Émeutes de Tel Aviv : Les commerçants déplorent les dégâts causés à leurs magasins
Un affrontement entre émeutiers érythréens a plongé certaines victimes collatérales dans le désespoir quant aux perspectives d'avenir dans le sud de la ville côtière
Le dimanche, Noam et Shaul Levy arrivent normalement à l’aube pour ouvrir leur restaurant à temps pour le petit-déjeuner des clients des nombreux bureaux du sud de Tel Aviv.
Mais ce dimanche n’était pas comme les autres.
La façade en verre de leur restaurant, Bechor & Shoshi, a volé en éclats lors des longs affrontements survenus la veille entre Érythréens et policiers, ainsi qu’entre partisans et opposants au régime érythréen. La police a lutté, en vain, des heures durant pour tenter de maîtriser une rixe qui a finalement dégénéré en émeute.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Le quartier où se trouve le restaurant, une partie tendue de la ville, est connu des habitants sous le nom de « Little Asmara », en raison des nombreux Érythréens qui y vivent.
« Nous avons ouvert il y a 20 ans parce que nous croyions au potentiel de cet endroit », a déclaré Noam Levy au Times of Israel, alors qu’il empilait les tessons d’une façade dont l’installation avait coûté environ 70 000 shekels et qui n’est que partiellement assurée.
« Mais cela devient de plus en plus difficile chaque année. Nous allons peut-être vendre et quitter le quartier », a déclaré Levy, dont le restaurant est spécialisé dans la cuisine libyenne. « Peut-être que nous quitterons ce pays fou ». Il a qualifié les émeutes de « pogroms », mais a refusé de donner son avis sur la direction que devrait prendre la politique d’immigration d’Israël.
Pour certains habitants et commerçants du sud de Tel Aviv, ces affrontements sont la dernière manifestation d’une crise de l’immigration – qu’ils attribuent à la négligence des autorités – qui gâche le potentiel de la région à devenir l’une des plus cotées du Moyen-Orient.
Pour certains Érythréens, la violence était une éruption inhabituelle née d’une coalition politique éphémère.
Les émeutes ont transformé Yad Harutzim, une rue tranquille où se trouvent plusieurs restaurants, en une véritable zone de guerre. Les images des affrontements ont montré des centaines de personnes se battant, se lançant des pierres et des chaises, tandis que les policiers, dont certains étaient à cheval, semblaient impuissants face à une telle violence.
Dans plusieurs cafés, des panneaux de verre ont volé en éclats et des morceaux de pierre jonchent les sièges. La salle de spectacle où la rixe a éclaté présentait des traces d’incendies et, à l’extérieur du restaurant de Levy, un scooter endommagé – que les émeutiers avaient utilisé pour briser la façade – était appuyé sur un tronc d’arbre défoncé.
Levy s’est précipité sur les lieux dès qu’il a entendu la nouvelle, mais il était trop tard pour arrêter les dégâts. L’un de ses employés, un immigrant érythréen nommé Tanum, est à l’hôpital pour une blessure à la tête qu’il a subie en essayant de protéger le restaurant des émeutiers. Les Levy vont surveiller leur commerce jusqu’à ce qu’une nouvelle vitrine soit installée.
« Toute cette affaire est marginale, ce n’est même pas quelque chose dont nous, Erythréens, nous soucions au quotidien », a déclaré Johnny Ranemaskal, un employé de restaurant de 32 ans qui est arrivé illégalement en Israël en 2011. « C’est un noyau dur de personnes pro-gouvernement et anti-gouvernement qui se sont battues. »
Comme de nombreux Érythréens interrogés dans le cadre de cet article, Ranemaskal a refusé de dire quelle était sa position sur le conflit ou de se faire prendre en photo. Mais il a donné quelques indications. « L’Érythrée est une dictature militaire. C’est horrible là-bas. Maintenant, l’ambassade veut organiser un événement pour dire que tout va bien en Érythrée », a-t-il déclaré.
Des témoins des émeutes ont déclaré que des centaines de personnes portant des chemises bleues se sont opposées aux participants et aux organisateurs – dont beaucoup portaient des tee-shirts rouges et jaunes – d’un événement culturel organisé par l’ambassade d’Érythrée en Israël et qui, selon le groupe vêtu de bleu, soutenait le régime du président Isaias Afwerki.
Ranemaskal a ajouté qu’il ne considérait pas cet affrontement comme un conflit idéologique sur ce qui se passe en Érythrée, mais plutôt comme un différend entre les Érythréens vivant en Israël sur des faits qui pourraient compromettre leur statut semi-officiel de réfugié dans ce pays. S’ils disent que tout va bien en Érythrée, tout le monde en Israël demandera : « Pourquoi les Érythréens ne retournent-ils pas en Érythrée ? »
« Nous ne voulons pas y retourner et nous ne voulons pas que les Israéliens pensent qu’il est normal de nous y renvoyer », a-t-il déclaré.
Des dizaines de personnes ont été hospitalisées, certaines dans un état critique, à la suite des affrontements. Une cinquantaine de policiers ont été blessés et certains d’entre eux, craignant pour leur vie, ont ouvert le feu sur les manifestants.
