Espoirs et craintes des habitants de Kiryat Shmona menacés par le Hezbollah
Seuls quelques commerces sont encore ouverts pour les 8% de la population restés dans la ville ; les autres ont suivi les ordres d'évacuation du gouvernement qui craint une escalade
Au cœur du centre commercial désert qui borde la gare routière centrale de Kiryat Shmona, une jeep de l’armée s’arrête et ses passagers hurlent devant la porte ouverte d’une boulangerie.
« Désolé les gars, nous sommes fermés », a répondu dimanche Avi Yosef-Hay, le propriétaire, au conducteur et au passager déçus, deux réservistes des forces spéciales qui rêvaient d’apporter des brioches fraîchement cuites à leur unité, en garnison dans une école voisine.
Suite à la décision du gouvernement, ce week-end, d’évacuer la ville pour la première fois depuis 1993, en raison du risque d’escalade des combats avec le groupe terroriste Hezbollah, basé au Liban, Yosef-Hay fait partie des 2 000 habitants qui n’ont pas quitté la ville du nord, qui compte normalement 23 000 habitants. Les lanceurs de roquettes et de mortiers du groupe terroriste sont situés à seulement 2,5 kilomètres de Kiryat Shmona.
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La transformation de la ville en cité fantôme a fourni à Yosef-Hai, 67 ans, une bonne occasion de travailler en dehors de ses heures de travail habituelles : en l’absence de sa clientèle habituelle, il a fait venir un fumigateur.
« Toute guerre est toujours traumatisante. Pendant des années après, vous tressaillez à chaque détonation », explique Yosef-Hai, qui vit ici depuis 33 ans. Il se trouvait déjà dans la ville lors de la deuxième guerre du Liban en 2006, durant laquelle des milliers de roquettes du Hezbollah ont frappé Kiryat Shmona et les environs.
Ses cinq enfants et sa femme ont été évacués, mais lui est resté, par principe. « Je ne bouge pas quand l’ennemi est à la porte », dit Yosef-Hay.
Cette attitude courageuse, imprégnée mais non influencée par la dure réalité de la guerre, est caractéristique de ceux qui ont choisi de rester dans cette ville frontalière meurtrie. Les problèmes de sécurité ont souvent entravé – mais jamais inversé – sa lente ascension pour sortir de la pauvreté et de l’abandon qui l’ont caractérisée au cours de ses premières dizaines d’années d’existence.
Cette évacuation est de loin la plus importante opération logistique menée dans le nord du pays au cours de ce cycle d’hostilités, et la deuxième plus importante à ce jour depuis le lancement de la campagne militaire « Epées de fer » le 7 octobre, lorsque quelque 2 500 terroristes du Hamas ont tué environ 1 400 Israéliens au cours d’un assaut transfrontalier d’une brutalité inouïe.
Au début du mois, Sderot, une ville de 27 000 habitants située près de la bande de Gaza, a été évacuée en raison de tirs de roquettes, tout comme des milliers d’habitants des kibboutzim et moshavim voisins.
De nombreux habitants d’Ofakim, de Netivot et d’Ashkelon ont également quitté leur ville, alors que l’armée israélienne commençait à bombarder des cibles du Hamas dans la bande de Gaza, en préparation du lancement d’une offensive terrestre.
Et au même moment, des échanges de tirs meurtriers ont eu lieu dans le nord, et au moins trois roquettes ont frappé Kiryat Shmona. L’évacuation de cette ville a commencé samedi, signe pour beaucoup qu’Israël s’attend à une escalade majeure dans le nord. Les habitants ont été transportés par bus vers des hôtels du centre et du sud, dans un climat de profonde désorganisation, de problèmes logistiques et de stress pour les personnes évacuées.
Choisir de rester
« Entre ça et les roquettes, je choisis la seconde option », confie Leah Menashe, 62 ans. « Je n’ai pas envie de devenir une réfugiée, je préfère rester ici ».
