Herzog doit menacer de démissionner si la coalition adopte la réforme judiciaire
Le président israélien a averti que les Israéliens affrontent une crise "qui pourrait nous détruire tous" ; il devra se positionner face aux projets déterminés de la coalition
Peu après la toute première présentation, par le ministre de la Justice Yariv Levin, de son plan de refonte du système judiciaire, au début du mois et peu après les tout premiers rassemblements en masse des Israéliens devant la résidence officielle d’Isaac Herzog à Jérusalem, il avait été demandé au président s’il avait l’intention d’intervenir face à un projet qui s’apparentait à un réel danger pour les fondements de la démocratie d’Israël.
Il avait hésité.
« Je ne peux pas prendre position », avait déclaré le président en évoquant le caractère généralement non-partisan de son rôle, qui reste largement cérémonial. « Mon pouvoir s’exprime dans le travail que je fais en coulisse ».
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Mardi, après trois semaines de ce travail effectué à l’abri des regards, trois semaines pendant lesquelles il a conservé ce positionnement flou, le ton de Herzog a changé de manière spectaculaire. Même s’il n’a pas dénoncé le projet de Levin de façon explicite, il a affirmé que les choses allaient trop vite, à un rythme dangereux, et qu’elles faisaient naître une anxiété justifiée concernant l’avenir du pays.
« Les fondations démocratiques d’Israël et notamment le système judiciaire, les droits de l’Homme et les libertés sont sacrées et nous devons les protéger et protéger les valeurs exprimées dans la déclaration d’Indépendance », a déclaré Herzog lors d’une intervention à la conférence sur l’éducation d’Ashmoret à Tel Aviv.
« Une réforme radicale, exécutée rapidement et sans négociation, ne peut que déchaîner l’opposition et susciter de profondes inquiétudes au sein de la population », a-t-il déclaré. « Je vois les deux camps, étalés sur toute la ligne de front, prêts à une confrontation généralisée sur la nature de l’État d’Israël, et je suis inquiet de voir que nous sommes au bord d’une crise interne qui pourrait nous détruire tous ».
Les propos du président reflètent probablement ses impressions acquises lors de réunions à huis-clos avec Levin et avec d’autres membres de premier plan de la coalition. Il ne peut pas y avoir de compromis, lui ont-ils sûrement dit. Et en effet, le Premier ministre Benjamin Netanyahu et Levin sont déterminés à ne pas céder sur les éléments qui sont à la base de l’enveloppe de réforme : entre autres, paralyser la capacité de la Haute-cour à réexaminer des lois et des décisions gouvernementales ; accorder au gouvernement le contrôle total de la sélection des juges et permettre aux ministres de nommer leurs propres conseillers juridiques au lieu de faire appel à ceux qui travaillent sous les auspices du ministère de la Santé.
A l’origine de cette détermination, le fait que chacun de ces éléments aurait un effet, qu’il soit direct ou indirect, sur la poursuite du procès pour corruption de Netanyahu – un sujet sur lequel la coalition ne fera aucun compromis. En fait, le député d’extrême-droite Simcha Rothman (Hatzionout HaDatit), qui préside la Commission de la Constitution, du droit et de la Justice, a l’intention de présenter une version encore plus extrême du plan, avec pour objectif de la faire adopter au Parlement en l’espace de deux mois.
Herzog découvrira rapidement que cette refonte judiciaire avance à un rythme plus rapide et plus intense qu’il ne le craignait. Les partenaires d’extrême-droite et ultra-orthodoxes de Netanyahu portent le projet avec ténacité, chacun ayant ses propres raisons.
Les ultra-orthodoxes honnissent la Cour suprême en raison de ses jugements qu’ils considèrent comme trop libéraux et parce qu’elle a rejeté, depuis des années, leurs efforts visant à ancrer dans la loi les larges exemptions de service militaire des jeunes haredim qui étudient en yeshiva, les juges estimant que cette exemption est discriminatoire et que chacun doit porter le « fardeau ». Il y a aussi une forte animosité personnelle nourrie par les haredim à l’encontre des magistrats de la plus haute instance judiciaire du pays qui ont invalidé, la semaine dernière, la nomination au cabinet du chef du Shas, Aryeh Deri, en raison de ses multiples condamnations pour corruption.
