La ‘jungle’ de Calais révélée aux religieux juifs et musulmans britanniques
Des rabbins et des imams ont été témoins de l'horreur des conditions ressemblant aux camps de réfugiés du tiers monde
CALAIS – Il y a une « jungle » en France et elle se trouve à Calais. La jungle, un camp de réfugiés tentaculaire sur la côte nord française, accueille le désespoir de beaucoup de nations – des Afghans, des Bédouins du Koweït, des Arabes, des Ethiopiens, des Erythréens, des Soudanais et des Syriens.
La plupart des hommes – et un petit nombre de femmes et d’enfants – ont fait un voyage pénible à travers l’Afrique du Nord et en Europe avant de se retrouver à Calais. Mais pour beaucoup, la jungle est la fin de la ligne : presque tout le monde veulent entrer en Grande-Bretagne mais la Grande-Bretagne ne veut pas d’eux.
Des dizaines de visiteurs au camp de réfugiés de Calais durant la dernière année, il y a eu beaucoup de militants juifs progressistes qui sont venus apporter de l’aide et de l’empathie.
Mais la semaine dernière une délégation conjointe sans précédent de rabbins orthodoxes et d’imams s’est rendue dans la jungle de Calais pour faire l’expérience du camp de réfugiés de fortune.
Il faut 35 minutes en Eurostar pour se rendre de Folkestone au sud-est de la côte de la Grande-Bretagne à Calais. En une demi-heure, les rabbins et les imams ont été catapultés de la civilisation pour se retrouver dans le tiers monde.
Les clercs ont été clairement horrifiés : dans des conditions ordinaires de la situation au camp de réfugiés est mauvaise mais cette visite a eu lieu alors que la météo était horrible – des vents hurlants, des températures glaciales et plusieurs jours de pluie avaient laissés ses marques sous la formes de flaques profondes d’eau boueuse. Les systèmes sanitaires et d’hygiène sont presque inexistants.
L’été dernier, il a été estimé qu’il y avait près de 7 000 personnes à Calais. Aujourd’hui, les volontaires humanitaires pensent qu’il y a environ 4 500 personnes, dont environ 400 femmes et enfants, qui vivent dans une zone séparée dédiée aux familles.
Les jeunes hommes – et ils sont presque tous des jeunes hommes en fin de l’adolescence ou âgés d’une vingtaine d’années – s’entassent dans des amas de tentes usées, placés principalement dans le camp en fonction de l’endroit d’où ils venaient. Donc, il y a une zone soudanaise, une zone afghane, et ainsi de suite.
Ici et là, on retrouve des mosquées de fortune, également dans des tentes – des dizaines de paires boueuses de basket usés sont placées à l’extérieur indiquant que c’est l’heure de la prière.
Il y a quelques semaines, il y avait même une église pour les Chrétiens africains, mais elle a été démolie par les autorités françaises qui dirigent symboliquement le camp. (Lorsqu’on a posé la question, personne ne savait vraiment pourquoi l’église avait été démolie, mais apparemment il y a le projet de la reconstruire.)
« Comment pouvez-vous garder une trace de qui est ici ? » ai-je demandé à un volontaire. « Nous ne le faisons pas », m’a-t-il répondu. « Tout ce qu’on fait c’est de faire le tour et voir qui est ici et qui est parti. Nous ne pouvons pas faire un recensement ».
A l’une des entrées ouvertes du camp, à côté d’un graffiti Banksy ironiquement dessiné sur un mur non loin qui dit : « London Calling » [« L’appel de Londres »], un membre de L’Auberge des migrants, l’un des organismes de bienfaisance qui travaille dans le camp, a montré aux rabbins et aux imams britanniques une grande zone dégagée.
« Il y avait une forêt ici », a-t-il dit « Mais les Français ont déraciné tous les arbres pour empêcher les gens de se cacher ».
Il existe d’autres mesures, aussi, pour empêcher les réfugiés de grimper et d’entrer dans le terminal de l’Eurostar ou se cacher dans les camions, les trains ou les ferries – d’énormes clôtures barbelés, généralement trois fois plus hautes qu’une taille humaine.
Un grand nombre de réfugiés sont morts en tentant de s’embarquer clandestinement dans les trains ou les camions ou ont été battus par des groupes de droite qui errent autour de la zone où le Front national dispose d’un bastion. Néanmoins, les tentatives pour grimper au-dessus des clôtures ont lieu tous les soirs.
Au moins deux des rabbins de Grande-Bretagne font partie de la communauté strictement orthodoxe – Rabbi Avraham Pinter et Rabbi Herschel Gluck.
Les deux hommes sont clairement identifiables en tant que Juifs orthodoxes pratiquants, mais leurs attirails ne semblent avoir aucun effet sur les réfugiés, qui se pressent autour d’enthousiasme lorsque l’un d’eux commence à raconter son histoire.
Quatre autres membres de la délégation font partie de l’United Synagogue, des rabbins traditionnels des congrégations orthodoxes Modern Orthodox de Londres. Pour leur part, les deux des imams britanniques sont en habit ecclésiastique complets et profitent de l’occasion pour prier avec les réfugiés quand ils le peuvent.
Les visiteurs britanniques se pressent dans l’une des tentes des Soudanais, dont l’entrée – une bâche qui claque – se distingue par une pile de caisses en bois cassées, sur plusieurs mètres de haut. Sur le sol, il y a des planches craquées, des boîtes posées à l’envers, une sorte de caillebotis – tout ce qui est humainement possible pour empêcher les hommes de dormir sur la boue. Empilés de l’autre côté de la tente, il y a des dizaines de vélos cassés, et les tours de tissu et de vieux vêtements.
