Israël en guerre - Jour 366

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Des Juifs ukrainiens se confient sur leurs survies après un an de guerre

Des milliers de réfugiés juifs ont fui vers Israël tandis que d'autres sont restés derrière, soumis aux bombardements russes et au manque d'électricité, d'eau et d'alimentation

Eli Hopstein, à gauche, regarde son quartier de Mykolaiv, en Ukraine; Alexey Shkurat, à droite, sourit à son arrivée en Israël, un an après le départ de sa famille d'Odessa. (Crédit : Deborah Danan)
Eli Hopstein, à gauche, regarde son quartier de Mykolaiv, en Ukraine; Alexey Shkurat, à droite, sourit à son arrivée en Israël, un an après le départ de sa famille d'Odessa. (Crédit : Deborah Danan)

JTA — Dans ce vol en provenance de Chisinau, en Moldavie, et à destination de Tel Aviv, la majorité des passagers font preuve de discrétion et de sobriété.

Certains viennent tout juste d’être les témoins de scènes de détresse profonde à l’occasion d’un voyage organisé par l’IFCJ (International Fellowship of Christians and Jews). D’autres – ils sont environ 90 en tout – sont des Ukrainiens sur le point de s’installer définitivement en Israël et ils échangent d’une voix étouffée en évoquant ce tout premier vol en avion, l’incertitude de l’avenir ou les êtres chers qu’ils ont laissés derrière eux.

La voix d’Alexei Shkurat tranche dans ce silence feutré.

L’homme, portant des lunettes et barbu, est debout devant son siège, racontant des plaisanteries qui font même s’esclaffer malgré elle la femme âgée assise à côté de lui.

« J’aime raconter des blagues, communiquer. Pourquoi perdre de précieuses minutes de ma vie à être nerveux ? », explique Shkurat à JTA.

« Et de toute façon », ajoute-t-il en anglais, « je suis heureux, très heureux de revoir bientôt mes fils ».

Passant au russe, ses sourcils se froncent et sa voix baisse d’un ton lorsqu’il raconte comment, le 28 février 2022, il a risqué sa vie pour transporter ses fils, âgés de 14 et 12 ans, à la frontière avec la Pologne, en compagnie de leur mère et de leur grand-mère. De là, la petite famille devait partir en Israël – sans lui.

Parce que Shkurat ne pouvait pas faire le voyage avec eux. Les frontières étaient fermées pour les hommes en âge de se battre et il avait ainsi dû retourner dans sa ville natale d’Odessa. Ce qui était arrivé ensuite, raconte-t-il, avait été effrayant : Alors qu’il passait devant un champ vide, à proximité de Lviv, il avait rencontré des soldats ukrainiens dont les armes, des fusils AK-74, étaient pointées dans sa direction. Shkurat avait levé les mains et il lui avait été ordonné de sortir de son véhicule. Il était parfaitement conscient qu’un seul geste malavisé pouvait entraîner un coup de feu potentiellement mortel.

Les militaires avaient fouillé la voiture et il avait été interrogé sur ce voyage entrepris après l’heure du couvre-feu – les deux soldats l’avaient même pris pour un espion russe. Shkurat avait ultérieurement appris que 40 parachutistes de l’armée russe avaient atterri dans le secteur et qu’ils avaient volé des ambulances et des voitures de police. Il avait répondu en russe aux militaires, ce qui n’avait fait que renforcer leurs soupçons. L’Ukrainien est la langue dominante dans l’Ouest de l’Ukraine mais la langue natale de Shkurat, Juif originaire d’Odessa, était le russe.

« J’étais terrifié. Je sais qu’ils ne faisaient que leur travail mais la situation était effrayante. Toutes les certitudes que j’avais dans ma vie ont été bouleversées par cet incident », dit-il.

Par chance, Shkurat, artiste de rue, avait pu prouver son identité en montrant aux soldats sa page Instagram, remplie de publications montrant ses spectacles à différents endroits d’Odessa.

Des immigrants juifs fuyant les zones de guerre de l’Ukraine à leur arrivée à l’aéroport Ben Gurion, près de Tel Aviv, le 15 mars 2022. (Crédit : Tomer Neuberg/Flash90)

Mais les choses avaient été loin d’être terminées, dit-il, ajoutant que ce qui devait suivre lui donnait encore des cauchemars. Mais que s’est-il donc passé ?… A cette question, Shkurat sourit et répond en anglais.

« Je ne peux rien vous dire », déclare-t-il. « Je veux vendre mon histoire à Netflix ».

Quels que soient les événements vécus par Shkurat, il est certain que les autres passagers ont, eux aussi, des histoires dignes des plateaux de tournage à raconter. Ils entreprennent le grand voyage en Israël alors qu’il s’est déjà écoulé presque un an depuis le début de l’offensive russe, ce qui fait d’eux les derniers immigrants arrivés depuis l’Ukraine grâce à l’IFCJ – qui a récemment facilité le départ de 5 000 nouveaux immigrants ukrainiens et qui travaille en collaboration avec des entités israéliennes comme la Nativ et comme le ministère de l’Alyah et de l’Intégration. Approximativement 15 000 Juifs ukrainiens au total ont immigré ou fait leur alyah l’année dernière.