Il s’agit de loin de la pire éruption de violence depuis des années de la part des Érythréens, qui étaient arrivés à pied par milliers, avec les migrants soudanais, avant l’achèvement en 2013 d’une solide barrière le long de la frontière israélo-égyptienne.
Sur les quelque 18 000 Érythréens qui vivraient en Israël depuis le début de la vague d’émigration clandestine dans les années 2000, seule une cinquantaine ont obtenu le statut de réfugié.
Les détracteurs de la politique d’immigration israélienne à l’égard des Érythréens la qualifient de discriminatoire et d’inhumaine. Les défenseurs de cette politique affirment qu’elle est juridiquement conforme au principe du « premier pays d’asile » des Nations unies – les Érythréens traversent généralement le Soudan et l’Égypte pour se rendre en Israël – et qu’elle est moralement fondée sur l’existence d’Israël en tant que foyer national pour les Juifs.
Mais pour la quasi-totalité des Érythréens vivant en Israël, la situation se résume à vivre dans les limbes. Ils peuvent travailler, bénéficier d’une assurance médicale de base, s’inscrire en tant que résidents dans les municipalités et inscrire leurs enfants dans les écoles publiques. Mais ils ne sont pas citoyens et ne peuvent pas non plus se soumettre à un processus de naturalisation, et ils peuvent, en conséquence, être expulsés.
Les Israéliens vivant dans le sud de Tel Aviv, qui était déjà un quartier pauvre avant que les Érythréens ne commencent à s’y installer, disent se sentir abandonnés par les autorités et terrorisés par une population composée de nombreux hommes célibataires.
La Cour suprême et les précédents gouvernements dirigés par le Premier ministre Benjamin Netanyahu se sont opposés sur les tentatives du gouvernement de rapatrier, d’expulser et d’encourager l’émigration des Érythréens. La Cour est intervenue à quatre reprises, annulant des pratiques qu’elle jugeait trop restrictives et contraires aux droits de l’Homme des immigrants.
En 2018, Netanyahu a annulé un accord conclu avec le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies visant à faciliter l’émigration d’environ 16 000 Érythréens, pour la plupart des hommes célibataires, en échange de la réglementation du séjour de 16 000 autres, principalement des personnes mariées. Netanyahu avait annoncé ce plan, mais l’avait presque immédiatement retiré de la table suite aux pressions exercées par les activistes anti-immigration et par le futur Premier ministre Naftali Bennett, qui, en tant que ministre de l’Éducation sous Netanyahu à l’époque, avait déclaré qu’il s’agissait d’un dangereux précédent.
Netanyahu a déclaré, à la suite des émeutes de samedi, qu’elles constituaient « un franchissement inacceptable d’une ligne rouge », ajoutant qu’il demandait l’expulsion de la cinquantaine d’émeutiers placés en garde à vue.
« J’ai du mal à voir quel problème nous aurions avec ceux qui se déclarent partisans du régime, car ils ne peuvent certainement pas prétendre être des réfugiés », a écrit Netanyahu sur X – anciennement Twitter. Il a également indiqué qu’il avait réuni une équipe ministérielle chargée d’élaborer « un plan complet et actualisé pour expulser tous ceux qui restent illégalement en Israël ».
Le gouvernement offre une subvention de plus de 3 000 dollars aux Érythréens qui acceptent de repartir. Selon le média Ynet, environ 1 900 Érythréens ont accepté l’argent et sont partis cette année.
Avi Lozar, propriétaire d’un magasin de vêtements situé dans la rue Yad Harutzim, a tenu la Cour suprême responsable de la dure réalité du sud de Tel Aviv, où de nombreux parcs sont devenus des lieux de rencontre pour les toxicomanes, dont des Africains.
« C’est la Cour suprême qui est responsable. Ne vous en prenez pas à la police, qui a été débordée par une situation qui a rapidement dégénéré, ni aux juridictions inférieures. C’est la Cour suprême qui empêche de trouver une solution à ce problème d’immigration », a-t-il déclaré.
ASSAF, une organisation à but non lucratif qui défend les droits des immigrants en Israël, a salué les décisions de la Cour suprême sur l’immigration en provenance d’Afrique, affirmant qu’elles confirmaient que « les réfugiés et les demandeurs d’asile sont une partie indissociable de la société, avec un droit à la vie dans la dignité, à la sécurité, à l’appartenance et à l’égalité en Israël ».
Eli Mualem, 61 ans, propriétaire d’une imprimerie située rue Yad Harutzim, a qualifié les émeutes « d’éruption de colère qui a peut-être été présentée comme un conflit interne, mais qui est en réalité le résultat de frustrations liées à la façon dont ils vivent ici ». Les émeutes, a-t-il ajouté, sont nées d’une « combinaison de malheurs qui sont remontés à la surface ».
Mualem attribue la violence aux « extrémistes érythréens ». Mais il est optimiste. « La situation est certes délicate, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’une minuscule communauté largement pacifique », a-t-il déclaré à propos des Érythréens.
« Il ne faut pas s’emballer. Avec les bonnes mesures d’incitation – et de dissuasion – ils trouveront leur place parmi nous. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel