En Israël pour renverser les leaders : Il faut d’abord ériger leurs statues
Israël a peu de statues officielles de ses leaders mais les artistes et les militants - qui renversent plutôt qu'ils ne célèbrent leurs sujets - commencent à compenser cela
JTA — Israël s’est récemment doté de deux nouvelles statues représentant des leaders politiques : Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et la magistrate à la Cour suprême Miriam Naor.
Toutefois, ces deux statues ont été abattues dans les heures qui ont suivi. Et pour les créateurs, cela faisait partie de l’enjeu.
Israël possède peu de statues officielles de ses dirigeants – ou de qui que ce soit pour cette raison. Les statues de Naor et de Netanyahu n’avaient pas été érigées par le gouvernement mais par des artistes et des militants qui cherchaient davantage à renverser qu’à célébrer leurs sujets.
Les deux statues se présentaient comme des répliques dorées presque grandeur nature de la personnalité qu’elles représentaient, posées sur un piédestal blanc. Elles avaient toutes deux été placées dans des endroits publics évocateurs.
Néanmoins, leurs créateurs avaient des agendas très différents.
Jeudi, des militants de droite ont placé la statue de Naor aux abords de la Cour suprême. Les membres de l’organisation ‘Mode de vie’, un groupe pro-implantations qui prône une législation basée sur la loi juive, et les activistes de ‘Ville hébraïque’, un groupe qui s’oppose aux migrants africains vivant dans le sud de Tel Aviv, ont expliqué que la statue entrait dans le cadre d’une campagne dénonçant « la dictature de la Haute cour ».
Les militants s’étaient indignés d’un jugement rendu par la Cour suprême selon lequel le gouvernement ne pouvait incarcérer pour une période indéterminée les migrants clandestins refusant l’expulsion. Tandis que la cour a autorisé le gouvernement a continuer les expulsions, les cinq magistrats ont reconnu à l’unanimité que l’Etat ne pouvait placer en détention les migrants qui ne consentent pas à l’expulsion plus de 60 jours.
La ministre de la Justice du parti HaBayit Hayehudi a alors critiqué les juges pour ne pas avoir pris en considération « la préservation d’une majorité juive ». La vice-ministre aux Affaires étrangères Tzipi Hotovely du parti de droite du Likud au pouvoir a elle aussi accusé la cour d’avoir abandonné les valeurs juives en faveur des droits démocratiques.
La police a brièvement placé en détention un certain nombre d’activistes impliqués dans l’installation de la statue mais elle a rapidement estimé qu’aucun crime n’avait été commis. Les employés municipaux l’ont renversée deux jjours plus tard.
L’un des militants a indiqué à la Dixième chaîne israélienne que la statue avait été inspirée par une autre de Netanyahu, qui avait été dressée place Rabin à Tel Aviv au mois de décembre dernier. L’artiste qui en était l’auteur, Itay Zaliat, avait déclaré qu’il cherchait à tester la liberté d’expression et à amener les Israéliens à parler de leur gouvernement.
« Les Israéliens sont devenus stupides. Ils ne réfléchissent pas », a déclaré Zaliat. « Je voulais tendre un miroir pour permettre aux gens de s’arrêter, de penser, de parler entre eux, ce qui est très exactement arrivé avec la statue ».
A l’époque, la plupart des observateurs avaient compris que la statue venait dénigrer le Premier ministre – pour le meilleur ou pour le pire. Un passant aurait accusé Zaliat de « chercher à détruire le pays » tandis que d’autres avaient crié : « Bravo ! Bravo ! »
La ministre de la Culture Miri Regev du Likud avait écrit sur Faceoobk que la statue était de « l’art déconnecté, dont l’aspect semblable au veau d’or traduit la haine à l’encontre de Netanyahu ».
La municipalité de Tel Aviv avait donné une date-limite à Zaliat pour le retrait de la statue, qui avait été finalement renversée par un inconnu.
Zaliat a expliqué qu’il s’attendait à ce que la statue connaisse ce sort, même s’il n’avait pas soutenu son retrait. L’art public est une forme légitime d’expression, a-t-il estimé, peu importe le message qu’il tente de transmettre. Pour lui, cela comprend autant la statue de Naor que les monuments datant de la guerre de Sécession, dont la signification et la destinée font actuellement l’objet d’un débat vif aux Etats-Unis.
