Des poètes publient un recueil à la mémoire de Judith Weinstein, tuée le 7 octobre
L'auteure de haïkus a été tuée avec son mari, Gad Haggaï, par des terroristes du Hamas, aux abords du kibboutz Nir Oz
Jessica Steinberg est responsable notre rubrique « Culture & Art de vivre »
Judith Weinstein, épouse, mère, enseignante, marionnettiste et poétesse, a été assassinée avec son mari, Gadi Haggai, par des terroristes palestiniens du Hamas lors de leur promenade matinale quotidienne le 7 octobre, aux abords du kibboutz Nir Oz, où ils vivaient.
Née dans le nord de l’État de New York mais élevée au Canada, Judith, âgée de 70 ans, était montée en Israël dans sa jeunesse et y vivait depuis.
Elle était membre de la section sud de Voices Israel, un groupe de poètes anglophones qui se réunit tous les mois.
Le groupe connaissait bien Judith, notamment pour ses haïkus, ces poèmes japonais très brefs qui célèbrent l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent. Elle les écrivait depuis de nombreuses années.
« Elle adorait composer des haïkus. Cela illustre bien son caractère unique, sa créativité et son individualité, » a confié Miriam Green, auteure et poétesse originaire de Beer Sheva, chez qui la section méridionale de Voices Israel se retrouve régulièrement. « Judith faisait le schlepp [le long trajet] depuis le kibboutz et les discussions étaient passionnantes. » Lors de ces rencontres, chaque membre du groupe lisait un poème et recevait les commentaires des autres membres.
« Au fil des ans, on apprend à connaître quelqu’un parce qu’il met toute son âme dans ses poèmes », a expliqué Green.
Les poètes avaient prévu de se réunir le 8 octobre car un membre du groupe, qui vivait à Toronto était en visite en Israël.
Au lieu de cela, ils ont commencé à compter les jours de captivité de Judith, pensant qu’elle avait été prise en otage par les terroristes, jusqu’à ce qu’ils apprennent, en décembre, que Weinstein et son époux avaient été assassinés le 7 octobre et que leurs dépouilles avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
Tout portait à croire que le couple avait été assassiné ce matin-là, a expliqué Green, après la découverte d’une vidéo les montrant quittant le kibboutz et leur appel frénétique aux services d’urgence.
« Nous avons annulé plusieurs rencontres après cela », a indiqué Green. « Je ne pouvais pas le faire sans elle, nous étions les coordinatrices du groupe. Maintenant, je suis toute seule. »
Le groupe a décidé de publier un chapbook – une courte collection de textes littéraires souvent auto-publiée ou publiée de manière indépendante -, en mémoire de Judith, qui ne contient souvent pas plus de vingt poèmes et offre un aperçu de chaque auteur.
Intitulé Light Thru Trees (« La lumière à travers les arbres »), il présente les poèmes de Judith et donne à ses collègues poètes l’occasion de lui rendre hommage. Certains poèmes évoquent simplement les émotions de ses collègues poètes face à la guerre en cours.
« Ce qui ressort, c’est l’image d’une femme qui aimait la vie, sa famille et son appartenance à ce monde », a indiqué Green.
Elle a par ailleurs expliqué que certains des poètes avaient utilisé les haïkus de Judith comme base pour leurs propres poèmes. « C’est une sorte de dialogue avec les poèmes de Judith », a ajouté Green.
« On lit les poèmes et on ressent les thèmes que les gens ont retenus de ses poèmes. »
Judith écrivait un haïku presque quotidiennement qui reflétait son humeur. Nombre d’entre eux décrivent ses promenades matinales et évoquent la beauté de la nature.
Ses poèmes plus longs exploraient les idées de récits alternatifs que sa journée aurait pu prendre, a expliqué Green. « Judith donnait à ses lecteurs la recette pour transcender les actions quotidiennes, vivre dans l’instant et faire l’expérience d’un niveau d’être plus élevé. »
Le recueil, publié à la mémoire de Judith en coopération avec ses quatre enfants et leurs familles, est une occasion d’embrasser la beauté et la diversité de la vie telle qu’elle la voyait et l’exprimait avec une telle clarté, écrivent ses collègues poètes.
« Elle était si bien dans sa peau et si belle », a ajouté Green, « avec ses magnifiques cheveux gris ondulés qui lui descendaient dans le dos ».
Green a décrit Judith comme une femme menue, végétalienne, qui prenait soin d’elle et buvait du thé lors de leurs réunions de poésie.
Judith enseignait l’anglais et s’était spécialisée dans le travail avec des enfants ayant des besoins particuliers et des problèmes d’attention et de concentration. Elle fabriquait des marionnettes avec ses élèves pour les aider à surmonter les traumatismes et à développer la pleine conscience.
« Elle était extrêmement créative, tout le monde l’aimait », a confié Green. « Je ne l’ai jamais vue en colère. Elle était tout simplement émerveillée par le monde. »
Le dernier contact entre Green et Judith date du 6 octobre, quand elles ont échangé des SMS. Judith avait écrit dit à Green qu’elle avait hâte de la serrer dans ses bras le 8 octobre.
Le 7 octobre, Green espérait encore recevoir un signe de vie de son amie du kibboutz Nir Oz.
Dans les mois qui ont suivi, Green est restée en contact avec les enfants de Judith, qui ont aidé le groupe de poètes à composer le recueil, en leur fournissant d’autres poèmes de leur mère.
Le livre est une publication réservée aux membres de Voices Israel, un groupe de poètes israéliens qui écrivent en anglais, ainsi qu’à ceux qui, à l’étranger, soutiennent le groupe et sa poésie.
Après le 7 octobre et l’annonce de la mort de Judith, Voices Israel a créé un blog de guerre en ligne où les membres ont été encouragés à publier des haïkus en l’honneur de leur collègue poète.
Extrait de Light Thru Trees
Par Judith Weinstein
La vie délicate
Guerre, paix, chagrin et joie
Choisissons l’amour
Voix sur les chemins
Enfants courant sur pelouse
Vie au kibboutz renaît
Les jours se succèdent
Qu’est-ce qui diffère cette année ?
Perte de foi, espoirs
Après la pandémie
Obsession du Father Death Blues*
Thème de la faucheuse
*(« Father Death Blues » par Allen Ginsburg fait référence à une chanson ou un thème musical explorant des motifs liés à la mort et à la perte, souvent associé à la réflexion sur la mortalité et les impacts de la pandémie.)
Trépied réglé
Sujet flou, sans selfie aujourd’hui
Instant figé, vrai
Observer à distance
Le flétrissement des mères
Au-delà du temps
Les vagues s’écrasent
Le corps émerge pour respirer
Résilience quotidienne
Métronome du cœur
Des années soixante à aujourd’hui
Journal musical
Soudain son nom
Souvenirs et sourires
Étreintes du passé
Heures nocturnes
La peinture coule sur la falaise
L’artiste émerveillé
Un moment pour sentir
Le pouvoir des papillons
Transport de soie
Sweat-shirt douillet
Chansons sous un ciel bleu clair
Promenade fraiche