Gouverneur de Tulkarem : « J’aurais pu m’attaquer aux groupes armés, Israël ne m’a pas laissé faire »
Pour Abdallah Kmeil, Israël veut maintenir l'Autorité palestinienne - à laquelle il appartient - en état de faiblesse ; il ne condamne pas le pogrom du 7 octobre, notant toutefois qu'il@ veut la paix dorénavant

TULKAREM, Cisjordanie – Le général de division Abdallah Kmeil explique qu’il a insisté auprès d’Israël sur sa capacité à contenir les groupes armés locaux – ajoutant qu’il lui a été répondu que l’Opération mur de fer, une campagne militaire entrant dans le cadre de la lutte antiterroriste qui a été lancée à la fin du mois de janvier en Cisjordanie, se poursuivrait même s’il « devait les arrêter tous ».
Lors d’un entretien accordé au Times of Israel, assis dans son bureau de la capitale du gouvernorat de Tulkarem, au nord-ouest de la Cisjordanie – une région qui compte 173 000 habitants – le gouverneur en titre assure que les raids menés par Tsahal sont « le résultat d’une décision politique » qui n’a « aucun lien avec d’éventuelles préoccupations en matière de sécurité ».
Une évaluation « faussée » et « incorrecte », selon les responsables de l’armée israélienne.
L’opération Mur de fer a été lancée quarante-huit heures après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, le 19 janvier. Les soldats se sont initialement rendus à Jénine, une ville du nord de la Cisjordanie qui est largement considérée comme un bastion du terrorisme palestinien, avant de se déployer dans les camps de réfugiés qui sont situés aux abords de Tulkarem et ailleurs.
Kmeil, le plus haut responsable de l’Autorité palestinienne (AP) dans la région de Tulkarem, qui est chef des forces de sécurité de l’AP, affirme que le Premier ministre Benjamin Netanyahu répond aux pressions de sa coalition de la ligne dure en menant une campagne d’une agressivité sans précédent depuis plusieurs décennies en Cisjordanie.
Les groupes terroristes armés qui se sont formés dans les camps de réfugiés de Cisjordanie, au cours des dernières années, ont commis des attentats et planifié des attaques plus importantes contre des civils et contre des soldats israéliens, reconnaît Kmeil, mais selon lui, ces groupes représentent une menace plus importante pour l’AP que pour Israël.
Accusant Israël d’avoir délibérément affaibli l’AP au fil des années, Kmeil déclare que « Netanyahu transférait 30 millions de dollars par mois au Hamas [le rival de l’Autorité Palestinienne] » – une référence apparente au financement, par le Qatar, du groupe terroriste de Gaza, des entrées de liquidités qui avaient été approuvées par le Premier ministre et les États-Unis.
« Israël veut une Autorité palestinienne qui soit faible », dit-il. « Une Autorité palestinienne forte, cela signifie que c’est elle qui a la responsabilité de l’ordre public et qu’Israël n’a pas besoin de s’introduire dans ces secteurs ».

La quasi-totalité du court mandat de Kmeil au poste de gouverneur de Tulkarem a été marquée par la campagne militaire lancée par Tsahal. Même s’il avait brièvement occupé cette fonction il y a onze ans, Kmeil avait été limogé par Mahmoud Abbas, le président de l’AP, moins d’un an plus tard. Il avait été ensuite nommé au poste de gouverneur de Salfit pendant six ans, occupant également des fonctions diverses dans les institutions de l’AP. Il a pris la tête du gouvernorat de Tulkarem le 7 janvier, nommé par Abbas.
Deux semaines plus tard, l’armée israélienne lançait l’Opération mur de fer.
« Je viens d’arriver et je commence à prendre le contrôle des choses », déclare Kmeil. « De nombreux individus qui étaient recherchés se sont rendus. Les Israéliens eux-mêmes m’ont dit, par l’intermédiaire du bureau de coordination du district, que [le lancement de l’opération de l’armée] était une décision politique, pas une décision liée à la sécurité. Le bureau de coordination du district leur a bien dit que le gouverneur allait prendre les choses en main et qu’il y avait des solutions, mais ils ont répondu que même si tous les membres des groupes armés étaient arrêtés par l’AP, les soldats continueraient d’entrer dans la ville », note-t-il.
Rejetant ces propos, des sources militaires font savoir que « Tsahal a mené des dizaines d’opérations sur la base d’évaluations de la situation opérationnelle dans le but de déjouer le terrorisme », ajoutant que l’armée « continuera à agir contre les infrastructures terroristes qui sont destinées à porter atteinte à l’État d’Israël ».

