« Jamais sans ma fille » : En Arabie saoudite, le calvaire des mères étrangères
Si Mohammed ben Salmane, a été applaudi pour avoir étendu les droits des femmes, les réformes ont toutefois été accompagnées d'une violente répression contre des militantes
À l’été 2019, l’Américaine Carly Morris se rend avec sa fille en Arabie saoudite pour une visite auprès du père de son enfant, un Saoudien dont elle est divorcée. Trois ans plus tard, la jeune femme est toujours bloquée dans le royaume ultra-conservateur.
Comme d’autres étrangères ayant eu des enfants avec des Saoudiens, Carly Morris reste confrontée à des difficultés inextricables liées aux inégalités entres femmes et hommes dans le droit de la famille.
Peu après l’atterrissage de la mère et sa fille dans la capitale Ryad, l’ex-mari a confisqué leurs passeports. Il a ensuite entamé des démarches pour transmettre la nationalité saoudienne à la fille, dans le but de l’empêcher de repartir.
Depuis, Carly Morris est prisonnière d’une interminable épreuve liée aux inégalités de genre, à l’instar d’autres étrangères ayant eu des enfants avec des Saoudiens.
Après avoir dépensé toutes ses économies, l’Américaine de 34 ans s’est retrouvée obligée d’emprunter de l’argent et de la nourriture pour survivre dans un pays dont la législation ne l’autorise pas à travailler.
« Je ne partirai pas sans ma fille », assure-t-elle par téléphone à l’AFP, la voix étouffée par les sanglots.
« Autorité absolue »
Si le prince héritier et dirigeant de facto de l’Arabie, Mohammed ben Salmane, a été applaudi pour avoir étendu les droits des femmes, en leur permettant notamment de conduire et en assouplissant les règles de tutelle, ces réformes ont toutefois été accompagnées d’une violente répression contre des militantes des droits des femmes.
Les récentes réformes n’ont tout de même « pas empêché les hommes de continuer à avoir le dernier mot en ce qui concerne la famille », fait remarquer à l’AFP Hala al-Dosari, chercheuse saoudienne et militante des droits des femmes.
« Le problème est que l’autorité absolue sur les enfants est donnée au père et non à la mère », ajoute-t-elle.
La situation de Carly Morris n’est donc « malheureusement pas un cas isolé », regrette pour sa part Bethany al-Haidari de la Human Rights Foundation, basée à New York. « Beaucoup de femmes et d’enfants se retrouvent piégés en Arabie saoudite dans des conditions tout aussi dégradantes », indique-t-elle à l’AFP.
Carly Morris fait par ailleurs l’objet d’une enquête saoudienne pour « trouble à l’ordre public » et a été interdite de voyager, selon une notification électronique consultée par l’AFP.
La famille de son ex-mari a refusé de commenter l’affaire et les autorités saoudiennes n’ont pas répondu aux sollicitations de l’AFP.
L’ambassade des États-Unis à Ryad assure pour sa part à l’AFP qu’elle suit le cas de Carly Morris « de très près » et qu’elle est « en contact régulier avec elle et avec le gouvernement saoudien ».
Deux autres Américaines ont dit à l’AFP avoir été confrontées aux mêmes types d’ennuis.
« Prisonnière »
Fatima, une Egyptienne de 36 ans, qui utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité, se décrit pour sa part comme « prisonnière » de son mari saoudien depuis 15 ans.
Cette mère de trois enfants explique qu’elle a été complètement marginalisée après que son mari a pris une seconde épouse.
« Je voulais divorcer et retourner dans mon pays pour y élever mes enfants, mais mon mari n’a accepté qu’à condition que je parte seule », raconte-t-elle à l’AFP en larmes : « Je n’abandonnerai jamais mes enfants ! »
L’Arabie saoudite a enregistré 150 000 unions en 2020 parmi lesquelles 4 500 mariages entre des Saoudiens et des étrangers, selon les statistiques officielles. La même année, 4 200 divorces ont été enregistrés parmi ces unions mixtes.
Parmi les étrangères mariées à des Saoudiens, certaines font le choix de partir, à l’instar de Madison Randolph, qui se sentait « comme un animal en cage » auprès de son époux qui voulait tout « contrôler ».
Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte de son deuxième enfant, elle négocie avec son mari un voyage d’un mois aux États-Unis. Mais elle n’est jamais retournée au royaume et a laissé derrière elle un fils de neuf mois.
« C’était une décision difficile », confie par téléphone à l’AFP cette femme de 23 ans : « Je voulais me sauver moi-même et l’enfant que je portais. »