Ghajar, un village israélien situé à la frontière libanaise sort de l’oubli (absolu)
Le village, récemment ouvert par Tsahal, attire depuis l'automne dernier de nombreux touristes heureux de découvrir ce lieu longtemps coupé du reste du pays
GHAJAR, Israël (JTA) – Une quarantaine de touristes font halte chez Khateb Sweets, en ce dimanche après-midi, apportant de l’animation – et des recettes – à ce qui était jusqu’alors un café on ne peut plus tranquille dans un village tout aussi paisible du plateau du Golan.
Ils repartent après avoir dégusté des pâtisseries et du thé chaud au gingembre, à l’anis et à la cannelle, croisant un couple juif israélien, puis une famille arabe israélienne et enfin trois Canadiens.
Les nombreux piétons qui, depuis l’automne dernier, déambulent dans cette communauté de 2 900 âmes, presque tous alaouites (un des courants islamiques) a de quoi frapper les esprits.
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Ghajar (prononcé RA-zhar) a en effet été coupé du reste d’Israël pendant fort longtemps.
Les habitants pouvaient se déplacer librement, mais les personnes extérieures devaient obtenir l’accord préalable de l’armée israélienne, qui considérait le village comme situé dans une zone militaire d’exclusion, limitrophe du Liban, de la Galilée et du plateau du Golan.
La levée des restrictions par Tsahal, sans explication, le 8 septembre dernier s’est immédiatement traduite par un afflux de touristes, heureux de découvrir Ghajar.
A quel point le changement a été immédiat ?
Ahmad Khateb, pâtissier propriétaire du café éponyme, travaillait ce jour-là comme consultant dans un hôtel de la ville de Safed, en Galilée, lorsque son employé l’a appelé pour lui signaler un nombre inhabituel de clients étrangers.
Le lendemain matin, Khateb abandonnait sa mission à Safed pour se consacrer à plein temps à son café.
Pas moins de 4 000 personnes se seraient rendues à Ghajar le jour de l’ouverture de la ville, estime-t-il, rejointes par 6 000 autres dès le lendemain, triplant temporairement la population de la ville.
Dès le troisième jour, un samedi, Ghajar avait aménagé un terrain de football pour en faire un parking.
« C’est complètement inattendu, un cadeau du ciel », confie Khateb à propos de l’ouverture du village et de l’augmentation de ses ventes. Il envisage aujourd’hui d’ouvrir de nouveaux points de vente.
Ghajar a, pour les Israéliens, des airs de Cité interdite : ils voyagent en effet beaucoup dans leur propre pays parce qu’il leur faut sinon prendre l’avion pour se rendre ailleurs.
« Vous savez pourquoi nous sommes venus ici ? Parce qu’il n’y a pas beaucoup d’endroits [en Israël] que nous ne connaissons pas », explique Shmuel Browns, guide touristique de Jérusalem qui accompagne son frère et sa belle-sœur, venus de Toronto, où lui-même est né.
« Nous voulions voir par nous-mêmes ce que ce village a d’unique. »
Ce village est en effet l’unique communauté d’alaouites en Israël, issue d’une ethnie minoritaire en Syrie qui a donné au pays les dirigeants de ces 52 dernières années, à savoir l’actuel dictateur Bachar al-Assad et son défunt père, Hafez.
Bilal Khatib, qui est comptable et porte-parole de Ghajar, explique que les Alaouites sont dans l’ensemble des laïcs respectueux d’autrui et des autres religions. Ghajar n’a d’ailleurs pas de mosquée et les gens prient chez eux.
« C’est notre mode de vie », ajoute Khatib.
« Ce qui nous intéresse, ce sont les personnes. Nous les respectons en tant que tel. Notre religion commande d’être de bonnes personnes, d’aimer notre prochain et de ne nourrir de haine contre personne, qu’il soit druze, juif, chrétien ou circassien. »
Mais ce qui déroute le plus les visiteurs est l’origine de Ghajar, à propos de laquelle beaucoup d’informations inexactes circulent.
« Ghajar faisait partie du Liban, non ? », demande le couple israélien à Khateb, au café.
Non, leur répond-il.
C’est ainsi que commence invariablement la brève leçon d’histoire que les habitants racontent aux touristes, l’histoire de ce village d’à peine un demi kilomètre carré. (Les champs en périphérie de Ghajar couvrent, eux, près de 13 kilomètres carrés, sur lesquels le village prévoit de se développer.)
Israël a pris le plateau du Golan, y compris Ghajar, à la Syrie lors de la guerre des Six Jours, en 1967, et l’a officiellement annexé en 1981.
Lorsqu’Israël a mis fin aux hostilités avec le Liban en 2000, après 18 ans de combats, les Nations unies ont officialisé le retrait de Tsahal et établi la frontière entre les deux pays au niveau de Ghajar.
Israël a annoncé plus tard son intention de se retirer derrière la ligne de l’ONU, ce qui aurait eu pour effet de diviser le village en deux parties, nord et sud. Les habitants s’y sont opposés, préférant rester sous souveraineté israélienne plutôt que d’être divisés. En fin de compte, Israël n’a pas érigé de séparation à l’intérieur du village.
« C’est un vrai casse-tête », confie Jamal Khatib, professeur d’éducation physique de l’unique lycée du village, à propos de l’histoire des lieux.
Orna Mizrahi, analyste à l’Institut d’études sur la sécurité nationale de Tel Aviv, est d’accord avec cette analyse.
En sa qualité de membre du Conseil national de sécurité, elle avait parlé de Ghajar au Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, lors de ce qui s’est avéré être son tout dernier Conseil des ministres, quelques heures un accident vasculaire cérébral qui l’a diminué puis emporté, en 2006.
