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Hitler a tué le yiddish. Des intellectuels tentent d’en ranimer la culture

110 ans après le premier symposium de yiddish, des universitaires se sont réunis en Ukraine pour préserver une langue dont la moitié des locuteurs ont péri durant la Shoah

Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël

  • Un groupe d'étudiants hassidiques visitent la synagogue et la tombe du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l'ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    Un groupe d'étudiants hassidiques visitent la synagogue et la tombe du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l'ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
  • L'échoppe d'un peintre juif Jsak Eisikowicz à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    L'échoppe d'un peintre juif Jsak Eisikowicz à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
  • Le président du Congrès juif mondial Robert Singer à la Conférence commémorative internationale de la langue et de la culture juive, à Chernivtsi, en Ukraine, le 10 août 2018. (Crédit: Congrès juif mondial)
    Le président du Congrès juif mondial Robert Singer à la Conférence commémorative internationale de la langue et de la culture juive, à Chernivtsi, en Ukraine, le 10 août 2018. (Crédit: Congrès juif mondial)
  • La synagogue du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l'ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    La synagogue du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l'ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
  • Vue sur Chernivtsi, où était situé un ghetto avant la Seconde guerre mondiale. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    Vue sur Chernivtsi, où était situé un ghetto avant la Seconde guerre mondiale. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
  • Un cimetière juif à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    Un cimetière juif à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
  • Une fresque conservée au plafond d'une synagogue devenue atelier d’ébénisterie à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)
    Une fresque conservée au plafond d'une synagogue devenue atelier d’ébénisterie à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

CHERNIVTSI, Ukraine – Dans le lobby élégant quoiqu’un peu défraîchi de l’hôtel Bukovyna, un groupe d’hommes à la chevelure grisonnante et aux tenues d’intellectuels excentriques, discutent en yiddish tout en sirotant leur verre de cognac.

Ce collectif ne représentait qu’une poignée de la centaine d’intellectuels, de sympathisants et de défenseurs de la communauté juive venus de 12 pays du monde entier, qui se sont rassemblés au début du mois d’août à l’occasion de la Conférence commémorative internationale de la langue et de la culture juive en Ukraine.

Du 5 au 12 août, la conférence a rendu hommage à la première conférence internationale du yiddish à Chernivtsi – appelée Chernovitz  en yiddish, qui a eu lieu il y a 110 ans, presque jour pour jour.

A l’époque, le symposium de 1908 représentait l’optimisme du mouvement yiddishiste. Réunis pour transformer un dialecte provincial vieux de 1 000 ans en une langue littéraire moderne, les participants à la première conférence sur le yiddish ignoraient que quelques décennies plus tard, la plupart des locuteurs natifs allaient mourir pendant la Shoah.

L’avènement de l’hébreu comme langue juive universelle a potentiellement été le coup fatal à cette langue ancienne, qui mourrait à petit feu.

La Conférence commémorative internationale de la langue et de la culture juive, à l’université de Chernivtsi, en Ukraine, le 10 août 2018. (Crédit: Congrès juif mondial)

Aujourd’hui, le yiddish est une langue en voie de disparition. Elle n’est parlée exclusivement que par un groupe reclus d’ultra-orthodoxes, principalement des hassidim.

La conférence de cette année visait à entretenir une renaissance du yiddish. L’intérêt pour cette langue est croissant, de la part de Juifs qui cherchent à renouer avec leur Histoire, mais également de la part de non-Juifs fascinés la richesse culturelle de la langue.

Mordehay Yushkovsky, directeur académique du Centre yiddish international du Congrès juif mondial à Vilnius, en Lituanie, l’un des coparrains de la conférence, aux côtés de l’Ukrainian Jewish Encounter, a confié au Times of Israel que bien que son centre ne cherche pas à faire revivre le yiddish écrit et parlé, il y a énormément de choses à apprendre de cette langue.

« Notre objectif est de préserver la culture yiddish, la littérature, le folklore, le théâtre, le cinéma, l’humour. C’est ça le principal », a expliqué Yushkovsky.

« Le yiddish peut-être, et c’est le plus souvent le cas, appris en ligne ces derniers temps. Mais nous essayons de perpétuer l’éducation d’une culture qui a été quasiment détruite pendant la Shoah. »

L’université de Chernivtsi, en Ukraine, le 10 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

Le président du Congrès juif mondial Robert Singer, lui-même originaire de Chernivtsi, qui a immigré en Israël à l’âge de 15 ans, a approuvé.

« S’il n’y avait pas eu la Shoah, 20 millions de personnes parleraient yiddish aujourd’hui », a déclaré Singer au Times of Israël. « Mais comme vous le voyez, de tous les dirigeants de la communauté juive de Chernivsti, un seul est yiddishophone. Donc je ne pense pas que nous allons voir les gens parler yiddish dans les rues de Chernivtsi. Cela ne va pas se produire. »

« Mais », a-t-il dit, « il est extrêmement important que la prochaine génération ait une part importante dans la culture qui a disparu pendant la Shoah. Pour notre histoire, notre identité. Cette ville est indissociable de son histoire juive. Elle fait partie de son ADN. »

Le docteur Wolf Moskovitch, professeur retraité et président des études russes et slaves à l’université hébraïque de Jérusalem, a confié au Times of Israel que la conférence était une occasion de mettre en lumière la culture de l’harmonie qui caractérisait Chernivtsi avant la Seconde Guerre mondiale.

