Disparition de l’avocat qui déposa la première plainte contre Maurice Papon
Avocat, mais aussi écrivain Gérard Boulanger a consacré plusieurs ouvrages au procès Papon, et aux figures de Jean Zay et Pierre Mendès France
L’avocat bordelais Gérard Boulanger, militant des droits de l’homme, initiateur et acteur phare du procès de Maurice Papon pour complicité de crime contre l’humanité il y a plus de 20 ans, est décédé vendredi 8 juin à 69 ans des suites d’un cancer, a-t-on appris samedi auprès du barreau de Bordeaux.
Gérard Boulanger, avait été en 1981 l’avocat qui déposa les toutes premières plaintes contre Maurice Papon, ex-ministre du Budget de Valéry Giscard d’Estaing, grand serviteur de l’Etat pendant des décennies en tant que préfet, maire, député, ministre. Et qui avait été à Bordeaux secrétaire général de la préfecture de Gironde pendant l’occupation allemande.
Il fallut 15 ans de procédure pour renvoyer Maurice Papon devant les assises de la Gironde pour la déportation de 1 690 Juifs de Bordeaux, un procès hors normes de six mois où Gérard défendit 27 des parties civiles, soit la majorité. Le 2 avril 1998, Maurice Papon était condamné à 10 ans de réclusion criminelle.
Le barreau de Bordeaux, par son bâtonnier Jérôme Dirou a salué samedi auprès de l’AFP la mémoire d’un « grand avocat et d’un grand homme », qui lors du procès Papon a fait preuve « de ténacité, de courage, et d’intelligence », bien qu’ayant pris « énormément de coups », pour au final voir « la gloire (du procès) partagée avec beaucoup d’autres », arrivés plus tard dans la procédure.
Il avait été à l'origine du procès Papon à Bordeaux : Gérard Boulanger est mort https://t.co/CKEyYs593n
— Simone Gaboriau (@GaboriauSimone) June 8, 2018
Outre ce dossier auquel il aura consacré près de 20 ans de sa vie – et trois livres -, Me Boulanger était aussi un militant des droits de l’homme, qui plaida dans de nombreux dossiers de droit d’asile et d’étrangers en situation irrégulière, et présida la Ligue des droits de l’Homme en Gironde, siégeant à la direction nationale de la LDH.
Il y a quelques mois il décrivait pourquoi le procès Papon n’aurait pas pu se tenir à un autre moment : « Avant les années 1980 ce procès n’était pas possible. Il a fallu plusieurs choses importantes : l’émoi en 1971 après la grâce accordée à l’ex-milicien Paul Touvier (par Pompidou), l’indignation en 1978 aux propos de l’ex-Commissaire aux questions juives Darquier de Pellepoix (« A Auschwitz on n’a gazé que des poux »), et aussi une certaine volonté politique (pour faire extrader Klaus Barbie de Bolivie en 1983). Mais Barbie, le procès d’un nazi, d’un Allemand, d’un tortionnaire, ça ne gênait personne en France. Touvier, c’était un petit chef milicien, un antisémite. Mais Papon ? Un Français, haut fonctionnaire, préfet, député, ministre… On demandait à l’Etat de condamner l’Etat. Et à cela, l’opinion n’était pas prête ».
La LDH a salué en lui « un avocat et militant intraitable des droits de l’Homme », dont la « détermination à ce que justice soit rendue aux victimes de M. Papon a permis une victoire des droits sur l’oubli ».
Gérard Boulanger, qui fut aussi élu régional d’Aquitaine (sous l’étiquette Front de Gauche), et écrivain-historien, auteur notamment de livres sur le ministre assassiné de Léon Blum, Jean Zay, ou sur « Le juif Mendès-France », était un aussi un avocat « moderne » dans sa communication, a rappelé le bâtonnier.
Il était « un avocat médiatique, non au sens pas médiatique pour lui, comme peuvent l’être certains, mais médiatique pour les causes qu’il défendait », a déclaré Me Dirou, se remémorant une des formules de son combatif confrère sur certains dossiers : « Je vais faire un référé médiatique ! »
Pour autant son regard sur l’époque actuelle n’était pas dénuée d’un certain pessimisme : « Même s’il reste de la mémoire, expliquait-il en octobre dernier, on vit une drôle d’époque où un événement chasse l’autre. Et je serais curieux de voir une enquête sur ‘Qu’évoque pour vous le nom de Papon ?’ J’aurais peur d’être déçu ».