S’agissant des raisons pour lesquelles Tsahal a récemment décidé d’ouvrir la ville, Mizrahi évoque l’achèvement d’une barrière de sécurité autour de Ghajar, ainsi qu’un moindre niveau de menaces d’attaques transfrontalières de la part du Hezbollah, lié à l’accord frontalier maritime, conclu l’an dernier entre Israël et le Liban, qui suppose des autorités libanaises qu’elles luttent contre le Hezbollah.
« La situation sur le plan sécuritaire est bien différente. La situation au Liban est elle-même bien différente », assure-t-elle.
La raison exacte pour laquelle les Nations unies ont associé la ville au Liban, alors même que la plupart de ses habitants appartiennent à une communauté religieuse syrienne, sème la confusion chez les touristes venus visiter les lieux.
Sur la carte syrienne de 1965 que Bilal Khatib a imprimée, Ghajar apparait comme une enclave située au Liban, à l’exception d’un étroit ruban qui la relie au territoire syrien proprement dit.
Bilal Khatib (sans lien de parenté avec Jamal Khatib ou Ahmad Khateb), qui vit dans la partie nord, assure qu’il ne voudrait pas être séparé de sa sœur, qui vit au sud de la ligne de démarcation de l’ONU de 2000.
Cette ligne, connue sous le nom de Ligne bleue, « divise les familles », dit-il. « Alors que nous devons rester ensemble. »
En pratique, cette ligne n’existe que sur les cartes et n’a aucun impact sur la vie des habitants de Ghajar, qui sont entièrement sous souveraineté israélienne.
Les habitants de Ghajar se considèrent comme des Syriens avec la nationalité israélienne. Ils forment une population particulièrement brillante : selon Jamal Khatib, 400 habitants ont un diplôme universitaire, ce qui en fait une ville beaucoup plus instruite, en moyenne, que les autres villes arabes israéliennes. Il assure qu’il y a 50 médecins, 30 avocats, 27 dentistes et deux professeurs, dont la plupart font la navette pour aller travailler en Galilée.
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Jusqu’au début de la guerre civile syrienne, en 2011, les habitants de Ghajar traversaient légalement la frontière, à Qouneitra, pour aller étudier dans des universités syriennes, ajoute-t-il.
« Il n’y a aucune profession qui ne soit pas représentée ici », dit-il.
Politiquement, Ghajar se distingue par son soutien à des partis majoritairement juifs. Lors des dernières élections, le parti centriste de Benny Gantz y a recueilli 24 % des 555 suffrages exprimés, le parti arabe Raam n’obtenant que 14 % des voix. Les suffrages restants sont allés à d’autres partis juifs, dont le parti orthodoxe haredi Shas.
Ghajar met l’accent sur la qualité de vie.
Les fontaines, parcs et sculptures abondent, l’aménagement paysager et les façades des bâtiments sont colorés et aucun déchet n’est visible. Les maisons sont grandes et bien entretenues, tout autant que dans les quartiers haut de gamme ailleurs en Israël.
Motos et klaxons sont interdits. Les touristes ne sont pas autorisés entre 20 heures et 8 heures du matin, précise Jamal Khatib, ajoutant que Ghajar interdit de longue date les hôtels et bed and breakfast, et n’a pas l’intention de changer de politique en la matière.
Certains touristes jettent des déchets sur le sol et urinent dans la rue. Il est même arrivé que certains entrent chez les habitants sans frapper, regrette-t-il.
« Il y a un an, on n’aurait jamais vu une chose pareille », dit son fils, Ryad, qui coordonne les bénévoles de Ghajar, en gérant notamment la circulation les jours de fort afflux touristique.
Contrairement à d’autres petites villes d’Israël, Ghajar a son propre service d’assainissement. La dépense est importante, mais les touristes peuvent voir le nom de Ghajar sur un camion à ordures, ce qui donne à la ville un statut tout particulier.
« Nous ne le faisons pas pour vous, mais pour nous », précise Jamal Khatib à propos de la qualité de vie du village.
« Je suis heureux que les gens viennent, mais il faut qu’ils respectent les règles et notre vie privée. »
Ghajar est un exemple de respect et de tolérance.
Les panneaux de signalisation et devantures des magasins sont écrits en hébreu et en arabe. Dans le Parc de la Paix, on trouve une statue de la Vierge Marie, une sculpture d’un Coran ouvert, une épée alaouite stylisée et une menorah.
« Vous et moi croyons en un seul Dieu », précise Jamal Khatib.
« Vos actes disent qui vous êtes. »
Quelques instants plus tard, on entend un âne braire depuis l’arrière de la boutique, tandis que le regard s’arrête sur des centaines de moutons et que l’appel à la prière se fait entendre depuis la mosquée d’Aarab el Louaizeh, village libanais situé à une centaine de mètres.
Dans un ravin en contrebas, des soldats des Nations unies et de l’armée libanaise sont sortis, chacun de leur côté.
Les soldats de l’ONU sont montés à bord de deux véhicules et ont commencé à patrouille sur la frontière, comme ils le font deux fois par jour.
On trouve, le long de la route frontalière, la rivière Hatzbani, où Khatib pêchait lorsqu’il était enfant.
À la limite de sa propriété, une clôture, au nord de Ghajar, est presque terminée.
Mais cette clôture n’est pas là pour séparer les gens ou délimiter une frontière : elle sert à empêcher les sangliers, chacals et porcs-épics de venir dans le village, explique Khatib, qui reçoit une notification sur son téléphone.
« Cela me dit qu’il y a des vaches sur la route », dit-il. « Il fait nuit. Soyez prudent. »
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