Israël en guerre - Jour 376

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Opinion

Désaccord entre notre gouvernement et notre principal allié sur la façon d’assurer notre avenir

Au moment où la situation est la plus critique, dans cette guerre épuisante et très coûteuse, Blinken illustre les différences fondamentales entre les deux gouvernements

David Horovitz

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Des réservistes israéliens et des chars d'assaut participent à des exercices d'entraînement sur le front libanais dans les hauteurs du Golan, le 4 janvier 2024. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP)
Des réservistes israéliens et des chars d'assaut participent à des exercices d'entraînement sur le front libanais dans les hauteurs du Golan, le 4 janvier 2024. (Crédit : Ohad Zwigenberg/AP)

Alors que cela fait presque 100 jours que les horreurs du 7 octobre ont été perpétrées, et presque 100 jours depuis le début des efforts déployés par Israël pour éliminer le Hamas, la guerre en cours s’avère être aussi difficile, meurtrière et complexe que beaucoup l’avaient craint, et le contexte dans lequel elle se déroule est encore plus inquiétant que ce que la plupart des gens avaient prédit.

Les pertes subies par Tsahal augmentent inexorablement, lacérant l’âme d’Israël, alors même que les troupes font montre de leur unité et de leur détermination farouche à démanteler l’armée terroriste qui a massacré nos concitoyens dans leurs maisons et leurs communautés. La mort de six soldats lundi, lorsque des chars de Tsahal ont tiré sur une cible ennemie et déclenché par inadvertance des explosifs destinés à détruire un tunnel du Hamas, n’est que le dernier d’une longue série de terribles accidents auto-infligés – une conséquence presque inévitable de ce type de guerre urbaine, mais le genre de perte tragique qui ne fait qu’exacerber la douleur.

On nous dit que la moitié des 24 bataillons du Hamas ne sont plus opérationnels et qu’un tiers de ses terroristes sont morts. Cependant, les combats à Khan Younès, où, comme beaucoup semblent le penser, Yahya Sinwar et ses collègues à la tête du Hamas se cacheraient, apparemment entourés d’une partie des otages, ne font que commencer. Par ailleurs, la manière dont Israël envisage de s’attaquer au Hamas dans la zone densément peuplée de Rafah, au sud de la bande de Gaza, n’est pas non plus très claire, pas plus que la manière dont ses dirigeants entendent collaborer avec l’Égypte, pour empêcher les dirigeants du Hamas de fuir Gaza, voire d’emmener des otages avec eux, ou pour empêcher le Hamas de se réarmer à travers cette frontière, par le biais de tunnels ou par tout autre moyen.

Tsahal et les dirigeants israéliens ne cessent de répéter que la guerre se poursuivra tout au long de l’année 2024, avec des niveaux d’intensité et de déploiement de forces terrestres variables. La quasi-totalité de la communauté internationale, et la majeure partie de l’opinion publique mondiale, appellent à un cessez-le-feu depuis le début de la riposte israélienne. Jeudi, l’Afrique du Sud a intenté une action en justice, s’appuyant sur les propos scandaleux et préjudiciables de nombreux membres du gouvernement israélien, pour que la Cour internationale de justice (CIJ) lance une procédure afin de tenter d’imposer un tel cessez-le-feu.

Et seuls les États-Unis continuent à faire obstacle aux pressions exercées pour instaurer un cessez-le-feu, tout en fournissant à Israël les moyens pratiques, c’est-à-dire des armes, pour poursuivre la campagne.

Un entrepôt du Hamas où étaient fabriquées des roquettes à Bureij, dans le centre de Gaza, le 8 janvier 2024. (Crédit : Emanuel Fabian/Times of Israel)

Des alliés discordants

Les États-Unis n’ont pas pour autant donné carte blanche à Israël.

Lors de son voyage dans le pays, quelques jours seulement après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre, alors que la sauvagerie des atrocités commises par les terroristes dans leur exaltation à tuer des Juifs n’avait pas encore été pleinement assimilée, le président américain Joe Biden s’est engagé à soutenir Israël pour toujours et à « faire tout ce qui est en notre pouvoir » pour s’assurer que le pays « redevienne un endroit sûr pour le peuple juif ». Dans ce même discours du 18 octobre, Joe Biden avait également exhorté Israël à ne pas se laisser « consumer » par la rage ressentie. Les décisions d’Israël en temps de guerre, comme toutes les décisions en temps de guerre, avait-il averti, devront être mûrement réfléchies, et il faudra poser des questions difficiles, « clarifier les objectifs et évaluer honnêtement si le chemin emprunté permettra d’atteindre ces objectifs ».

Apostrophé par des protestataires dans une église, lundi, qui réclamaient un « cessez-le-feu immédiat », Biden a répondu spontanément : « Je travaille discrètement sur la question du cessez-le-feu avec le gouvernement israélien pour l’amener à réduire et à quitter de manière significative Gaza ». Lui seul connaît le sens précis de cette construction ambivalente, mais il ne s’agissait certainement pas d’une approbation sonnante et trébuchante de la nature de la campagne en cours menée par Tsahal.

