La communauté juive de Montréal vieille de 264 ans craint la normalisation de l’antisémitisme
Les incidents nourrissent les craintes dans la deuxième plus grande ville canadienne et les Juifs font face à des questions troublantes sur l'avenir de leur communauté
TORONTO — Les récents actes antisémites et anti-Israël qu’a connus Montréal n’ont fait qu’aggraver le malaise déjà profond dans lequel se débat la communauté juive de la ville.
Sur fond de retombées politiques des violentes émeutes organisées en marge d’une réunion de l’OTAN, le 22 novembre dernier, par le groupe Divest for Palestine [NDLT : Désinvestissement pour la Palestine], les Juifs montréalais sont encore sous le choc de cette énième éruption de haine et de la réaction des autorités.
Pendant plusieurs jours, des étudiants ont en effet organisé des grèves contre Israël et de grandes manifestations ; des émeutiers ont incendié des voitures, brisé les vitrines de commerces, allumé des bombes fumigènes et brûlé une effigie du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, tout cela pour qu’in fine la maire et le chef de la police de Montréal assurent que les émeutes n’avaient rien d’antisémite.
La vaste couverture médiatique de ces événements a attiré l’attention internationale sur un problème que les Juifs de Montréal ne connaissent que trop bien.
Tout cela faisait en effet suite à des actes antisémites préoccupants survenus quelques semaines plus tôt, à commencer par l’arrestation de cinq personnes munies d’engins incendiaires à proximité d’une synagogue et d’institutions juives, , dernier en date d’une longue série d’actes antisémites parmi les plus denses et intenses de toute l’histoire de Montréal.
Faute d’espoir à portée de vue, de nombreux Juifs craignent que cette dure réalité ne devienne la norme, du moins dans un futur proche, pour leur communauté forte de 90 000 membres, établie en 1760, soit bien avant la fondation du Canada.
Ces derniers jours, le Times of Israel s’est entretenu avec des Juifs montréalais au sujet de leur communauté, chaque jour plus à cran.
« Des Juifs vivent avec bonheur à Montréal depuis 264 ans et le feront encore dans 264 ans », explique le député Anthony Housefather, représentant au Parlement de l’arrondissement de Mont-Royal. « Je parle avec des dirigeants et des élus juifs du monde entier et Montréal est dans le même cas que les autres villes nord-américaines. Il y a des incidents sur les campus, des manifestations et des incidents haineux qui nous effraient parce que nous n’avons jamais rien vécu de tel. »
En juillet dernier, Housefather, qui est juif et membre du caucus du Parti libéral – celui du Premier ministre Justin Trudeau -, a été nommé conseiller spécial du gouvernement fédéral pour les relations avec la communauté juive et l’antisémitisme, sur fond de regain de l’antisémitisme au Canada un phénomène vieux déjà de plusieurs années.
« On est bien mieux à Montréal qu’en de nombreux endroits du monde », poursuit M. Housefather. « Ce qui nous distingue des autres villes, c’est la mauvaise gestion de ces incidents par les services municipaux et la police. La communauté en vient à penser que le manque d’implication des autorités ne fait qu’encourager ceux qui nous détestent, ce qui accroît le danger. Mais non, les Juifs n’ont besoin ni de changer ni de partir. »
Deborah Lyons, envoyée spéciale du Canada pour la protection de la mémoire de la Shoah et la lutte contre l’antisémitisme, compatit avec ce que vivent les Juifs de Montréal.
« Depuis 14 mois, la communauté juive de Montréal est victime de harcèlement, d’intimidations et de violences antisémites – attentats à la bombe incendiaire dans des synagogues, fusillades dans des écoles, saluts nazis dans les rues, discours haineux dans les universités, vandalisme du Musée de la Shoah de Montréal », explique Lyons, qui n’est pas juive, au Times of Israel.