Selon le vice-président de l’IFCJ, Gidi Schmerling, s’il y a un avantage à tirer de cette guerre du point de vue d’Israël, c’est que de nombreux Ukrainiens de la classe moyenne – médecins, ingénieurs ou employés du secteur hi-tech – qui n’auraient pas fait l’alyah dans d’autres circonstances ont décidé de le faire.

Mais l’IFCJ travaille également avec les Juifs restés dans le pays en guerre. Depuis que les tanks russes ont franchi la frontière pour la première fois, il y a un an, le groupe a levé plus de 30 millions de dollars – principalement auprès des chrétiens évangéliques d’Amérique du nord et de Corée – en faveur des plus importantes organisations juives d’Ukraine, notamment pour le JDC (American Jewish Joint Distribution Committee) et pour le mouvement ‘Habad. (Ces deux groupes font de nombreuses collectes de fonds de leur côté). La semaine dernière, alors que c’est le premier anniversaire de l’invasion russe, l’organisation a annoncé des dépenses prévues et financées à hauteur de quatre millions de dollars.

Des réfugiés juifs ukrainiens sont vus dans un centre récemment ouvert sur la rive sud du lac Balaton à Balatonoszod, en Hongrie, le 29 juillet 2022. (Peter Kohalmi / AFP)

A Odessa, plus de 7 000 personnes bénéficient actuellement de l’aide de l’IFJC par le biais des groupes juifs locaux. La communauté juive, qui était autrefois forte de 50 000 membres, en compte dorénavant 20 000, selon le grand rabbin de la ville, Avraham Wolff. Sept mille colis alimentaires sont distribués tous les mois dans les centres ‘Habad. Leurs destinataires sont en grand nombre des personnes âgées – avec, parmi elles, 107 survivants de la Shoah. Plusieurs centaines sont des Ukrainiens provenant des villes environnantes – comme de Mykolaiv, une localité durement éprouvée par les bombardements russes – qui ont été déplacés et d’autres encore font partie de ceux que les Ukrainiens appellent les « nouveaux pauvres », ces gens que la guerre a fait plonger dans la misère suite à la perte de leur gagne-pain et suite aussi à l’inflation grimpante.

Ala Yakov Livne, âgée de 86 ans, veuve, fait partie de ces nombreux Juifs ukrainiens qui sont allés chercher un colis contenant de l’huile, de la farine et autres produits alimentaires de base. L’octogénaire déclare que le sentiment qui a dominé chez elle, depuis un an, est celui d’une trahison.

« Les Russes étaient nos voisins et un grand nombre d’entre eux étaient nos amis », explique-t-elle.

« Les temps changent mais certaines choses, pour leur part, ne changent jamais, » continue-t-elle. « Il y a eu une époque où nous subissions l’occupation des nazis ; à cette époque, ils avaient essayé de nous tuer et aujourd’hui encore, nous connaissons une occupation et les Russes cherchent à nous détruire ».

Un sentiment qu’elle n’est pas la seule à éprouver. D’une voix tremblante, Yelena Kuklova, une survivante de la Shoah de 85 ans qui, lorsqu’elle était petite, avait été cachée par des voisins non-Juifs dans une valise enfermée dans un placard, dit avoir le même point de vue.

Yelena Kuklova a survécu à la Shoah grâce à des voisins non-Juifs, qui l’avaient cachée dans un placard. (Crédit : Deborah Danan)

« Ils nous tuaient alors parce que nous étions Juifs. Et ils nous tuent aujourd’hui parce que nous sommes Ukrainiens », dit-elle, des larmes coulant lentement sur ses joues. « Nos vies ont commencé dans la guerre et elles se terminent dans la guerre ».

Cette guerre a été particulièrement féroce à Mykolaiv, une ville située à 40 kilomètres au nord-est d’Odessa, sacrifiée par les combats. « Ce que les Allemands n’étaient jamais parvenus à faire, les Russes l’ont fait », soupire Eli Ben Mendel Hopstein, debout devant son immeuble criblé de trous après avoir été touché par un missile russe.

A l’intérieur de son logement, Hopstein fouille des albums photos vieux de plusieurs décennies, s’arrêtant sur des clichés le montrant dans la marine. « Je sais ce que c’est que le danger », s’exclame-t-il, « mais je n’ai pas le sentiment d’être en danger aujourd’hui ». Il explique être Juif « et fier de l’être ». « Avant tout le reste, je suis Juif – ensuite seulement, je suis Ukrainien. Je ne l’ai jamais caché à qui que ce soit ».

Mykolaiv, une ville pro-russe avant la guerre qui est devenue un fer de lance du sud du pays, est dorénavant source d’orgueil pour ses résidents qui se vantent de l’échec de la Russie à s’y implanter. Même avant la guerre, Mykolaiv était une ville désespérément pauvre. Mais aujourd’hui, après huit mois d’explosions quotidiennes, il ne reste qu’un paysage dévasté et les infrastructures les plus déterminantes de la ville ont été gravement endommagées.