L’échoppe d’un peintre juif Jsak Eisikowicz à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

« Chernivtsi est, historiquement, le meilleur exemple d’entente entre Juifs et Ukrainiens. Par exemple, la conférence de 1908 n’avait pas le soutien de la communauté juive ici », a déclaré Moskovitch.

« Benno Straucher, chef de la communauté juive, a vu en l’homme derrière la conférence sur le yiddish un rival, et il voyait dans le yiddishisme une idée révolutionnaire qui représentait un défi pour la « communauté classique ».

Alors il n’a donné aucun lieu pour accueillir la conférence. Elle s’est donc déroulée dans un hôtel de ville, parce que les Ukrainiens étaient loyaux à l’égard des Juifs à cette époque », a expliqué Moskovitch.

Moskovitch est membre du conseil de l’Ukrainian Jewish Encounter (UJE), qui, selon son site, est « une initiative privée et multinationale, lancée en 2008 dans le cadre d’un projet collaboratif impliquant des Juifs et des Chrétiens ukrainiens. » Moskovitch était l’un des intervenants dans la conférence de cette année.

Une fresque conservée au plafond d’une synagogue devenue atelier d’ébénisterie à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

La disparition d’un shtetl

Avant que les deux tiers des 50 000 Juifs de Chernivtsi ne soient tués pendant la Shoah, la communauté juive y vivait de beaux jours.

Chernivtsi représentait l’âge d’or du judaïsme européen. C’était la capitale de Bucovine, une région créée et nommée par la monarchie autrichienne depuis son annexion en 1775 jusqu’à la dissolution du royaume en 1919.

Un tiers des résidents étaient Juifs, et la ville comptait 86 synagogues. Les rues étaient bordées de boutiques juives, et, durant le 20e siècle, 90 % des commerces de la ville appartenaient à des Juifs. Des Juifs notables sont issus de Chernivtsi, notamment des intellectuels, des politiciens et des écrivains comme Rose Auslander et Paul Celan.

Sa prospérité et son emplacement, dans l’ouest de l’Ukraine, qui a connu le lancement du mouvement hassidique, ont permis à Chernivsti d’en devenir l’épicentre, mais également celui de l’épicentre, qui attirait à la fois les férus de yiddish et les sionistes hébraïques.

Vue sur Chernivtsi, où était situé un ghetto avant la Seconde guerre mondiale. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

Mais l’occupation de Chernivtsi par la Roumanie assistée par les forces de l’Axe en 1941 a forcé la ghettoïsation des Juifs sous les ordres du dictateur Ion Anonescu. Fin 1941 et début 1942, deux tiers des Juifs ont été déportés vers la Transnistrie et ont péri.

Après que l’armée rouge s’est emparée de la ville en 1944, la plupart des survivants Juifs ont pris la direction de la Roumanie, dernière escale avant la Palestine mandataire.

Josef Zissels, fondateur du Vaad Association of Jewish Organizations and Communities of Ukraine — également l’un des parrains de la conférence — vit à Chernivtsi depuis 40 ans, après avoir vécu à Kiev.

50 000 sont enterrées dans le cimetière juif à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

Zissels a confié au Times of Israel que sous le régime communiste, les Juifs restés à Chernivtsi ont lutté pour garder leur identité juive. Bien que le yiddish était encore parlé à la maison, son étude était interdite.

« J’avais de nombreux amis, membres de l’intelligentsia, qui ont vécu ici avant la Seconde Guerre mondiale », a expliqué Zissels. « Ils étaient professeurs d’hébreu et de yiddish et, à l’époque soviétique, ils avaient peur d’en parler ouvertement. »

Zissels lui-même a passé 7 ans en prison, entre 1977 et 1987, pour ses activités pro-juives et anti-soviétiques dissidentes.

De gauche à droite : le président du Congrès juif mondial Robert Singer, Josef Zissels, et le rabbin Menachem Mendel Glitzenstein. (Crédit : Glitzenstein)

A sa sortie de prison, il a fondé le Vaad, dans l’espoir de consolider la présence juive en Ukraine et dans l’ex-URSS, de combattre l’antisémitisme et de fournir des services sociaux à la communauté juive locale.

Petite mais solide

Jusqu’à la chute du rideau de fer, en 1991, et même après, de nombreux Juifs de Chernivtsi ont continué à émigrer vers Israël, ce à quoi le Vaad a contribué, selon Zissels.

Aujourd’hui, sur 250 000 citoyens de Chernivtsi, 3 000 sont Juifs, selon Zissels.

Si la population juive n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était, elle se targue d’être un microcosme sain au sein de la vie juive.