Le président américain Joe Biden à l’église Mother Emanuel AME à Charleston, en Caroline du Sud, le 8 janvier 2024, où neuf fidèles ont été tués dans une fusillade de masse perpétrée par un suprémaciste blanc en 2015. (Crédit : AP Photo/Mic Smith)

Joe Biden a exprimé à maintes reprises son soutien sincère à Israël et a partagé, presque aussi souvent, ses divergences avec le premier ministre Benjamin Netanyahu. Il a déclaré le mois dernier lors d’une réception de campagne à la Maison Blanche : « Bibi et moi parlons beaucoup. Je le connais depuis 50 ans. Certains d’entre vous savent qu’il a une photo sur son bureau… sur laquelle j’ai écrit : ‘Bibi, je vous aime, mais je ne suis totalement pas d’accord avec un seul des satanés trucs que vous avez à dire.’ Et je ne le suis toujours pas. C’est un bon ami, mais je pense qu’il doit changer et… avec ce gouvernement. Le gouvernement israélien lui rend la tâche très difficile. »

Et comme l’a indiqué assez clairement le secrétaire d’État Antony Blinken lors de sa conférence de presse à Tel Aviv mardi soir, la patience de l’administration à l’égard des dirigeants israéliens s’épuise, et sa conviction que la coalition intransigeante gère mal la guerre et nuit aux intérêts à long terme d’Israël est de plus en plus marquée.

Le chef du bureau d’Al Jazeera à Gaza, Wael Al-Dahdouh, étreint sa fille et tient la main de son fils lors des funérailles de son fils Hamza Wael Dahdouh, un journaliste d’Al Jazeera qui a été tué lors d’une frappe aérienne israélienne à Rafah dans la bande de Gaza, le 7 janvier 2024. Tsahal avait dans un premier temps déclaré que Hamza Wael Dahdouh et un journaliste indépendant, Mustafa Thuria, voyageaient dans un véhicule avec un agent terroriste opérant un drone. Plus tard, l’armée a déclaré qu’ils utilisaient un drone dans une zone de guerre et qu’ils ont cru qu’il s’agissait de terroristes. (Crédit : AFP)

Comme lors de ses précédentes visites, Blinken a déclaré en public que Tsahal avait causé un nombre inutilement élevé de victimes civiles, tout en reconnaissant les difficultés liées à la lutte contre une armée terroriste qui se cache derrière des non-combattants et qui tire depuis des mosquées et des écoles. « Le bilan quotidien des victimes civiles à Gaza, en particulier les enfants, est beaucoup trop élevé », a indiqué Blinken, alors que le département d’État a rapporté qu’il avait dit à Netanyahu, lors de leur précédente rencontre, d’éviter « davantage de dommages civils » – une exigence qui, si elle était satisfaite, rendrait la guerre impossible à mener pour Israël.

Il a néanmoins estimé qu’Israël avait « fait des progrès significatifs » dans la réalisation de ce qu’il a appelé son « objectif fondamental », à savoir « faire en sorte que le 7 octobre ne puisse jamais se répéter ». Et, après avoir déclaré aux dirigeants israéliens, lors d’une visite fin novembre, qu’Israël ne disposait probablement pas de plusieurs mois pour achever sa campagne militaire, il n’a pas semblé indiquer que les États-Unis avaient fixé une date butoir ou un calendrier pour la guerre.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite), rencontrant le secrétaire d’État américain Antony Blinken, au quartier général militaire de la Kirya, à Tel Aviv, le 9 janvier 2024. (Crédit : Kobi Gideon/GPO)

Blinken a cependant exposé, question après question, des positions profondément et parfois fondamentalement opposées à celles de Netanyahu et/ou d’un grand nombre de ses ministres.

Il a quasiment accusé le gouvernement de vol au sujet de son refus de transférer à l’AP toutes les recettes fiscales qu’Israël perçoit au nom de l’AP, sommes que le ministre des Finances Bezalel Smotrich refuse de remettre, en partie à cause des paiements effectués par l’AP à des terroristes et à leurs familles : « C’est leur revenu », a affirmé Blinken en parlant de l’AP, « ils devraient en disposer ».

Alors que Netanyahu insiste à assimiler AP et le Hamas comme ennemis jurés d’Israël déterminés à le détruire, le secrétaire d’État a salué les forces de sécurité de l’AP pour leur travail visant à « essayer de maintenir la paix, la sécurité et la stabilité en Cisjordanie – ce qui est dans l’intérêt fondamental d’Israël ».