Près de 30 ou 40 hommes semblent vivre ici.
« Regardez », s’exclame l’un des imams britanniques. « Regardez cette bouilloire ».
La bouilloire, un objet brûlé à peine reconnaissable, est perchée au sommet d’un réchaud à gaz vacillant. Entassées à côté de la bouilloire, il y a des tasses, une cuillère, et un sac de sucre. Les hommes viennent se verser une tasse d’eau tiède et un peu de sucre dans leur tasse.
« Cela leur dure toute la journée », a expliqué l’imam.
L’imam est furieux parce qu’il vient de rencontrer un groupe de Bédouins du Koweït dans le camp. Il n’arrive pas comprendre ce qu’ils font là puisque le gouvernement koweïtien pourrait les sortir de là et les reloger en un clin d’oeil.
« Ils n’ont pas besoin d’être dans la jungle », a-t-il déploré. « Le Koweït devrait prendre soin d’eux ».
La mince ligne entre les réfugiés de la terreur ou fuyant un conflit et les migrants économiques qui cherchent une vie meilleure n’a jamais été plus évidente.
La délégation se déplace dans une autre partie du camp, en passant par une tranchée ouverte remplie d’eau sale, avant de découvrir des rangées de conteneurs brillants de métal blanc, le tout destiné à remplacer les tentes – et la quasi-totalité d’entre eux sont vides.
Le guide explique que les premiers résidents seront probablement des femmes et des enfants, qui sont invisibles, mais plus tard, on nous a dit que beaucoup d’hommes ne veulent pas s’enregistrer pour vivre dans les conteneurs parce que cela signifiait de donner une empreinte digitale. Beaucoup d’entre eux craignent que les empreintes digitales et l’enregistrement officiel de leur présence dans la jungle seront préjudiciables à leurs chances d’entrer en Grande-Bretagne.
Ils n’ont peut-être pas, en fait, le choix, dans la mesure où le gouvernement français a annoncé des plans en début de semaine de raser la plupart de la zone sud de la jungle, en déplaçant environ 1 000 personnes, pour que les gens ne dorment plus à l’air libre.
La préfète Fabienne Buccio avait annoncé le 12 février, qu’elle donnait une semaine aux migrants qui campent dans la partie sud du bidonville pour quitter les lieux. Entre 800 et 1 000 personnes, installées sur 7 hectares dans des tentes ou des cabanes, seraient concernées. Buccio a expliqué que ses agents expliqueront aux migrants « ce que nous attendons » d’eux – choisir de vivre dans les conteneurs blancs chauffés mis en place le mois dernier sur le bord du camp qui peut contenir 1 500 personnes – ou accepter d’être envoyés dans des centres ailleurs en France.
« Il est temps de dire aux migrants de Calais qui vivent dans des conditions indignes et qui donne une image de Calais qui est pas digne non plus que nous avons une solution pour chacun d’entre vous », a déclaré Buccio.
Ils devront faire leur choix en début de semaine prochaine.
Tout ce que les travailleurs humanitaires et les réfugiés nous montre soulève plus de questions que de réponses. Par exemple, la jungle est parsemée de boutiques « des entreprises privées » dans des petites cabanes à l’avant du camp.
Il y a beaucoup de stock qui est exposé, comme des paquets de biscuits, des cigarettes et même de l’alcool pour la population chrétienne. Mais personne ne peut expliquer comment l’économie du camp fonctionne, d’où les gens obtiennent de ‘argent pour acheter les produits qui sont principalement donnés, sur la façon dont tout le monde paie pour faire fonctionner les mini-générateurs à l’arrière des magasins, leur amenant de l’électricité à chacun d’eux.
« Où vont les gens ? », s’interrogent les rabbins et les imams, quand on leur dit que les chiffres des réfugiés présents ont chuté de 2 500 réfugiés entre l’été et maintenant. Certains sont allés en Europe continentale, pour tenter d’entrer en Allemagne en raison de sa politique plus ouverte envers les demandeurs d’asile et des réfugiés. Mais cette théorie peut-elle expliquer de façon réaliste pour expliquer l’absence de 2 500 personnes ?
Chaque homme dans le camp a une histoire, des « anciens » qui sont là depuis près de deux ans aux nouveaux arrivants comme Musa, 24 ans, qui arrive du Darfour, qui est là depuis quatre mois.
Au moins les deux tiers d’entre eux affirment avoir de la famille au Royaume-Uni mais il n’y avait aucun moyen de vérifier leurs dires. Musa, qui parlait relativement bien l’anglais, est parti du Darfour et en arrivé en France, en passant par le Tchad, la Libye et l’Italie.
« Je veux me sentir en sécurité et je ne me sens pas en sécurité ici », a déclaré Musa. « Je veux aider ma famille et aller au Royaume-Uni. Nous sommes des êtres humains – et la jungle n’est pas pour les êtres humains ».
Cela semble à peine croyable que cette misère soit là, au seuil de la Grande-Bretagne de l’autre côté de la Manche, et à seulement trois heures de la ville plein de glamour, Paris, la Ville Lumière.
Les rabbins et les imams ont été secoués et sont maintenant déterminés à faire entendre leurs voix religieuses afin d’exhorter la Grande-Bretagne et la France de mettre fin à la jungle de Calais.
Personne, ont-ils dit, veut que cette question ne passe sous le tapis.
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