« Les chiffres de la police de Montréal confirment que les Juifs sont, de loin, le groupe le plus victime de crimes haineux et la municipalité a publié un rapport contre le racisme qui ne fait même pas mention de l’antisémitisme », ajoute-t-elle. « Il n’est pas surprenant que la communauté juive se sente délaissée, vu la réticence des autorités de la ville à prendre la parole sur la question, reconnaître les craintes on ne peut plus légitimes de la communauté et faire respecter la loi. »
Une hausse spectaculaire des crimes de haine
Certes, Montréal a connu une hausse spectaculaire du nombre de crimes haineux et d’incidents contre les Juifs depuis les massacres commis par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023. Depuis, alors qu’Israël poursuivait son offensive contre l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza, la police a signalé 212 actes antisémites, contre 49 en 2022.
Cette trajectoire irrite Yair Szlak, président et directeur de la Fédération CJA, principal organe de la communauté juive de Montréal. Une semaine après les émeutes en marge de la réunion de l’OTAN, Szlak était toujours en colère.
« Les sentiments anarchistes anti-OTAN ont joué un rôle déterminant dans cet incident, tout comme les proto-terroristes et opportunistes de tout poil qui se sont engouffrés dans la brêche et livrés à des discours et des actes antisémites depuis plus d’un an », poursuit Szlak.
« Le fait de brûler l’effigie d’un dirigeant politique juif [Netanyahu] fait clairement penser à de l’antisémitisme. Il faut que les dirigeants politiques à tous les niveaux fassent preuve de discernement et prennent des mesures plus radicales pour assurer la sécurité et la stabilité de notre communauté », ajoute-t-il.
Szlak explique que depuis l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre, la communauté a connu 14 mois de « manifestations haineuses, d’actes violents, de fusillades dans les écoles et d’attentats au cocktail Molotov », précise Szlak.
« Tout ceci est fait pour nous intimider et nous forcer à couper les ponts avec une partie essentielle de notre identité, à savoir Israël. Nous ne ferons certainement pas ce plaisir à ceux qui sont à l’origine de ces attaques », ajoute-t-il.
Les chefs des communautés religieuses montréalaises prennent elles aussi la parole.
Le rabbin Reuben Poupko, depuis longtemps chef spirituel de la congrégation Beth Israel Beth Aaron, dénonce ce qu’il qualifie d’inertie chronique et de peur de passer pour islamophobe en expliquant qu’une importante partie de ces violences physiques et verbales contre les Juifs, au Canada, viennent de cette autre communauté.
« Une grande partie du problème vient de la passivité des dépositaires de l’autorité – la maire ou autres, les doyens des universités qui refusent de faire leur travail ou encore la police, qui refuse de procéder à des arrestations lors de manifestations violentes, ce qui ne fait qu’encourager les foules », explique Poupko. « Cela distille une atmosphère de non-droit et renforce le sentiment que la chasse aux Juifs est ouverte. »
Début novembre, Poupko et le rabbin Adam Scheier, chef de la congrégation Shaar Hashomayim, ont co-écrit une lettre ouverte intitulée « La communauté juive exige des mesures », dans laquelle ils affirment que « les foules antisémites sont parvenues à intimider la police, les procureurs et la maire ». (La maire de Montréal, Valérie Plante, a dénoncé à plusieurs reprises l’antisémitisme.)
Leur lettre leur a été inspirée par un incident survenu la veille devant la synagogue orthodoxe Shaar Hashomayim, fondée en 1846 et rendue célèbre par le regretté Leonard Cohen, qui en était membre. Malgré l’injonction interdisant les manifestations à moins de 50 mètres des institutions juives, des manifestants anti-Israël masqués se sont rassemblés devant la synagogue pour harceler les personnes venues assister à une présentation de l’ex-porte-parole du gouvernement israélien, Eylon Levy.
« J’ai été très perturbée par ce que j’ai vu lors du rassemblement pro-Hamas devant Shaar Hashomayim », confie Aline Levi, médecin née à Tel Aviv, qui était enfant lorsqu’elle est venue vivre à Montréal avec sa famille après la guerre des Six Jours, en 1967. « Malgré l’existence d’une zone de sécurité autour des synagogues et établissements juifs, par ordre du tribunal, la police n’a rien fait pour faire respecter la loi. Elle a laissé ce rassemblement haineux se tenir et les participants se faire harceler. Cela a été vécu comme une trahison des services de police. »
L’incident a également eu un effet puissant sur la militante communautaire Joanne Shiller.