Le rabbin Menachem Mendel Glitzenstein devant la synagogue de Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : Glitzenstein)

Une synagogue orthodoxe dirigée par le rabbin Menachem Mendel Glitzenstein abrite un restaurant casher « bio », un mikvé, des salles de classe qui proposent des cours d’hébreu pour la jeunesse. Cet espace sert également de point de rencontres.

Le complexe de la synagogue est financé par Aron Mayberg,  à la tête de la compagnie aérienne ukrainienne, ainsi que que par la famille Rohr et la Lev Leviev’s Ohr Avner Foundation.

Aviv, une synagogue Masorti propose également des cours et des activités pour une quarantaine de jeunes adultes, non loin d’un petit musée sur l’histoire juive de la Bucovine, situé dans un superbe immeuble de la place théâtrale de Chernivtsi.

La facade du musée de l’Histoire et de la Culture juive des Juifs de Bucovine, à Chernivtsi, en Ukraine. (Crédit : World Jewish Congress)

Chevauchant la rivière Prout, la Chernivtsi des temps modernes comprend également la municipalité de Sadigura, où le rabbin Avrohom Yaakov Friedman a fondé la dynastie hassidique de Sadigurer. Thaumaturge connu pour son opulence et sa piété, Friedman a construit un palais et une synagogue, où il recevrait à la fois des visiteurs Juifs et non-Juifs à l’affût de ses bénédictions et de ses conseils.

La synagogue du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l’ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

Glitzenstein a supervisé la récente rénovation de la synagogue, rendue possible par la famille Rohr et les hassidim de Sadigurer en Israël. Le site est une destination prisée des pèlerins hassidiques, qui viennent se recueillir sur la tombe du rabbin, située non loin.

Tandis que la petite communauté juive jouit d’une relation tranquille avec ses voisins ukrainiens, la montée du nationalisme dans l’ouest de l’Ukraine reste source de préoccupation.

Devant la synagogue de Sadigurer, m’entretenant avec un groupe de touristes hassidiques new-yorkais, j’ai vu une voiture ralentir et son passager proférer des obscénités à l’intention du groupe.

Un groupe d’étudiants hassidiques visitent la synagogue et la tombe du rabbin Avrohom Yaakov Friedman, fondateur de la dynastie de Sadigurer, dans l’ancienne ville de Sadigura, actuelle Chernivtsi, en Ukraine, le 9 août 2018. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

Que serait une conférence sans controverse ?

Comme on pourrait s’y attendre lorsque l’on a affaire à un symposium sur le yiddish, la conférence n’a pas été à l’abri de controverses politiques.

Eduard Dolinsky, directeur de l’Ukrainian Jewish Committee, a récemment le Vaad de « blanchir » le climat d’antisémitisme qui sévit actuellement en Ukraine. Dolinsky a également fustigé le Congrès juif mondial pour son association avec le Vaad dans l’organisation de la conférence.

Zissels, co-président du Vaad, a rejeté les allégations de Dolinsky au cours d’une interview accordée au JTA avant la conférence, qu’il a qualifiées de « mensonges et calomnies destinées à réduire l’autorité et l’influence [du Vaad] ».

Des jeunes font du skateboard près d’un mémorial au ghetto juif de Chernivtsi. (Crédit : Yaakov Schwartz/ Times of Israel)

En mai, 50 membres du Congrès américain ont signé une lettre déplorant l’idôlatrie de collaborateurs nazis qui ont combattu les Soviets, comme Stepan Bandera – une rue a été nommée d’après lui en 2016 à Kiev.

Zissels, pour sa part, a attribué cette lettre à la propagande russe, ce qui a conduit Dolinsly et l’Ukrainian Jewish Committee à rompre avec le Vaad.

Bien que Zissels ne soit pas d’accord avec le Congrès, on ne peut nier le fait que Chernivtsi a été le théâtre d’actes antisémites récemment. Les dirigeants communautaires, dont Zissels, ont été déçus par le laxisme du gouvernement face à ces incidents.

« Il y a moins de cas de violence contre le peuple juif ici comparé à d’autres endroits du monde, mais il y a un discours nationaliste qui cherche à percer ici, et c’est quelque chose que nous devons gérer », a déclaré Singer.

De retour dans sa ville natale pour la seconde fois seulement, Singer a fait part de son inquiétude au maire par intérim lors d’un meeting le 10 août, à l’hôtel de ville, auquel ont participé Zissels, Glitzenstein et d’autres membres de la communauté.

Le président du Congrès juif mondial Robert Singer, à gauche, aux côtés du rabbin Menachem Mendel Glitzenstein, Josef Zissels, et d’autres représentants juifs rencontre Vasily Prodan, à droite, maire par intérim de Chernitsvi, à l’hôe de Ville, le 10 août 2018. (Crédit: Congrès juif mondial)

Selon Singer, le Congrès juif mondial fait « ce que les communautés ont besoin que nous fassions ».

« Si le défi auquel fait face cette communauté, c’est la préservation de sa culture, ou si le défi est l’antisémitisme, les graffitis antisémites, l’inaction des autorités, alors nous les aiderons sur ces points », s’est engagé Singer.

L’auteur était invité par le Congrès juif mondial.

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