Michael, le fils unique de Menashe, une mère célibataire, était bébé pendant la deuxième guerre du Liban. Pendant les tirs de roquettes, Menashe l’emmenait dans la salle de bains de son petit appartement, car c’est la pièce la plus sûre, dit-elle. « Je mettais de l’eau pour masquer les bruits de la guerre, mais il se rendait compte que quelque chose n’allait pas », se souvient-elle.
Malgré les ordres d’évacuation, Tal Eitan, une jeune lycéenne de 18 ans, a décidé de rester avec sa mère, Nataly, 45 ans, qui a fait son alyah dans les années 1990 depuis ce qui est aujourd’hui la Lituanie. « Nous avons eu une longue discussion. Maman voulait partir à l’étranger, mais moi je ne voulais pas, parce que je n’étais pas à l’aise avec cette idée, j’aurais eu l’impression de m’enfuir. Et tant qu’à rester, autant le faire dans le confort de sa propre maison », explique la jeune fille de 18 ans, sur un ton enjoué, devant le seul bureau de tabac ouvert du quartier, où elle est venue acheter des cigarettes pour sa mère.
Eitan était bébé pendant la deuxième guerre du Liban et elle n’en a aucun souvenir. Sa sœur aînée, elle, s’en souvient, mais cela ne l’effraie pas. Cette dernière, qui ne vit plus à Kiryat Shmona en temps normal, fait partie de la poignée de civils qui sont venus du centre vers la ville agitée, pour être avec sa mère et sa sœur. « Si la situation venait vraiment à dégénérer, je pense que nous partirions, mais pour l’instant, tout va assez bien ici », explique Tal, qui profite de cette période pour préparer ses examens de fin d’études.
Yosef-Hai, un habitué des offices à la synagogue, s’apprêtait à prier seul cette semaine. « Toutes les synagogues ont fermé. Il n’y a plus de minyan », a-t-il déclaré, en référence au quorum de dix hommes juifs requis pour certaines prières par les orthodoxes.
Des scènes surréalistes
L’un des commerces ouverts dimanche était le restaurant de hamburgers d’Asaf Mamane, Maman Bros. Il est resté ouvert un jour de plus avant de fermer définitivement, mais son dernier jour de travail a été difficile.
Mamane, 30 ans, n’avait que deux employés et peu de légumes. Les soldats, ravis de trouver un restaurant ouvert, l’ont bombardé de commandes par téléphone, tandis qu’il peinait à prendre celles des quelques clients sur place.
Et malgré toute cette effervescence, et les commandes passées par les soldats, le restaurant a tout juste pu justifier son ouverture, les recettes ne compensant pas la perte de chiffre d’affaires due à l’absence de civils. « Je suis resté ouvert pour trois raisons : pour avoir quelque chose à faire, pour donner du travail à mes employés qui n’ont pas peur de venir travailler et pour nourrir les soldats », a expliqué Mamane. Sa femme et ses deux jeunes enfants sont partis à Tibériade, et il les rejoindra dès qu’il aura fermé boutique.
Même si la quasi-totalité des habitants sont partis, les horaires des transports publics n’ont pas été modifiés, ce qui a donné lieu à une scène surréaliste à la gare routière centrale, où des bus vides arrivaient et repartaient avec la précision d’un horloger suisse.
Certains retardataires ont profité des bus pour Tel Aviv pour battre en retraite tardivement. « Nous étions déjà partis dimanche, mais l’hôtel qu’ils nous avaient réservé n’acceptait pas les animaux, alors nous avons dû revenir », raconte Yafim Grinberg, un octogénaire qui a fait son immigration en Israël il y a dix ans, avec sa femme Sveta et ses deux chiens aujourd’hui âgés, qui étaient alors des chiots. Un gros pistolet sur la hanche, il soupire en attendant le bus.