« De ma vie entière, je n’ai jamais vu ou ressenti un tel niveau d’antisémitisme et nombre de mes amis me disent ressentir la même chose », confie Shiller. « Cela fait partie d’un mouvement plus général de multiplication des agressions et violences au sein du mouvement pro-palestinien/anti-Israël, accompagnées d’un antisémitisme plus ou moins ouvert. Leur haine et leur colère sont palpables. Je le sens dans mes tripes. »
Gerald Batist est professeur de médecine et d’oncologie à l’Université McGill de Montréal, foyer d’activités antisémites et anti-Israël.
« La communauté est en proie à l’inquiétude, au stress et à la détresse », explique M. Batist. « La vie n’a plus rien de normal pour nous, pas plus qu’elle ne l’est pour les Israéliens ou les Juifs, partout ailleurs. Nous sommes inquiets de ce qui peut arriver au jour le jour, mais en tant que communauté, nous sommes forts et confiants. Cela nous a rapprochés. Nous sommes plus proches qu’avant et plus liés que jamais à Israël. Nous sommes unis, déterminés, tout sauf soumis. »
Les antisémites sortent au grand jour
Installée dans la province canadienne francophone du Québec, la communauté juive de Montréal est unique en Amérique du Nord, composée d’une majorité anglophone, en grande partie ashkénaze, et d’une importante minorité francophone, principalement séfarade. C’est à cette dernière qu’appartient David Sasportas, qui est d’origine marocaine.
Lui aussi se réjouit de la solidarité qui règne au sein de la communauté juive et considère que les émeutes du mois dernier s’inscrivent dans le droit fil de ce qui se passe à Montréal depuis le 7 octobre 2023, à l’instar de la crise antisémite qui frappe Toronto, berceau de la plus importante communauté juive du Canada : « C’est une réalité à laquelle nous devons faire face jour après jour : il nous faut faire attention parce que nous sommes juifs. »
« Je suis déçu de voir ce qu’est devenu notre ville », poursuit Sasportas, directeur des ventes automobiles depuis 2011. « J’ai toujours su que je vivais au beau milieu d’antisémites qui se cachaient, mais le fait qu’ils s’expriment désormais au grand jour est réellement choquant. Les Juifs ont des raisons de s’inquiéter de leur avenir à Montréal, mais nous ne pouvons pas céder à la peur. Sinon, cela veut dire que nos jours dans ce pays sont comptés. »
Au milieu de toutes ces nouvelles négatives, une histoire optimiste donne des raisons d’espérer. La veille des récentes émeutes lors d’une manifestation anti-Israël devant l’Université Concordia de Montréal, une femme a été filmée en train de narguer des contre-manifestants pro-Israël en faisant un salut nazi. Dans une vidéo qui a fait le tour de la toile, on l’entend demander la « solution finale », terme employé par les Nazis allemands pour parler de leur projet d’exterminer les Juifs lors de la Shoah.
Une fois confirmé le fait que la femme de la vidéo, Mai Abdulhadi, était la gérante d’une franchise de la chaîne de cafés Second Cup à l’Hôpital général juif de Montréal, la directrice non juive de Second Cup a mis fin à son contrat de franchise et officiellement condamné ce qu’elle avait fait.
Des lueurs d’espoir comme celui-ci, aux moments les plus sombres, ajoutent à la détermination de la communauté juive à aller de l’avant.
« Je ne suis pas inquiet pour notre communauté juive », conclut Poupko.
« Les pensionnats et synagogues n’ont jamais été aussi fréquentés. Nous sommes un peuple fort et résilient. Mais je m’inquiète pour le Canada. Nous savons tous ce qui arrive aux sociétés lorsqu’elles laissent prospérer l’antisémitisme. »
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