Les bâtiments endommagés sont communs à Mykolaiv, une ville pilonnée par les troupes russes pendant la première année de la guerre. 2eme photo : Des habitants font la queue pour s’alimenter en eau potable. (Crédit : Deborah Danan)

Comme à Odessa, il n’y a pas d’électricité dans la ville 22 heures sur 24. Depuis plus de six mois, de nombreux quartiers n’ont plus d’eau. Aujourd’hui, quand les résidents ouvrent le robinet, c’est un liquide boueux, de couleur marron, qui s’écoule dans l’évier – « l’eau technique », comme l’appellent les Ukrainiens, une eau qui n’est évidemment pas potable. Pour boire et pour faire la cuisine, il faut aller chercher de l’eau dans des bonbonnes en plastique dans les stations prévues à cet effet et qui ont été installées dans toute la ville, avec l’aide de l’organisation à but non-lucratif IsraAID pour un grand nombre d’entre elles.

A Mykolaiv, la vision de seaux posés devant les habitations dans l’espoir de recueillir de l’eau de pluie, une précieuse eau potable, est commune. Le mouvement ‘Habad fait venir des camions remplis d’eau en bouteille pour la communauté juive de la ville. Hopstein affirme que c’est grâce à l’IFCJ et au mouvement ‘Habad qu’il est encore vivant.

« S’ils ne m’avaient pas aidé, je n’aurais plus rien », dit-il.

De l’autre côté de la rue, en face de chez Hopstein, vit Galina Petrovna Mironenko, 82 ans, qui n’est pas Juive et qui n’a pas eu la chance de son voisin. Un missile russe S300 qui devait, semble-t-il, s’abattre sur une université voisine a manqué sa cible et il est retombé sur sa maison, détruisant tout ce qu’elle avait. Mironenko raconte que la seule aide qu’elle obtient est un pain qui lui est remis, chaque semaine, par le gouvernement. Dans sa cuisine carbonisée, son foulard à carreaux rouge et bleu se distingue dans la noirceur de la pièce. L’expression du visage de Mironenko est presque celle d’un enfant – un contraste saisissant avec les mots qu’elle prononce avec douleur.

« Je suis morte trois fois dans ma vie », explique-t-elle. « Une fois quand mon père est mort, une fois encore quand mon fils est mort et une troisième fois quand il n’a fallu que 20 minutes à ma maison pour brûler ».

Galina Petrovna Mironenko dans les décombres de son habitation de Mykolaiv, détruite par un missile russe. (Crédit : Deborah Danan)

A Odessa, le soleil s’est couché et la ville est enveloppée dans l’obscurité – signalant qu’il va être bientôt temps de se réfugier à l’intérieur pour le couvre-feu nocturne. Mais avant cela, il y a une visite à faire à la famille Orlikovsky, qui termine de faire ses valises pour demain, jour de son émigration. Sur le canapé du salon minuscule, il y a quatre générations de Juifs : Alina; sa fille, Marina; son petit-fils, Andrey; l’épouse d’Andrey, Viktoria et la fille du couple, Sofiya.

Andrey se souvient de la date funeste du 24 février 2022. « Je ne pouvais pas en croire mes yeux et mes oreilles. J’ai entendu une explosion terrible, j’ai attrapé ma fille et j’ai dit à mon épouse : ‘Il faut sortir !’. J’ai vraiment cru que ma maison allait s’effondrer comme une maison de poupées ».

Mais il a fallu presque un an pour faire le grand saut et partir, parce que la mère de Viktoria – qui est décédée depuis – était malade et parce que, soupire Andrey, « on s’habitue même aux bombes ».

« On vit sans électricité, on vit sans chauffage et souvent sans eau chaude. On vit comme des insectes », dit Alina. « Mes enfants m’ont dit : ‘Maman, il faut partir’. »

Quand la famille cesse de parler, l’électricité revient et, avec elle, la lumière. Sofiya, cinq ans, éclate de rire, blottie contre la poitrine de sa mère.

A ce premier anniversaire de la guerre, cela fait déjà deux semaines que Shkurat et que 89 autres nouveaux-arrivants ont été accueillis sur le tarmac de l’aéroport Ben Gurion par le nouveau ministre de l’Immigration, Ofir Sofer. Shkurat, pour sa part, cherche un logement permanent situé dans un endroit où il pourra vendre son art.

« J’apprends à connaître le pays et je recherche de nouveaux amis », dit-il. « J’ai beaucoup de projets en tête, des beaux projets, éclairants. Je veux attirer du monde », dit-il.

Il regrette profondément Odessa – « une ville formidable », s’exclame-t-il – mais avoir retrouvé ses fils atténue son chagrin.

« Retrouver mes enfants a été ce qu’il y a eu de mieux depuis un an », dit-il.

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