Des scènes insolites dans un Kiryat Shmona désert
Alors que Menashe discutait avec un journaliste du Times of Israel, un paquet de Pringles en main, une unité des forces spéciales en équipement tactique a surgi derrière elle, prenant position à l’extérieur de l’école élémentaire que son fils a fréquenté. Les soldats étaient en train de perfectionner leurs aptitudes en matière de combat en zone urbaine.
Elle les a salués avec décontraction et leur a demandé s’ils avaient trouvé des supérettes ouvertes où elle pourrait acheter du lait. Un soldat a répondu qu’il ne savait pas, et Menashe a répondu : « Ce n’est pas grave, je boirai mon café noir pendant quelques jours ».
Ces exercices montrent que l’armée a tiré les leçons de l’incursion du 7 octobre et se prépare à une autre incursion des troupes du Hezbollah. Kiryat Shmona a déjà connu de telles attaques. En 1974, des terroristes palestiniens ont assassiné 18 personnes lors d’une attaque de moindre envergure, mais dont le mode opératoire était similaire à celui du Hamas. La première cible des terroristes était l’école élémentaire de Menashe, nommée en l’honneur de l’éducateur Janusz Korczak, une célèbre victime de la Shoah. Heureusement, l’attentat ayant eu lieu pendant les vacances de Pessah l’école était vide.
Comme la plupart des maisons de Kiryat Shmona, l’appartement des Menashe ne dispose pas de chambre sécurisée. Lorsque les sirènes retentissent, annonçant le lancement d’une roquette, elle se rend dans l’abri commun de son immeuble, une structure brutaliste croulante de quatre étages. « Cela ne me dérange pas, j’ai grandi avec les roquettes Katyusha », dit-elle.
Une ville en transition
La plus grande partie de Kiryat Shmona est couverte de bâtiments de ce type, construits à la hâte entre les années 1950 et 1990, lorsque la ville a servi de centre d’absorption aux vagues d’immigrants juifs sans le sou en provenance à la fois de l’ancien bloc communiste d’Europe de l’Est et des pays arabes.
Pendant des décennies, Kiryat Shmona a été l’une des villes les plus pauvres d’Israël, ses difficultés socio-économiques soulignées par le contraste avec les kibboutzim et moshavim prospères qui l’entourent. Mais depuis quelques années, la ville a réussi une transition majeure, grâce à la croissance et à l’arrivée d’établissements d’enseignement supérieur, de parcs de haute technologie ainsi que d’un important projet d’investissement gouvernemental de 125 millions de dollars.
Kiryat Shmona a récemment enregistré une croissance démographique positive et se situe largement au-dessus de la moyenne nationale en terme de dépenses municipales par habitant et par étudiant. Même les rendements des investissements immobiliers sont supérieurs à la moyenne nationale.
Cette évolution se reflète dans le paysage urbain. En 2019, la municipalité a achevé l’un des projets les plus impressionnants de réaménagement écologique d’Israël, avec l’inauguration du parc HaZahav, une zone de loisirs où coule un ruisseau d’eau douce qui, pendant des décennies, avait été détourné pour l’alimentation en eau potable.
Jusqu’aux évacuations, ce parc, niché au pied de l’imposante chaîne de montagnes Naftali, attirait des centaines de familles et contribuait à redorer le blason d’une ville connue surtout pour ses constructions fades et grises.
Lors d’une visite dans le nord dimanche, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a averti le Hezbollah que s’il intensifiait ses attaques contre le nord d’Israël, au cours desquelles plusieurs soldats israéliens ont été tués et qui ont suscité des représailles meurtrières, « nous le frapperons avec une force qu’il ne peut pas imaginer, avec des conséquences dévastatrices pour lui et pour le Liban. »
Pour Yosef-Hai, qui possède plusieurs commerces en ville, l’enjeu est de taille pour Kiryat Shmona. « Je suis prêt à affronter tout ce qui arrivera. J’espère juste que cela ne nous fera pas régresser en tant que communauté », a-t-il déclaré.
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