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Juifs européens aux Américains : Aidez-nous à lutter contre l’antisémitisme !

À Washington, l'on met en avant l'insuffisance des moyens de lutte contre la haine la plus ancienne, qui gagne du terrain en Europe

Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »

Le président et co-fondateur Vladimir Sloutsker aborde le dialogue trilatéral à l'Assemblée générale du  JFNA - 10 novembre 2014. (Benjamin Lifshitz / CMI)
Le président et co-fondateur Vladimir Sloutsker aborde le dialogue trilatéral à l'Assemblée générale du JFNA - 10 novembre 2014. (Benjamin Lifshitz / CMI)

WASHINGTON – Pour la petite délégation du Congrès juif israélien (CJI) de 15 Juifs européens et israéliens, les trois jours de l’Assemblée générale des Fédérations juives d’Amérique du Nord (JFNA) furent davantage que le plus grand événement juif auquel beaucoup d’entre eux ont participé.

C’était une opportunité de définir une voie à suivre pour les petites communautés européennes comprimées sous le triple fardeau de la hausse de l’assimilation, une économie désastreuse et l’antisémitisme.

Cette voie à suivre, affirment les représentants européens, est de mobiliser le poids politique du gouvernement américain pour pousser les gouvernements européens à prendre l’antisémitisme croissant plus au sérieux.

La délégation du Congrès juif israélien s’est rendue à Washington pour participer au troisième dialogue trilatéral – une initiative conjointe parrainée par le CJI et les FJNA réunissant les dirigeants des communautés juives d’Europe, d’Amérique du Nord, et d’Israël autour d’une table ronde sur les questions clés préoccupant leurs communautés respectives. L’initiative a été lancée en novembre 2013, et selon les participants, la session de cette semaine fut un moment clé.

« C’est la première fois aux États-Unis que le CJI et les JFNA ont coopéré étroitement au profit d’Israël, de la communauté juive américaine et, bien sûr, de notre population en Europe », déclare Dr Benjamin Albalas, vice-président du Congrès juif mondial et président du Conseil central des communautés juives de Grèce.

« La situation financière en Europe n’est pas bonne, l’antisémitisme se développe et les partis extrémistes ont gagné en pouvoir lors des dernières élections de l’Union européenne », déclare Albalas.

Il affirme que ses homologues américains sont conscients que les problèmes des Juifs en Europe sont différents qu’aux États-Unis.

« L’antisémitisme en Europe est un problème multifactoriel, et c’est la raison pour laquelle il est difficile d’y faire face », explique Albalas.

La rencontre trilatérale a permis aux délégués d’échanger des idées sur les moyens concrets de se soutenir réciproquement, d’améliorer les relations publiques dans un monde de plus en plus médiatisé et de traiter les problèmes sécuritaires devant une population djihadiste montante.

« La communauté juive américaine peut aider de façon pratique. Ils ont le savoir-faire pour faire face aux médias traditionnels et sociaux – Google, Twitter et autres. Ils ont aussi le savoir-faire pour inciter les leaders d’opinion à changer le climat ambiant », dit Albalas.

Les membres du dialogue espèrent que le gouvernement américain fera pression sur les gouvernements européens afin qu’ils adoptent une position plus ferme contre l’antisémitisme, dit Albalas, expliquant que « l’antisémitisme n’est pas seulement un problème pour les Juifs, mais pour leurs démocraties ».

En marge de l’Assemblée générale, la délégation du Congrès juif israélien a rencontré l’envoyé spécial américain de lutte contre l’antisémitisme, Ira Forman.

Ira Forman, envoyé spécial du Département d'État des États-Unis pour surveiller et lutter contre l'antisémitisme, parlant au parlement hongrois à Budapest, Octobre 2013. (Crédit : Tom Lantos Institut / via JTA)
Ira Forman, envoyé spécial du Département d’État des États-Unis pour surveiller et lutter contre l’antisémitisme, parlant au parlement hongrois à Budapest, Octobre 2013. (Crédit : Tom Lantos Institut / via JTA)

Les Européens ont demandé à Forman de contacter les parlements européens. La demande de constitution d’un commissaire européen spécial de surveillance et de lutte contre l’antisémitisme et le racisme a été émise cet été, suite à l’attaque en mai du musée juif de Belgique et à la renaissance du sentiment antisémite lors de l’opération Bordure protectrice.

Avec le soutien du CJI, les dirigeants juifs belges Baron Julien Klener, président du Consistoire central israélite de Belgique, et Eli Ringer, vice-président du Forum des organisations juives, ont mené une campagne d’envoi de lettres de chefs communautaires juifs européens à l’UE, qui, dans son remaniement de commissions, ne dispose pas de bureau gérant directement l’antisémitisme.

Les dirigeants des communautés juives d’Europe sont inquiets de l’absence de commissaire chargé de la lutte contre l’antisémitisme et l’intolérance, qu’ils considèrent comme les ennemis de tous les Européens, et pas seulement les Juifs.

