparemment le plan de la Russie – nous terroriser pour nous soumettre. C’est littéralement ce que font les terroristes. Et nous savons qu’Israël sait comment gérer cela efficacement, donc cela pourrait être une grande aide militaire », ajoute-t-il.
Aumônier dans l’armée
Kovalenko souligne à quel point l’invasion de la Russie et les attaques continues contre son pays fédèrent les Ukrainiens.
« Quels que soient les problèmes que nous pouvons avoir en Ukraine, nous savons que si la Russie progresse, ce sera bien pire. Et ce sentiment de devoir, cette signification historique et la détermination de survivre, la nécessité de se battre pour sa famille, cela aide vraiment. Si l’ennemi n’avait pas été aussi immoral et mauvais, cela aurait été plus difficile », dit-il.
Kovalenko sert dans l’armée à la fois comme soldat et, si nécessaire, comme aumônier – ne voyant aucune contradiction entre les deux rôles.
« Tout dépend de votre objectif », explique-t-il. « Je ne suis pas dans l’armée pour tuer des Russes, je suis là pour sauver des Ukrainiens ».
En tant qu’aumônier, Kovalenko aide aux devoirs religieux ainsi qu’à conseiller ceux qui ont du mal à porter le poids de tout ce qu’ils vivent en temps de guerre.
« Les soldats viennent me voir et me posent des questions sur la mort, sur le sens de la vie, parfois aussi sur des conflits éthiques, moraux », dit-il. « Par exemple, si quelqu’un devait laisser un camarade blessé sur le terrain afin de sauver plus de vies ou simplement suivre les ordres. Lorsque vous ne parvenez pas à sauver la vie de quelqu’un, cela déchire tout simplement les gens par la suite. »
Kovalenko essaie de se changer les idées en jouant aux échecs dès qu’il en a le temps.
« J’essaie aussi de penser à l’avenir et de faire des projets », dit-il. « Pour moi, ma foi religieuse m’aide beaucoup, mais comment les autres s’en sortent-ils ? Pour une personne ordinaire, c’est extrêmement difficile. »
Je voudrais souhaiter à chacun de vivre sa vie de sorte que, si jamais il se retrouve au front, il n’ait aucun regret
« Dans l’armée, j’ai compris une chose – la vie est si courte », dit Kovalenko. « J’ai vu des soldats qui étaient là, ils regrettaient quelque chose qu’ils n’ont pas assez fait – peut-être que l’un n’a pas passé assez de temps à parler à sa fille, un autre n’a pas assez communiqué avec ses parents, ses amis – ils ont compris qu’ils n’atteindront peut-être pas la fin de la guerre et ne pourront peut-être pas la changer. Je voudrais donc souhaiter à chacun de vivre sa vie de sorte que, si jamais il se retrouve sur le front, il n’ait aucun regret. »
Un rêve en plein cauchemar
Pour l’instant, les joueurs se concentrent sur leur jeu.
« Depuis l’enfance, mon souhait est de jouer pour mon pays, ma patrie », déclare Kovalenko. « Et regardez comment la vie a fait que c’est maintenant que je réalise cela, en jouant dans l’équipe nationale de mon pays pour la toute première fois. C’est un moment très difficile pour le pays, mais c’est aussi très symbolique pour moi. »
« Il a été difficile de constituer l’équipe », admet le capitaine de l’équipe, Sulypa. Pourtant, dit-il, il est important de représenter l’Ukraine en Israël. « Si nous gagnons quelque chose, nous l’enverrons à l’armée ukrainienne ».
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