« Ce qu’ils tentent de dire ne m’intéresse pas vraiment », a-t-il confié. « Laissons tranquilles ces statues ».
Israël possède environ 2 900 monuments officiels, soit environ un tous les huit kilomètres carrés environ. Mais très peu d’entre eux représentent des leaders ou même des personnalités.
« Les Israéliens ont tendance à être mal à l’aise avec les statues de leurs chefs », explique Maoz Azaryahu, chercheur à l’université de Haïfa, qui étudie les monuments. « Ils les considèrent comme des représentations du veau d’or ».
Azaryahu souligne que quelques exceptions viennent confirmer la règle. La statue du Premier ministre David Ben-Gurion à l’aéroport de Tel Aviv n’est qu’un buste, comme c’est le cas également de celle du Premier ministre Yitzhak Rabin à proximité du site de son assassinat à Tel Aviv. La statue du sioniste britannique Alfred Mond dans la ville qu’il avait fondée, Tel Mond, est une représentation abstraite. Et celle du diplomate suédois Raoul Wallenberg, qui a sauvé des dizaines de milliers de Juifs durant l’Holocauste, qui trône au nord de Tel Aviv, est une réplique.
Bien plus communs en Israël sont des monuments comme le mémorial de l’Holocauste de la place Rabin, qui est formé de deux pyramides en métal liées l’une à l’autre. Azaryahu affirme que c’est en partie parce qu’Israël a été fondé après la Deuxième guerre mondiale, lorsque l’art abstrait était à la mode. Mais il explique également que les responsables ont apprécié ce style, qui leur est paru conforme à la tradition juive.
Contrairement à Zaliat, David Stav, un rabbin orthodoxe important au sein de cette communauté, déclare que les Israéliens sont « très, très intelligents » en ce qui concerne leurs chefs. Il explique que leur réticence à les représenter est ancrée dans l’interdiction juive de l’idolâtrie. Aujourd’hui, dit-il, c’est également un scepticisme plus général face aux personnalités qui paraît s’exprimer.
« La tradition juive n’encourage pas à admirer les individus, mais plutôt les idéaux », dit-il, notant que la Torah garde manifestement le silence sur le lieu du tombeau de Moïse. « Directement et indirectement, cela affecte la société israélienne, et cela nous fait finalement peur d’élever les personnalités et de faire des statues les représentant ».
Azaryahu partage le même point de vue. Il indique que la culture politique « anarchique » d’Israël rend difficile l’émergence de héros, sans même parler pour eux de durer dans le temps suffisamment longtemps pour avoir leur statue. Même des héros anciens comme Ben-Gourion ou le ministre de la Défense Moshe Dayan ont été finalement « démolis », selon lui.
« Il n’y a pas de culte du héros en Israël, comme dans la tradition romaine ou plus tard, en Europe ou en Amérique », dit Azaryahu. « Pour que quelqu’un soit ultimement représenté par une statue, il doit être ancré dans le mythe et nous n’avons pas cela ici. La famille est trop petite ».
« Les gens disent : ‘Allez, ne nous prenez pas de haut. On vous connaît. OK ? On se détend », ajoute-t-il en riant.
Naor et Netanyahu, qui tous deux se sont trouvés aux plus hauts niveaux du gouvernement au cours de la dernière décennie et plus, font l’objet actuellement d’une pression publique de plus en plus importante. Les manifestations hebdomadaires organisées aux abords de l’habitation du procureur-général demandant qu’il accélère deux enquêtes de corruption qui impliquent Netanyahu n’ont cessé de prendre de l’importance. Et récemment, 100 résidents environ du sud de Tel Aviv se sont réunis devant l’habitation de Naor à Jérusalem pour protester contre ce qu’ils ont qualifié d’inaction du tribunal sur la question de l’expulsion des migrants.
Naor prendra sa retraite de la Cour suprême le mois prochain, lorsqu’elle aura atteint 70 ans, l’âge obligatoire de la retraite. Il n’y a pas de limite similaire au mandat d’un Premier ministre en Israël.