Alors que le ministère des Affaires étrangères israélien aurait élaboré un plan visant à évincer l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) de Gaza, en raison de son hostilité à l’égard d’Israël et de sa coopération présumée avec le Hamas, Blinken a évoqué le « rôle indispensable de l’ONU pour répondre aux immenses besoins humanitaires de Gaza », avant d’ajouter avec insistance : « Il n’y a tout simplement pas d’autre solution. »

Au cours de ses réunions, Blinken a indiqué que ses hôtes israéliens et lui-même se sont mis d’accord sur un nouveau plan dans le cadre duquel les Nations unies mèneront « une mission d’évaluation » afin de déterminer ce qui doit être fait pour « permettre aux Palestiniens déplacés de rentrer chez eux en toute sécurité dans le nord ». On peut imaginer à quel point Netanyahu aurait été réticent à approuver une telle « mission », et comprendre pourquoi les deux hommes ont choisi de ne pas faire de déclaration publique commune et pourquoi le cabinet du Premier ministre n’a même pas fourni de compte-rendu de leurs entretiens.

Blinken a longuement décrit la stratégie de l’administration Biden pour garantir la pérennité d’Israël, une stratégie totalement opposée à l’approche de Netanyahu.

Il a également cherché à faire pression sur au moins une partie de la coalition en rejetant explicitement tout appel à la réinstallation des habitants de Gaza en dehors de la bande de Gaza et a déclaré que Netanyahu avait insisté sur le fait que ce n’était pas la politique d’Israël. Il a également parlé de « collaborer avec Israël pour trouver une solution diplomatique qui permette d’éviter une escalade dans le nord », tentant ainsi d’apaiser ceux qui, au sein des dirigeants israéliens, prônent une offensive militaire forte contre le Hezbollah.

Mais surtout, Blinken a longuement décrit la stratégie de l’administration Biden pour garantir la pérennité d’Israël, une stratégie totalement opposée à l’approche de Netanyahu.

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, rencontre le dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, à Ramallah, en Cisjordanie, le 10 janvier 2024. (Crédit : Jaafar Ashtiyeh/AP)

Le Premier ministre est farouchement opposé à la création d’un État palestinien et, jusqu’au 6 octobre, il a défendu une stratégie de normalisation des relations avec les pays de la région, en affirmant que cela obligerait fatalement les Palestiniens à se rendre compte qu’ils sont laissés pour compte, à revoir leurs exigences à la baisse et à trouver un terrain d’entente. Blinken a exprimé sa conviction, qui est aussi celle du gouvernement américain, que cela ne pouvait pas fonctionner et que cela n’avait manifestement pas fonctionné jusqu’à présent.

Ce passage de son discours vaut la peine d’être repris dans son intégralité, tant sa position est définitive et contraire à celle de la coalition au pouvoir en Israël et de son Premier ministre :

« Enfin, nous continuons à discuter de la manière de construire une paix et une sécurité plus durables pour Israël dans la région. Comme je l’ai dit au Premier ministre, tous les alliés régionaux que j’ai rencontrés au cours de ce voyage se sont dits prêts à soutenir une solution durable qui mette fin au long cycle de violence et garantisse la sécurité d’Israël. Mais ils ont souligné que cela ne pouvait se faire que dpar le biais d’une ‘approche régionale intégrée qui inclut la voie vers un État palestinien’ », a affirmé Blinken.

« Ces objectifs sont réalisables, mais seulement s’ils sont poursuivis ensemble. Cette crise a montré que l’un ne va pas sans l’autre et qu’il est impossible d’atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs sans une approche régionale intégrée. Pour que cela soit possible, Israël doit agir comme un partenaire des dirigeants palestiniens qui sont disposés à ce que leur peuple vive côte à côte dans la paix avec Israël et en tant que voisins. Et Israël doit cesser de prendre des mesures qui compromettent la capacité des Palestiniens à se gouverner efficacement. »

Ces écarts extrêmes dans les approches – entre le gouvernement israélien le plus intransigeant de tous les temps et une administration américaine dont le soutien diplomatique et pratique est essentiel à la capacité d’Israël de démanteler le Hamas – sont aujourd’hui exposés au grand jour. Et elles semblent parfaitement irréconciliables, juste au moment, comme le dit Blinken, « où les enjeux sont les plus élevés, où les choix sont les plus importants ».

Des partisans des mouvements Fatah et Hamas brandissent des drapeaux lors d’une marche dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, le 11 octobre 2023. (Crédit : HAZEM BADER / AFP)

Pour Blinken, cette « crise a clairement démontré » qu’il ne peut y avoir de paix et de sécurité pour Israël sans un horizon diplomatique palestinien et éventuellement la création d’un État palestinien. Pour Netanyahu et son gouvernement, elle a démontré le contraire absolu – que l’hostilité des Palestiniens à l’égard d’Israël est absolue, insatiable et encore plus monstrueuse que ce qu’ils avaient imaginé.

Une grande partie de la communauté internationale semble indifférente, voire pire, à la nécessité pour Israël de vivre en paix et en sécurité. Et une grande partie de la population israélienne, bien que rebutée par son gouvernement, n’a probablement jamais été aussi loin de souhaiter un partenariat avec les Palestiniens.

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