Selon les médias palestiniens, treize personnes ont été tuées lors de l’opération menée dans la région de Tulkarem – dont une femme enceinte qui aurait été abattue alors qu’elle tentait de quitter le camp de Nur Shams.
Le bureau du porte-parole de Tsahal a annoncé que « suite à cet incident, une enquête a été ouverte par la police militaire. Naturellement, il n’est pas possible de donner des détails sur une enquête en cours ».
« Est-ce que c’est source de fierté d’ouvrir le feu sur une femme enceinte de huit mois ? Est-ce que c’est du terrorisme ? Était-elle votre ennemie ? », s’interroge Kmeil.
Le gouverneur évite de condamner le Hamas pour le pogrom commis le 7 octobre 2023 – lors de cette attaque sanglante, des hommes armés placés sous la direction du groupe terroriste avaient massacré plus de 1 200 personnes, des civils en majorité, dans le sud d’Israël et ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage dans la bande de Gaza.
« L’existence même de l’occupation est responsable de l’extrémisme ; l’occupation mène à l’extrémisme. La société israélienne a glissé à droite et vers l’extrémisme, et le résultat en est le conflit », dit-il.
Il indique toutefois qu’il considère la paix comme « la seule solution entre nous et les Israéliens. Soit il y aura un État ici – pour les Israéliens et pour les Palestiniens – soit il y aura deux États. D’après mes informations, Israël est prêt à respecter la résolution 181 [le plan de partage de la Palestine établi par les Nations unies en 1947] et à ne pas s’orienter vers la solution à un État, de sorte qu’il ne reste qu’une seule solution : la création d’un État palestinien. »
« Du côté palestinien, il y avait plus d’extrémisme dans le passé – nous étions tous extrémistes. J’ai été emprisonné en Israël et nous ne pensions pas qu’il pourrait y avoir la paix avec Israël. Mais la situation a changé et les gens changent, eux aussi », fait-il remarquer.
Kmeil avait été incarcéré en Israël pendant plusieurs années dans les années 1980 – il était alors adolescent – en raison de son implication dans des attentats terroristes anti-israéliens qui avaient été commis pour le compte du Fatah.
Des évacuations sans précédent
Dans le cadre de l’opération militaire, ce sont 25 000 personnes qui vivaient dans les camps de réfugiés situés à proximité de Tulkarem qui ont été déplacées pour la première fois depuis que les soldats israéliens mènent des opérations en Cisjordanie. Un grand nombre ont désormais trouvé un refuge dans les villages voisins, dans les écoles et dans les mosquées de Tulkarem même.
Le Times of Israel a, par ailleurs, l’occasion de s’entretenir avec Marwan Abu al-Kbash, qui vivait dans le camp de réfugiés de Tulkarem depuis plus de trois décennies. Il a été obligé de partir quand l’opération a commencé. Lui et sa famille se sont installés, depuis, dans un centre sportif de la ville de Tulkarem.

« Il y a cinquante jours, ils sont venus – ils étaient 45 soldats – pour nous dire de quitter la maison », raconte-t-il. « J’ai dit au soldat : ‘Donnez-moi cinq minutes, il y a des enfants ici. Ma famille est constituée de 24 personnes, dont huit enfants en bas âge. Laissez-moi prendre quelques affaires’. Il m’a répondu : ‘Partez sur le champ’. Nous avons passé la nuit chez des gens, à Tulkarem. Plus tard, il y a eu un post, sur Facebook, qui disait que les déplacés pouvaient venir ici, et nous sommes restés ici depuis ».
Abu al-Kbash, qui était brocanteur, rencontre aujourd’hui des difficultés financières.
« Avant tout ça, je n’avais pas d’hypertension, pas de diabète. Mais maintenant, comment est-ce que je peux aller voir quelqu’un pour lui dire que j’ai besoin de 50 shekels ? Je n’ai jamais eu à dire une telle chose de toute ma vie », s’exclame-t-il.

Interrogé sur les groupes armés qui contrôlent le camp, il répond : « Ce sont des gamins de 15 ou 16 ans. L’Autorité palestinienne devrait les prendre en charge et leur donner du travail. Ces jeunes se demandent comment ils vont pouvoir subvenir à leurs besoins. Alors ils prennent les armes parce qu’ils sont en colère. Ils n’ont pas de travail. Et quelqu’un va leur offrir 10 000 shekels pour ouvrir le feu. Cela n’a rien à voir avec le combat national, c’est une question purement économique. Si les Juifs leur donnaient des permis de travail pour traverser la frontière, les problèmes seraient résolus ».
Il s’oppose également à l’opération menée par Tsahal : « Si mon fils fait quelque chose de mal, c’est l’Autorité palestinienne qui doit l’arrêter et l’emmener, ce ne sont pas les Juifs ».
Umm Ibrahim, qui habitait le camp de Nur Shams, a également été évacuée. Peu avant de partir, elle a affronté un groupe d’hommes armés, les interpellant avec fureur.
« Je leur ai dit : ‘Vous pensez que vous allez libérer la Palestine de cette façon ?’, » se souvient-elle.
Aujourd’hui, sa seule préoccupation est de savoir quand elle pourra enfin rentrer chez elle. Elle vit actuellement à Kufr Abush, un village situé à environ 20 minutes de route de Tulkarem, près de Qalqilya.
L’armée a démenti avoir émis des ordres d’évacuation en direction des résidents de la Cisjordanie. Elle affirme que les troupes assurent le départ, en toute sécurité, de ceux qui veulent quitter le secteur de leur propre chef.

Faisal Slame, le vice-gouverneur de Tulkarem, qui est responsable des personnes déplacées, dit au Times of Israel que « Israël a détruit les camps ».
« Il est impossible d’y retourner maintenant – il faudra du temps pour reconstruire. Il n’y a plus d’électricité, plus d’eau, il n’y a plus d’infrastructures. De nombreuses maisons ont été détruites », confie-t-il.
« Israël ne nous a pas donné l’occasion de nous occuper nous-mêmes des groupes armés », estime Slame. « L’Autorité palestinienne est prête à entrer dans les camps et à rétablir l’ordre, mais Israël ne nous a pas donné cette chance – Israël n’a pas voulu le faire ».
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