La Cour examine la légalité de la mesure retardant l’incorporation des haredim
Les requérants argumentent que le texte permettant à l'État d'éviter temporairement l'enrôlement des étudiants ultra-orthodoxes est illégal ; des manifestants se dirigeaient vers la place Agranat
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
La Haute Cour de justice a ordonné lundi au gouvernement d’expliquer pourquoi il ne devrait pas annuler une résolution gouvernementale adoptée en juin 2023, qui demandait à l’armée israélienne de ne pas enrôler d’étudiants ultra-orthodoxes de yeshiva pendant neuf mois, et, par extension, d’expliquer pourquoi l’armée ne devraient pas commencer à enrôler ces hommes.
L’ordonnance a été rendue à la suite d’une audience tenue plus tôt dans la journée concernant les pétitions contre la mesure, au cours de laquelle les juges ont demandé à plusieurs reprises au représentant de l’État de démontrer la légalité de la résolution. Les instructions de la Cour placent désormais la charge de la preuve sur le gouvernement, qui doit expliquer pourquoi sa résolution ne devrait pas être annulée, et indiquent qu’elle prend les recours très au sérieux.
La Haute Cour a également rendu une ordonnance provisoire déterminant qu’une disposition de la loi sur le service militaire, qui prévoit une exemption de service si une personne n’est pas incorporée dans les deux ans suivant son 18e anniversaire, ne s’appliquera pas aux étudiants de yeshiva qui n’ont pas été incorporés en raison de la résolution du gouvernement – une indication supplémentaire que la Cour estime que les pétitions sont fondées.
L’État doit répondre aux ordonnances d’ici le 24 mars.
Plus tôt dans la journée de lundi, les juges de la Haute Cour ont exprimé un grand scepticisme sur la légalité d’une résolution gouvernementale adoptée pour empêcher l’armée israélienne d’enrôler les ultra-orthodoxes étudiant en yeshiva pendant que la Knesset élabore et adopte une nouvelle réglementation.
L’affaire portée devant le tribunal lundi portait sur la validité d’une résolution du cabinet du 25 juin 2023 dans laquelle le gouvernement donnait pour instruction aux autorités de conscription de Tsahal « qu’aucune procédure ne sera prise pour le recrutement d’étudiants en yeshiva » jusqu’au 31 mars 2024, en attendant qu’il trouve un moyen de se conformer à une décision de justice de 2017 qui avait établi que les exemptions générales de service militaire pour les haredim étudiant en yeshiva étaient discriminatoires.
À l’extérieur de la Cour, des centaines de manifestants se sont dirigés vers la place Agranat pour réclamer l’égalité dans le recrutement militaire et brandir des banderoles portant des slogans tels que « Ensemble, nous gagnerons ? » et « Service égal pour tous », après avoir protesté devant le domicile du ministre du Logement et de la Construction Yitzhak Goldknopf, un homme politique ultra-orthodoxe de haut rang.
Dans le même temps, les requérants présents dans les salles d’audience ont affirmé que la résolution était en contradiction directe avec la loi existante sur le service militaire et était par conséquent illégale, tout en soulignant que rien n’avait changé au cours des 25 années qui s’étaient écoulées depuis que la Cour s’était penchée sur la question pour la première fois.
Le représentant du bureau de la procureure générale, Gali Baharav-Miara, défendant le gouvernement a toutefois affirmé que la résolution du cabinet était légale puisqu’elle ne modifiait pas activement la situation juridique, mais donnait simplement l’instruction aux organes de l’État de ne pas appliquer la loi en vigueur.
Le gouvernement a adopté sa résolution le 25 juin 2023, cinq jours avant l’expiration de la loi autorisant des exemptions générales de service militaire – techniquement des reports annuels jusqu’à l’âge de l’exemption – pour les étudiants en yeshiva.
Le gouvernement avait alors fait valoir qu’il avait besoin de ce délai supplémentaire pour rédiger une nouvelle loi prévoyant un « arrangement » pour les étudiants en yeshiva, mais il affirme aujourd’hui qu’il n’a pas été en mesure de le faire à la suite du déclenchement de la guerre le 7 octobre.
La loi accordant des exemptions générales a été invalidée par le tribunal en 2017 en tant que mesure discriminatoire violant le principe d’égalité devant la loi, et le gouvernement a été chargé d’adopter une nouvelle loi qui conduirait à un plus grand enrôlement des haredim.
La semaine dernière, l’État a déclaré à la Cour qu’il avait besoin de plus de temps pour légiférer sur une telle loi parce qu’il était impossible de le faire pendant la guerre en cours, qu’il décrirait ce que le projet de loi inclurait d’ici le 24 mars, puis a demandé une prolongation jusqu’à la fin du mois de juin pour adopter la législation.
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L’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité (MQG) en Israël, qui fait campagne depuis des dizaines d’années pour l’enrôlement des ultra-orthodoxes, a déposé en août des recours devant le tribunal contre la résolution du cabinet, arguant qu’elle violait l’État de droit et qu’elle était « déraisonnable à l’extrême », parmi d’autres arguments.
S’exprimant le premier devant le tribunal, Me Eliad Shraga, qui dirige MQG, a dénoncé le gouvernement et a vivement critiqué le tribunal pour n’avoir pas réussi à mettre fin aux exemptions générales du service militaire accordées aux ultra-orthodoxes étudiant en yeshiva au cours des vingt-cinq dernières années.