A l’extrême-droite du gouvernement, de leur côté, les députés sont enclins à vouloir empêcher la Cour d’intervenir dans les activités liées au mouvement pro-implantations, ordonnant, entre autres, l’évacuation des avant-postes érigés sur des terres appartenant à des Palestiniens en Cisjordanie.
Herzog est le seul à pouvoir contrer ce qu’il a finalement reconnu comme une catastrophe imminente. Mais s’il veut agir, le président, qui a vivement recommandé un dialogue qui débouchera in fine sur rien, doit cesser de se cacher derrière des intimidations timides en adoptant un positionnement de principe ferme.
Dans son discours prononcé mardi, il a fait part de sa vision du 80e anniversaire de l’État d’Israël qui aura lieu en 2028, appelant à ce que la résidence du président puisse servir « d’espace protégé pour régler les différends et pour combler les failles » dans le cadre de la crise. Il a aussi révélé un projet d’établissement d’un centre éducatif qui visera à renforcer la coexistence ainsi que la mise en place d’un espace réservé aux discussions discrètes sur des sujets déterminants. Ce sont de bonnes choses, incontestablement – mais elles sont hors-sujet aujourd’hui.
Selon le commentateur politique vétéran Hannan Crystal, « Herzog ne peut obtenir aucune concession de la part de Netanyahu et de Levin – peut-être seulement quelques agorot. S’il réussit à obtenir ce qui correspondrait à un billet, il gagnerait alors le Prix Israël ».
L’anxiété et la prudence de Herzog sont compréhensibles. « Un président ne peut pas se permettre de paraître stupide », avait-il déclaré à une occasion, faisant allusion à certaines initiatives manquées de son prédécesseur, Reuven Rivlin. Herzog ne veut pas échouer et devenir – comme cela avait été le cas de Rivlin avant lui – la cible d’innombrables attaques de la droite.
Mais il n’aura finalement pas le choix.
« C’est une urgence », a-t-il estimé dans son discours de mardi alors qu’il implorait les responsables politiques et judiciaires de tenter de trouver un compromis. Mais quand un pays est assailli par une urgence, il faut agir pour le sauver. Ce qui signifie, pour Herzog – s’il a vraiment la conviction que le système de gouvernement démocratique est en train de glisser vers un autoritarisme dangereux – qu’il doit faire preuve de fermeté et menacer de démissionner si Netanyahu ne cède pas.
Il n’est pas nécessaire que cette menace soit rendue publique dans un premier temps. Elle peut être lancée dans des conversations privées avec le Premier ministre, en toute discrétion. Elle peut aussi être précédée par un refus de signer des lois – une initiative symbolique, mais significative. Et il peut également y avoir d’autres mesures de protestation qu’un président est susceptible d’adopter avant qu’il ne soit plus possible d’arrêter le train fou de la réforme judiciaire.
Il y a un précédent d’une telle initiative dans l’Histoire d’Israël. En 1982, le président de l’époque, Yitzhak Navon, avait menacé de démissionner si le gouvernement ne mettait pas en place une commission d’enquête nationale sur le massacre de Sabra et Shatila qui avait été perpétré par des alliés de l’État juif, au sud Liban. Finalement, le Premier ministre Menahem Begin avait cédé et il avait nommé la commission, avec de vrais pouvoirs, qui devait faire tomber le ministre de la Défense de l’époque, Ariel Sharon.
Quarante années se sont depuis écoulées et le défi que doit aujourd’hui relever le président n’est pas moins historique, et peut-être plus critique encore, que celui qui avait entraîné la menace efficace de Navon – une menace qui, avec le recul, avait porté ses fruits.
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