« L’Europe ne met pas clairement l’accent sur les valeurs essentielles, la liberté, la démocratie… Nous ne sommes pas seulement déçus, mais inquiets », confie Ringer au Times of Israel.

« Il est clair que depuis un millénaire et demi, l’antijudaïsme, avec ses nombreuses facettes et ses hideux visages, pénètre de plus profondément dans la société européenne. Il y a bien sûr de l’antisémitisme en Belgique, mais il en est de même pour toute l’Europe », affirme Klener, l’autre initiateur de la proposition.

« Nous en tant que Juifs sommes le canari dans la mine de charbon des principes démocratiques, qui est en état de siège », déclare-t-il.

Klener et Ringer indiquent que leurs lettres ont bien été reçues et que l’UE les contacterait dans le futur.
Lorsqu’on lui a demandé de commenter, l’Union européenne a écrit au Times of Israel que « la commission rejette et condamne toutes les formes et manifestations de racisme et de xénophobie. Elles sont incompatibles avec les valeurs et les principes sur lesquels est fondée l’Union européenne ».

À Washington DC cette semaine, Riccardo Pacifici, président de la communauté juive de Rome, a déclaré qu’il était important pour lui que les Américains comprennent que « toute l’Europe n’est pas confrontée à la même situation » concernant l’antisémitisme.

En Italie, dit-il à ses homologues américains, les Juifs sont souvent ballottés entre différentes factions politiques, à la fois d’extrême gauche et d’extrême droite, qui les courtisent et les diabolisent alternativement, en fonction de la question du jour. Les Juifs de toute l’Europe occidentale, selon lui, sont pris en sandwich entre une extrême droite nativiste renaissante et une vague d’islamisation – les deux étant synonymes de danger.

D’une part, les initiatives de droite sur l’abattage rituel et la circoncision, qui selon Pacifici visent principalement les Musulmans, ont des conséquences graves sur la vie juive – et les Juifs, les Musulmans et les politiciens de gauche ont uni leurs forces pour les combattre. Mais ces alliés, se plaint-il, voient les Juifs comme « l’ennemi quand nous voulons défendre Israël ».

« Notre relation avec les Juifs américains change la donne quand nous discutons avec nos autorités », ajoute Pacifici. « Nous savons que nous ne sommes pas 15 000 mais 6 015 000 » avec l’appui de la communauté américaine.

Comme Albalas, Pacifici voit les médias sociaux comme essentiels dans le rapprochement des communautés disparates dans un même cadre unifié. « Nous pouvons utiliser ces nouvelles technologies pour penser comme une seule et unique communauté,» dit-il.

Pacifici souligne également que l’accent doit être mis sur la jeunesse juive européenne – et sur son avenir plutôt que son passé.

« La grande erreur en Europe est que les dirigeants – ou une majorité d’entre eux – investissent dans la mémoire », regrette-t-il. Petit-fils d’un illustre rabbin assassiné avec sa femme à Auschwitz, Pacifici se plaint qu’il soit souvent plus facile de trouver un financement national pour la commémoration de la Shoah que pour le financement de programmes éducatifs juifs au service de la prochaine génération.

« Nous avons dépensé en Italie probablement 100 millions d’euros sur trois projets de commémoration de la Shoah, alors que si j’avais cinq millions d’euros, je pourrais sauver une école juive de Rome ou de Milan », déplore-t-il.

La délégation comprenait également le député Shimon Ohayon (Yisrael Beyteinu) qui affirme que – comme en Israël – « si la communauté américaine n’est pas dans le déni total, elle n’ont pas ressenti les récents événements antisémites » comme les Européens. « Après avoir eu l’occasion d’écouter nos représentants européens, ils ont commencé à sentir que le narratif est différent. Nous l’avons vu dans leurs questions. »

Shimon Ohayon, député Likud-Beytenu (Crédit : Flash90)
Shimon Ohayon, député Likud-Beytenu (Crédit : Flash90)

Ohayon estime que l’antisémitisme moderne devrait peser beaucoup plus sur la conscience des Israéliens et des Juifs d’Amérique du Nord. Israël doit remplir sa tâche, dit-il, en enseignant à ses jeunes les pressions que les Juifs européens ressentent et en favorisant des liens profonds entre les jeunes Juifs israéliens et européens.
« Les Juifs américains doivent être connectés, pas [seulement] à Israël mais aussi aux Juifs européens », pointe Ohayon.

Ohayon, chef du lobby parlementaire sur l’antisémitisme, déclare qu’il tente d’engager les parlementaires internationaux, notamment en les encourageant à adopter des lois claires définissant clairement l’antisémitisme et fixant des sanctions pour les infractions antisémites. À cette fin, la Knesset invitera un grand groupe de parlementaires en Israël en janvier pour discuter de la menace croissante de l’antisémitisme et des peines judiciaires encourues.

Ohayon espère que les Etats-Unis continueront de peser de tout leur poids dans la lutte contre l’antisémitisme européen. Il mentionne la résolution bipartisane de la Chambre des représentants condamnant « la marée montante de l’antisémitisme à l’étranger », adoptée en septembre, comme exemple de la pression américaine.

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