« Nous n’allons nulle part. Nous sommes dans le même cercle fermé depuis vingt-cinq ans. Nous faisons du surplace et nous avons soutenu que nous ne pouvions pas continuer à faire de la discrimination entre du sang et du sang, à faire de la discrimination entre les civils », a plaidé Me Shraga devant la Cour.
« Cela fait vingt-cinq ans que les reports se succèdent sans fin, vingt-cinq ans que la Cour est devenue un partenaire et qu’elle accorde des reports successifs à l’État. »
« À l’heure où tant de foyers sont endeuillés, où tant de personnes ont été blessées, cette discrimination crie au ciel. Nous ne pouvons pas continuer à nous voiler la face, surtout à un moment où Tsahal a besoin de main-d’œuvre », a-t-il ajouté.
En cherchant à orienter Me Shraga vers une argumentation qui réponde réellement au recours déposé devant la Cour, le président en exercice de la Cour suprême, Uzi Vogelman, et le juge Noam Sohlberg lui ont fait remarquer que la question centrale était celle de l’arrêt « Rubenstein » de 1998 de la Haute Cour, qui a établi que le gouvernement n’était pas autorisé à prendre des décisions aussi importantes sur la base d’une action exécutive, telle qu’une résolution du cabinet, et que de telles dispositions ne pouvaient être déterminées que par la Knesset.
Adoptant une approche plus directe que Me Shraga, Me Daphne Holtz Lechner, représentant le groupe « Mères au front », a accusé le gouvernement de chercher à contourner illégitimement la loi.
« Le gouvernement ne pouvait pas demander une autre prolongation, alors il a trouvé une solution de contournement. Il a dit (…) nous déciderons nous-mêmes, il a pris la loi entre ses mains », a déclaré Me Holtz Lechner.
« Mais cela contredit une loi de la Knesset, et il n’y a donc aucune autorité pour l’organiser [l’ordre de ne pas appliquer la conscription ultra-orthodoxe] dans une résolution du gouvernement. »
En réponse à ces plaidoyers entre autres, Me Avi Milikovsky, du bureau de Baharav-Miara, a tenté de présenter la résolution comme une mesure destinée non pas à maintenir activement les exemptions de service militaire pour les haredim étudiant en yeshiva, mais simplement à permettre à l’État de ne pas les appliquer le temps de mettre au point un nouvel arrangement.
« La seule chose que fait la résolution du gouvernement est une décision politique pour les autorités de recrutement », a-t-il affirmé, expliquant que la résolution du gouvernement n’était qu’une mesure provisoire pour l’année suivant l’expiration de la loi précédente.
Ni Vogelman ni Sohlberg n’ont été particulièrement impressionnés par ce raisonnement, Vogelman demandant à Me Milikovsky : « Ne s’agit-il pas d’un report de service de facto ? »
Me Milikovsky a poursuivi en faisant valoir que les autorités de Tsahal ne procédaient pas à la conscription de tous les hommes en âge de servir en une seule fois, mais qu’elles le faisaient progressivement au cours d’un calendrier de conscription de 12 mois et qu’elles pouvaient donc attendre plusieurs mois supplémentaires, le temps qu’un nouveau dispositif législatif soit adopté, avant d’enrôler les ultra-orthodoxes étudiant en yeshiva.
« Lorsque la loi a expiré, il était clair que les autorités chargées de la conscription ne pouvaient pas enrôler 63 000 personnes [le nombre estimé d’étudiants haredim en yeshiva qui sont actuellement en âge de servir dans l’armée] », a souligné l’avocat.
Vogelman s’est à nouveau opposé, cependant, en disant que les 63 000 personnes n’auraient pas besoin d’être enrôlés dans l’immédiat.
« Qu’ils en enrôlent donc 1 000 pour commencer », a déclaré le président en exercice de la Cour.
Sohlberg s’est montré tout aussi peu réceptif.
« Comment est-il possible de prolonger les reports de service militaire en vertu d’une loi qui a expiré ? »
La Cour va maintenant examiner la demande des requérants de prendre des mesures provisoires à l’encontre du gouvernement pour qu’il explique pourquoi il ne devrait pas annuler la résolution du cabinet, ce qui nécessiterait alors une nouvelle audience, possiblement devant un panel de juges élargi.
Avant le début de l’audience, une foule menée par le groupe de protestation « Frères d’Armes » est arrivée devant le domicile de Goldknopf à Jérusalem et a exprimé son indignation face à l’opposition constante des dirigeants haredim à la conscription des hommes de la communauté ultra-orthodoxe.
« Nous pensions qu’après le pire massacre de Juifs depuis la Shoah, quelque chose changerait. Nous espérions qu’après cette terrible tragédie, à partir de la perte et de la douleur qui ne font que croître chaque jour, nous nous épanouirions ensemble », a déclaré un dirigeant des Frères d’armes, faisant référence à l’assaut du 7 octobre.
« Nous pensions que vous comprendriez que nous ne pouvons plus agir seuls, que le fardeau que nous portons depuis la création de l’État est trop lourd. »
« Nous pensions que cette fois-ci, vous voudriez être avec nous, porter le fardeau [du service militaire], le partager. Nous pensions que, parallèlement à la croyance religieuse et à l’étude de la Torah, vous verriez vos frères et sœurs qui souffrent. »
Les manifestants se sont ensuite rendus sur la place Agranat pour réclamer l’égalité dans le partage du fardeau du service militaire, nombre d’entre eux brandissant des civières symbolisant l’expression en hébreu « passer sous la civière » liée au service dans les rangs de Tsahal.